
Un Mariage Béni 3/3 ✔️
Cassandore, joyau resplendissant, était la cité du soleil, terre d'abondance nourrie par les centaines de champs fertiles qui l'entouraient. La douceur du climat, bien plus clémente qu'à Alhora, faisait fondre la neige en certains endroits, tandis que la mer proche offrait une toile de fond scintillante aux milliers de lumières qui s'agitaient dans la ville. Telle une constellation mouchetée d'or, cette effervescence nocturne dessinait sur l'encre du soir un second firmament.
Le convoi s'engouffra au milieu des étroites ruelles tentaculaires, bordées de constructions empilées les unes sur les autres telles des galets précairement équilibrés. Baignée de la lumière du jour, Cassandore devait resplendir bien davantage.
Malgré la beauté de cette cité et tout ce qu'elle avait à offrir, Jaya était pétrifiée sur son siège. Depuis plusieurs heures, il en était ainsi. Vadim s'était gardé de tout autre commentaire depuis sa mise en garde ; le voyage avait été si long sans le moindre bruit, hormis le claquement des sabots des chevaux. Si ce malotru voulait se montrer intransigeant, elle l'attendait au tournant. Elle avait beau être une femme, un être relativement faible face à un homme de cet envergure, elle ne se laisserait pas intimider par ses menaces.
Soudain, le traîneau trembla et s'arrêta.
Jaya se redressa légèrement lorsque le cocher vint leur ouvrir la portière, tout sourire derrière son étoffe de soie.
— Nous voici au Beffroi.
Vadim remercia le conducteur et se tourna vers la jeune femme.
— Bienvenue chez vous, Madame Blanchecombe.
Il la narguait avec sa langue couverte d'acide, du moins, c'est ainsi que Jaya le percevait. Ils débarquèrent immédiatement et, machinalement, elle leva les yeux vers des hauteurs incroyables. Une magnifique tour de pierres blanches se dressait devant eux, capitonnée par un grand mur dont les lances acérées protégeaient contre toute intrusion. Ainsi, c'était le Beffroi ? Le siège des Blanchecombe portait le nom d'une vieille tour de guet ? Ce n'était pas ce qu'il y avait de plus raffiné, songea la princesse.
Elle fut escortée par son mari et sa famille dans la chaleur réconfortante de la tour. L'intérieur était aussi époustouflant que l'extérieur. Un immense escalier en colimaçon s'enroulait en plein milieu, décrivant une large spire rappelant la végétation luxuriante des lierres. Les murs richement décorés de boiseries nobles étaient si majestueux que lever la tête devenait vertigineux. Plusieurs étages étaient visibles, sans le moindre plafond pour entraver la vue. Des passerelles modernes reliaient l'escalier central à différents niveaux, un système que Jaya n'avait jamais vu auparavant. À Alhora, tout était si traditionnel, si archaïque. Le roi Frost était très attaché aux anciennes industries qui l'avaient vu grandir. Les nouvelles mécaniques, comme celles de Cassandore, ne risquaient pas d'arriver de si tôt dans ses terres montagneuses.
— Alors, comment trouvez-vous notre cher Beffroi, princesse Jaya ? lui demanda Leftheris, la voyant émerveillée.
— Au-delà de tout ce que j'ai pu m'imaginer. C'est tout bonnement incroyable cette architecture.
— Nous nous sommes inspirés des tours du continent pour améliorer la nôtre. Ils ont une si grande avance sur l'île de Glascalia, si vous saviez, ajouta le père Blanchecombe.
— Vous avez déjà été sur le continent ?
Son beau-père ricana, comme si elle avait lâché une bêtise. Elle avait toujours entendu dire qu'à cause des litiges millénaires, l'île de Glascalia était isolée du continent, nommé Thenaraïm. Quasiment personne n'y venait ou n'en partait, car les continentaux étaient très mal vus par ici. Les guerres religieuses étaient partout et condamnaient sur plusieurs siècles, malheureusement. Les années passées n'effaçaient pas les atrocités, surtout quand cela avait un rapport avec le Risen, cet art interdit que seul Ymos pouvait pratiquer. À Thenaraïm, ce pouvoir démoniaque était légion et les glascales ne pouvaient tolérer la remise en question des vœux de leur dieu vénéré.
