Quand la Nuit Retrouve le Jour 3/4
— C'est donc ici que tu vis ?
Enlacés dans ce lit en peaux de bête, encore chaud et parfumé de leurs ébats, Jaya et Vadim profitaient du calme que leur offrait la douce lueur du jour se levant par la fenêtre. L'ivresse de la nuit avait laissé place à la tendresse du matin, ramenant un calme bienvenu après l'incendie. Cette nuit, il lui avait fait l'amour avec une sorte de joie inébranlable qui laissa penser à la jeune femme que l'abstinence masculine était une denrée sous-estimée. La brune croyait fermement que son coeur allait finir par exploser tant il l'avait faite gémir jusqu'à en mourir de plaisir.
Ils avaient jouis tous les deux, à de nombreuses reprises, tout au long de cette nuit qui leur appartenait. De l'amour sans cesse, de l'encore, lui sur ses seins, sur ses fesses, sur ses lèvres et partout sur son corps. Ils s'étaient dit que le jour pouvait bien attendre, mais ne purent le repousser. Éreintée, Jaya avait posé sa tête sur son torse musclé, une étoile rallumée près de lui qui lui soufflait de douces paroles.
Qu'il était bon de se retrouver après avoir été si longtemps malheureux.
Glissant ses doigts sur le satin de son épaule, il la serra davantage contre lui, capturant toute sa chaleur.
— Oui, lui répondit-il. Ce n'est plus le même confort qu'au Beffroi, mais on s'y fait vite.
— Tu es ici depuis un an ?
— À peu près. Ça doit faire huit ou neuf mois.
— Où étais-tu avant ça ? Qu'est-ce que tu as fais durant tout ce temps ?
— J'ai erré un peu partout, j'ai dormi dans des grottes, dans des arbres, parfois... Ça n'a pas été de tout repos. J'avais trouvé un refuge à Alhora, de vieilles personnes m'avaient permis de dormir sous leur toit. Ils ignoraient qui j'étais, ils pensaient que j'étais un voyageur perdu, un pauvre diable sans famille, et leur hospitalité a été grandement bénéfique à ma survie. Quand j'ai enfin quitté Alhora pour rejoindre les Montagnes Boréales, j'ai marché à travers le glacier durant des jours et me suis battu pas mal de fois avec des lycans et d'autres créatures des neiges. Ça, par exemple...
Il montra une griffure cicatrisée mais encore rougeoyante sur sa clavicule et une autre sur son bras gauche.
— C'est les meutes de lycans. J'en ai une autre dans le dos. Ça fait plutôt mal, mais j'ai rapidement récupéré. Des marques en plus, ça ne se verra même pas. Ces saloperies attaquent toujours à plusieurs. Un, c'est une chose, mais trois ou quatre, ça change la donne et il faut se montrer plus combatif que jamais si tu veux espérer survivre. Heureusement, j'ai compris que ces êtres nocturnes craignaient la lumière. Eh puis, j'ai fini par tomber sur un village de mages qui a bien voulu m'accueillir. Je suis devenu un membre à part entière de cette communauté en les aidant dans leurs tâches quotidiennes.
Il avait donc trouvé le hameau... Et ils y étaient, en ce moment même, en sécurité. Cette pensée fit doucement sourire Jaya, alors que son index redessinait la forme d'une large cicatrice sur la poitrine de son cher époux. Sa voix portait les vents de la mélancolie.
— Tu étais si proche de moi... Mais en même temps si loin.
Il sentit l'urgence de prendre le contrôle, de la surplomber et de la posséder. Il glissa sa main sous sa cuisse, la ramenant au plus près de son torse.
— Je ne le suis plus désormais. Je suis là et je ne m'en irai plus.
Front à front, Jaya caressa sa joue en fermant les yeux. Sous ses paupières se repassait toute cette année de souffrance vécue sans lui. Toutes ces épreuves qui n'étaient désormais que de mauvais souvenirs. Ils étaient ensemble, c'était ce qui importait à présent.
— Tu m'as tellement manqué, Vadim... J'ai tellement de choses à te raconter, moi aussi. Tu sais, en dernier, durant mon voyage, j'arrivais à me dire que peut-être... tous mes efforts étaient stupides, irréfléchis. Que tu ne m'aimais plus, si tu n'avais pas cherché à me retrouver. Que peut-être tu... tu avais refait ta vie, quelque part, et que... tu ne voudrais plus me revoir.
Son visage triste le frappa en plein cœur. Elle n'avait pas changé, malgré tout ; sa naïveté prônait toujours dans ses moments de doutes. Tendrement, il appuya ses lèvres sur son front et y resta de longues secondes, afin d'y imprimer tout l'amour qu'il lui portait. Jaya ferma les yeux, se laissant bercer par sa douceur, se sentant aimée et protégée dans ses bras.
— Jamais de la vie, Mëyrtania... Je n'ai jamais cessé de t'aimer une seule seconde. Je ne t'ai jamais oubliée. Tu couchais toute nue dans mon esprit, tellement que je n'arrivais plus à dormir. J'ai été bloqué ici malgré moi, mais... Tout arrive pour une raison, de la façon exacte que le destin nous choisi. Nous étions voués à nous revoir, Jaya. J'aurais retourné ciel et terre pour te retrouver et... si je n'y étais pas parvenu, j'aurais attendu des centaines d'années, un millier, si j'étais certain que tu me reviendrais. Car je savais que l'attente aurait valu le coup. Je t'aurais même cherché dans une autre vie, à l'infini. Heureusement, je n'ai pas eu à attendre aussi longtemps et... Même si hier, je me suis emporté quand