— Nous avons déjà été sur le continent, oui, plus particulièrement sur les terres sud, comme la province d'Aldrapta, où se trouve leur capitale. Leurs richesses sont infinies. Rien que leurs concepts modernes sont ahurissants et permettraient d'améliorer toujours plus notre ville. Bien évidemment, ils ne partagent pas la même idéologie, ni même la même religion que nous... Aucune alliance n'est possible. C'est tellement dommage, leurs terres sont fabuleuses.
Après sa tirade, Byron Blanchecombe se retourna vers sa belle-fille.
— Nous allons dîner. Peut-être aimeriez-vous vous préparer avant de nous rejoindre, princesse ?
— Oh, je... Je suis vraiment navrée, seigneur Blanchecombe, mais je suis épuisée. Je crains de ne pas pouvoir être à vos côtés, ce soir.
Un silence s'installa brièvement tandis que Vadim la scrutait du coin de l'œil. En effet, elle semblait fatiguée et n'avait pas l'appétit nécessaire pour se sustenter. Ces changements environnementaux l'affectaient plus qu'elle ne l'avait anticipé, et cela n'était pas seulement dû à sa petite querelle avec Vadim. Jaya avait besoin de solitude pour faire le point et méditer sur cette nouvelle vie qu'elle était contrainte d'accepter.
Légèrement déçu de sa réponse, le roi de Cassandore se pinça les lèvres.
— Je comprends, ma chère enfant, le voyage a été long pour vous. Si vous changez d'avis, vous pouvez demander aux servantes de vous guider jusqu'à la salle des repas, ou même de vous apporter quelque chose.
— Je vous remercie infiniment.
— Vadim...
Byron jeta un œil à son fils à sa droite. Malgré sa façade bienveillante et son sourire affiné, une étoile de sévérité brillait dans sa rétine. Le père Blanchecombe avait du mal à paraître agréable sans que l'on sente son effort à le faire.
— J'ai à te parler. Appelle une servante pour qu'elle guide ta charmante épouse dans ses nouveaux quartiers et rejoins-nous à la salle des repas.
Pour toute réponse, Vadim hocha la tête. Byron souhaita une bonne nuit à Jaya et lui offrit un baise-main avant de partir vers l'escalier, sa barbe en repousse chatouillant sa peau délicate et sensible. Les bras dans le dos, Leftheris le suivit après avoir salué Jaya à son tour. Elle se retrouvait maintenant seule avec Vadim... un léger malaise s'installa en elle face à ce silence pesant. Bien qu'il ne lui prêtait aucune attention, son regard était fixé sur les deux silhouettes qui montaient vers la plateforme supérieure. Il avait l'air préoccupé par la demande du roi. Cependant, Jaya l'ignora rapidement lorsqu'une série de pas attira son regard vers un renfoncement derrière l'escalier.
Un groupe de femmes en émergea, les bras chargés de linges propres. Leurs robes noires agrémentées de tabliers blancs ne laissaient aucun doute sur leur statut de domestiques. À peine les avait-il vues, que Vadim sortit de sa transe contemplative et héla de loin.
— Varvara !
Soudain, l'une des femmes se détacha du groupe et s'arrêta, interpellée. Du même âge que Jaya, sa peau bronzée sans imperfections scintillait à la lueur dorée des chandeliers. Vadim lui fit signe de s'approcher et, aussitôt, elle se mit à courir sur ses longues jambes fines dans leur direction.
— Oui, vous avez besoin de moi, prince Vadim ?
— J'aimerais que vous escortiez mon épouse jusqu'à mes quartiers et que vous soyez là pour elle si elle demande quoique ce soit.
— V-votre épouse ?
La dénommée Varvara fixa Jaya de ses grands yeux ronds comme la lune. Cette déclaration la surprit et l'émerveilla à la fois. Elle manqua même de lâcher malencontreusement sa pile de serviettes blanches, son épais chignon brun rebondissant à l'arrière de son visage doux et fin.
— C'est donc elle ? La fameuse princesse Jaya ?
— Oui, c'est elle.
— Oh, je suis... désolée ! Je suis tellement honorée de vous rencontrer. On ne parle plus que de vous ici, depuis des jours.
Jaya intercepta cette nouvelle avec étonnement, mais en y réfléchissant, c'était probablement la même chose qu'à Alhora. Le mariage avait fait beaucoup de bruit. En tous les cas, elle trouvait cette jeune fille était très enthousiaste et pétillante, ce qui fatiguait Vadim qui insista :
— Varvara !
— Oui ! Oui ! Je suis désolée, hum... Veuillez me suivre, princesse.
Varvara lui fit signe et toutes deux prirent l'escalier. Jaya ne jeta qu'un bref coup d'œil vers Vadim qui la surveillait de côté, sans bouger. Le menton altier et un petit air audacieux, elle le dépassa d'une allure de chat sauvage méprisant sa proie.
Une tête difficile, mais pourtant si agréable à regarder.
Jaya et Varvara parvinrent rapidement au premier étage où une plateforme, faite de roches et de métal, se découpaient sous leurs pieds afin d'accéder aux nombreux couloirs en demi-lune se situant de chaque côté de l'édifice. C'était grandiose et effrayant à la fois. On pouvait facilement se perdre dans ce dédale si on ne le connaissait pas par cœur.
En chemin, Varvara ne tenait pas en place.
— C'est vrai ce qu'on raconte sur vous, alors... Vous êtes vraiment belle, princesse !
Encore des compliments... Jaya allait finir par s'en lasser.
— C'est gentil, merci.
— Mais vous semblez plus sympathique encore.
Cette fois, elle lui offrit un sourcil arqué.
— Pourquoi ça ? Les racontars disaient que je ne l'étais pas ?
Varvara s'agita, presque honteuse.
— Oh non, non, pas du tout. Mais sauf votre respect, à Cassandore, beaucoup disent que les alhoriens sont froids comme les montagnes où ils vivent. Or, avec vous, on dirait que ce n'est pas le cas.
— Veuillez ne pas trop apporter votre confiance à l'apparence. Nous avons tous du caractère, même si ça ne se voit pas.
— Probablement. Mais parfois, malgré ce qu'on peut croire, l'apparence est un bon moyen de déceler la personnalité de quelqu'un. Beaucoup de petits indices, tel un puzzle, nous aident à restaurer l'âme d'une personne. Et la vôtre me semble très douce.
Jaya devait admettre qu'elle avait raison. En effet, il est parfois possible de déchiffrer les pensées d'une personne à travers son comportement, sa gestuelle et son regard. Cependant, Varvara avait seulement réussi à dévoiler une partie de la vérité. Elle pouvait se montrer douce et aimable, mais la balance de son impulsivité et de sa colère pouvait rapidement s'incliner de manière fâcheuse.
La noble épouse lui sourit doucement en remerciement. Cette jeune servante savait adoucir l'ambiance et rassurer les cœurs meurtris.
Elles gravirent plusieurs étages supplémentaires, empruntant un système sophistiqué « d'ascenseurs », disponible dès le deuxième étage. Pour Jaya, qui n'avait jamais vu de telles machines auparavant, c'était une expérience fantastique. La cabine en fer était suspendue à un mécanisme complexe de cordes métalliques. Selon Varvara, ce système était plus pratique pour atteindre les hauteurs et économiser son énergie. Avec le nombre considérable de marches à gravir pour accéder aux derniers étages, Jaya comprenait parfaitement que certains puissent arriver sur les genoux.
Les deux femmes s'arrêtèrent à l'avant-dernier : les quartiers royaux des princes. Le couloir à droite de la plateforme appartenait au prince Leftheris et celui de gauche, à Vadim. Autrement dit, à elle aussi, désormais.
Alors qu'elle marchait sur la passerelle, Jaya sentait presque le vertige l'envahir. Heureusement, des gardes-fous bien placés évitaient toute chute. À cette hauteur, la moindre erreur de pas pourrait être fatale. Le couloir qui s'étendait devant elles semblait interminable, mais elles finirent par arriver devant une porte massive, ornée d'énormes hanses dorées en forme de visages reptiliens. Bien que la porte paraisse extrêmement lourde, Varvara l'ouvrit presque sans effort, comme si elle avait l'habitude de le faire.
— Voici votre chambre, princesse.
Faisant trois pas au centre de la pièce, Jaya s'imprégna de l'aura de cet endroit... lugubre. Oui, lugubre était le bon mot. Le sol de dalles polies accueillait un grand tapis à motifs verts et or. D'affreuses tapisseries poussiéreuses jalonnaient les murs de briques taillées. Pas une once de verdure ou de lumière. Les épais rideaux de velours sinople cachaient l'accès à la grande fenêtre située à l'extrême droite de la chambre. Et au centre, tel le trône du roi, siégeait un grand lit aux draps semblant froids et inconfortables.
Les yeux de Jaya se bloquèrent sur ce dernier qui lui cracha en pleine figure la réalité qui l'attendait.
— Ce n'est pas très chaleureux comme décoration, le prince Vadim a des goûts très spéciaux pour ça.
Tout en déposant des serviettes propres sur la belle commode de bois, Varvara lui pointa l'arche en demi-cercle à l'extrême gauche de la chambre.
— Vous avez la salle d'eau juste ici, si vous voulez vous faire couler un bain. L'eau provient directement des sources chaudes, elle est d'une pureté incroyable et pleine de bons nutriments pour la peau, vous verrez. Ce n'est pas pour rien si elle est réputée par ici pour nourrir les corps éreintés et les protéger du froid, que ce soit humain ou végétal...
Soudain, interrompant les explications de la jeune servante, trois coups résonnèrent à la porte, faisant sursauter Jaya. Cependant, son soulagement fut palpable lorsqu'elle comprit qu'il ne s'agissait que d'une autre domestique. Cette dernière était plus âgée que Varvara, avec une peau plus foncée et un regard sombre.
— Je vois que la princesse est enfin arrivée dans ses quartiers.
Jaya baissa timidement les yeux devant cette dame qui la fixait sans démordre. Celle-ci portait un visage inexpressif qui, contrairement à celui de Varvara, ne mettait pas à l'aise.
C'était donc elle la fameuse épouse ? Elle semblait si frêle et fragile, elle ne ferait pas long feu entre les mains calleuses du prince.
— Le seigneur Byron m'envoie. Nous sommes là pour vous servir, votre altesse, vous n'avez pas à avoir peur. Avez-vous besoin de notre aide pour votre bain ?
— Oui et... m'aider à défaire les lacets de mon corset, s'il vous plaît.
— Très bien.
Se retournant, Jaya déglutit quand Varvara céda sa place à son aînée qui s'occupa de détacher les fils torsadés dans son dos.
— Comment vous sentez-vous, princesse ?
— Je... eh bien...
— Ne vous inquiétez pas, c'est normal d'être anxieuse lors de ce moment très important dans la vie d'une femme. Ce soir, vous allez devoir honorer ce mariage dans les formes.
Jaya se pétrifia devant ce faîte qu'elle savait inévitable mais qui la terrifiait.
— Une noble dame se doit d'être pudique et obéissante avec son mari. Tachez d'être calme, posée et prenez votre mal en patience. Ça passe avec le temps.
Que voulait-elle dire par là ? Ne ressentant plus la pression à sa taille, Jaya se retourna vers les deux femmes de chambre.
— Suivez-nous, nous allons vous faire couler un bain.
Les deux domestiques s'éclipsèrent vers l'arche située à gauche. Jaya profita de ce court répit avant de se retrouver seule dans ce cachot, cet antre marital dénué de toute chaleur, submergée par ces conseils horribles qui tournoyaient dans sa tête et troublaient son esprit. Comment pouvait-elle trouver l'appétit dans de telles circonstances ?
Oui... Un bain pourrait peut-être lui changer les idées.
Au-delà de l'arche ouvert, Jaya découvrit une pièce supplémentaire taillée dans les mêmes pierres. Au milieu, trônait une belle et grande baignoire ronde sur pieds, surélevée sur un léger promontoire accessible par une marche. Sans attendre davantage, Varvara vint en aide à Jaya pour retirer sa robe. À la lueur vacillante d'une bougie, l'ombre de son corps nu dansait sur le mur. Timidement, la noble tenta de dissimuler sa poitrine aux yeux ronds de la jeune domestique qui ne la lâchait pas du regard.
— Waouh, vous êtes si belle, princesse. Votre peau est aussi lumineuse qu'un clair de lune.
Un mince sourire, plus proche d'une grimace que d'un véritable remerciement, fut la seule réponse que Jaya offrit à la servante qui ne cherchait qu'à la mettre à l'aise, sans succès. Pendant ce temps, de l'autre côté de la pièce, la domestique plus âgée tourna un robinet doré d'où l'eau s'écoula. Jaya était étonnée de voir un tel système moderne, car à Alhora, on remplissait les baignoires à l'aide de jarres. Était-ce aussi une invention venant du continent ?
Une douce vapeur s'échappa de l'eau qui montait. Y trempant les doigts, elle était à parfaite température. Bien assez pour réchauffer un être gelé. Lorsqu'elle s'y glissa, encouragée par la domestique, Jaya soupira d'aise.
Après un tel voyage, elle ne désirait qu'une chose : se prélasser et retrouver la légèreté de son corps, libéré de la lourdeur des vêtements. L'eau chaude avait un effet stimulant sur son corps qui, comme le froid, faisait durcir et enfler les boutons roses au centre de ses seins. Pour l'instant, personne ne viendrait la déranger. Avec leur dîner en cours, elle avait encore du temps pour elle.
Jaya redoutait l'arrivée de Vadim, car elle le savait... Il viendrait. Il entrerait dans cette chambre et se coucherait avec elle. Il tenterait peut-être plus... Comment allait-elle contenir toute cette émotion négative ? Comment allait-elle se défendre ? Ces barrières secrètes de son être n'étaient prêtes à s'ouvrir que pour Tiordan... pas pour lui.
Pas pour ce défiguré dont le visage hantait ses cauchemars.
Être pudique et obéissante... Allait-elle y être forcée ?
Ses idées noires se multipliaient à tel point où une première larme coula sur sa joue. Elle se mêla à l'eau et tomba dans le bain. Une goutte dans la mer que personne ne vit.
Elle n'était pas prête.
❅
— Ton épouse est bien installée ?
— Probablement. Les servantes s'occupent d'elle bien mieux que quiconque.
Sans son masque, le visage incliné vers l'assiette, Vadim préleva un morceau de son dîner qu'il mastiqua sans grandes convictions. Dans la grande salle des repas, Byron, assis à l'autre bout de la table, ne le lâchait pas des yeux. Voir l'allure sauvage de son fils lorsqu'il mangeait, presque affalé sur la table lui fit dresser les poils dans la nuque. Il avait été mieux élevé que cela !
— Tiens-toi mieux à table, je t'en prie.
Le jeune homme soupira sans pour autant obéir. Pourquoi ne prenait-il pas exemple sur Leftheris et n'en faisait qu'à sa tête ? Toutefois, Byron jugea que ce n'était pas le moment des leçons de bonnes manières. Il avait d'autres préoccupations quant à ce tête à tête familial.
— Comment ça se passe avec elle ?
Vadim lâcha sa fourchette, incommodé par ces questions bien trop intrusives. Que pouvait-il lui dire ? Que la princesse était révulsée par son visage ? L'œil intéressé de Leftheris à son égard l'énerva davantage. Qu'il garde sa curiosité pour lui...
— Sommes-nous obligés de parler de cela, père ?
— Évidemment. Le royaume des Northwall est l'une des puissances hiérarchiques majeures de Glascalia. Ce sont les dirigeants du nord et malgré leurs terres isolées, ils sont plus prospères que nous à bien des égards. Le pacte de financement que nous avons établi reposait initialement sur les grandes capacités monétaires d'Alhora grâce au gisement des mines du glacier. D'après le roi Frost, sa cité dispose de près de neuf-cent kilos d'or et d'argent de très bonne réputation sur les marchés, car pur à quatre-vingt-dix neuf pour-cent. À cela s'ajoutent dix tonnes de fer prêtes à être fondues, destinées à lancer la production en série d'armes pour équiper notre armée.
Le revoilà parti dans ses monologues assommants, songea Vadim. Comme s'il n'était déjà pas au courant de tout cela...
— Nous avons consenti à un effort financier considérable : entre les eaux de nos sources et les victuailles fournies, notre contribution n'est pas négligeable. Pourtant, le leur dépasse largement tout ce que nous avons pu offrir. Alhora peut s'assurer de jouir d'une protection optimale de la part de Cassandore, nous devons donc tout faire pour que cette jeune princesse se sente à l'aise chez nous. Je ne voudrais pas que le roi Frost rompe notre pacte maintenant que nous avons obtenu sa confiance. Nous perdrons beaucoup trop dans ce cas de figure. Il a l'air de tenir énormément à sa fille, alors je te prierais de la traiter correctement pour ne pas qu'elle ait à se plaindre. Tu sais très bien ce que tu as à faire, tu es un homme.
Sa coupe dorée entre ses longs doigts, Byron avala une gorgée de vin.
— Au plus vite elle portera un enfant, au mieux ce sera pour l'alliance. Ainsi, Alhora ne pourra plus se désister.
❅
Fraîchement sortie du bain, Jaya pénétra dans la chambre vêtue d'une robe de nuit blanche, traînant ses pas jusqu'aux rideaux clos, tandis que les servantes finissaient de vider la baignoire. Elle était curieuse de voir ce qu'il y avait dehors. Une pellicule de poussière sombre recouvrait le tissu, signe qu'ils n'avaient pas été déplacés depuis longtemps. Vadim ne devait pas ouvrir souvent sa fenêtre. Elle les écarta pour découvrir la vue sur Cassandore depuis les hauteurs. Des milliers de minuscules lumières brillaient dans l'obscurité, enflammées dans le noir. La pleine lune était majestueuse et les étoiles semblaient danser en sa compagnie. Quel magnifique panorama ! Elle aurait aimé laisser ces fenêtres ouvertes en permanence rien que pour pouvoir admirer cela depuis son lit.
Soudain, le grincement sinistre de la porte attira son attention et la glaça.
Des pas s'enchaînèrent dans son dos, très lents, puis s'arrêtèrent. Son souffle se bloqua. Tendue comme la corde d'un arc, Jaya n'osa se retourner. Elle savait de qui il s'agissait...
— Laissez-nous.
Un seul ordre, lancé d'une voix grave, avait suffit pour que les servantes se pressent vers la sortie. L'œil humide de Jaya les suppliait de ne pas l'abandonner dans cet enfer.
Trop tard... la porte se referma.
Le moment qu'elle redoutait le plus était sur le point d'arriver.
Ne le regarde pas... Il allait peut-être en faire de même. Jaya resta figée devant la fenêtre, les bras croisés. La silhouette de l'homme se dessinait de façon trouble dans la vitre. Il ne portait pas son loup. Sa respiration accéléra lorsque les pas reprirent.
Vadim s'arrêta juste derrière elle, immobile. Le parfum fleuri de la jeune femme chatouilla ses sens. Il distinguait sur la peau pâle de son cou à découvert quelques perles d'eau. Un appel à butiner, une douceur à goûter qui, dans cette ambiance tamisée, l'exacerbait jusqu'à désirer ce corps vierge de toutes traces d'amour.
Elle était si petite... elle ressemblait à une poupée de porcelaine et en avait probablement la fragilité.
Jaya sentait sa présence collée à elle, la chaleur de son corps musclé irradier et bouleverser le sien. Ce géant était plus proche que jamais, à travers la vitre. Pas un seul mouvement ne la trahissait, juste sa respiration et les battements fous de son cœur frappant dans ses oreilles.
Jusqu'à ces mots...
— Déshabillez-vous, Jaya.
Avait-elle bien entendu ? Elle n'eut le temps d'ouvrir la bouche pour contester que la main câline de Vadim glissa le long de son bras jusqu'à s'enrouler à sa taille. Il l'attira à lui et très vite, ces gouttes d'eau furent son obsession. Ses lèvres s'insinuèrent à leur source, son cou délicat, pour s'en enivrer. Ses doigts habiles trouvèrent rapidement une ouverture dans la robe de nuit de la jeune femme, lui permettant de s'y glisser et toucher cette peau si douce de vierge qu'il n'avait jamais connu ; lui, habitué aux femmes de passage.
Le cauchemar de Jaya prenait vie et affolait son palpitant. Tétanisée les premières secondes, elle se réactiva lorsqu'il atteignit la rondeur affriolante de sa poitrine. Son corps ne l'écoutait plus, elle se débattit, lui clama son refus et pivota pour échapper à son emprise. Sa main se leva d'elle-même pour lui asséner une gifle pour toute défense.
Or, Vadim la retint violemment par le poignet, l'arrêtant en plein vol.
Désormais face à lui, son visage scarifié la flagella. Il la fixait avec une intensité déconcertante, ses yeux portant les stigmates du tonnerre. Fougueux, furieux et menaçants. Jaya baissa lamentablement le regard, terrifiée par ce qu'il pourrait lui faire. Elle tremblait de tout son être, sur le point de s'effondrer. Elle avait failli dans son rôle de femme noble et obéissante, mais elle refusait de lui offrir sa virginité. Pas à lui...
Braqué sur elle, Vadim laissa redescendre une partie de sa colère face à la crainte palpable de sa jeune épouse. Sa voix n'était plus qu'un murmure.
— Vous savez, princesse, dans notre situation, nous avons un devoir conjugal l'un envers l'autre. Il faut vous mettre en tête qu'un jour, vous allez devoir sérieusement y songer et vous y plonger corps et âme.
La poigne rigide se relâcha enfin de sa peau sensible. Jaya retira sa main en vitesse, la serrant contre sa poitrine presque à découvert, tant il avait tiré sur son linge. Elle portait les marques rouges de ses cinq doigts.
— Je vous laisse cette nuit, car malgré tout, je suis un homme qui sait respecter le refus des femmes. Mais dites vous que ça ne sera pas éternel. Un jour, vous finirez par vous offrir à moi... Ma très chère épouse.
La malheureuse n'osa bouger de peur d'aggraver les choses. Elle releva les yeux seulement lorsqu'il tourna les talons en passant une main dans ses cheveux nettement coiffés sur le côté.
— Passez une agréable nuit, princesse.
Il s'en alla, claquant la porte. La pression en elle explosa, un sanglot s'échappa contre son gré. Trop de souffrance la torturait jusqu'à lui faire embrasser le sol froid. Jaya était seule dans cette chambre, mais pour combien de temps ? Combien de temps allait-il lui laisser ?
Sa mise en garde dans le traîneau prenait tout son sens, à présent...
Il allait se montrer plus qu'intransigeant avec elle et lui faire regretter d'avoir été si peu reconnaissante.
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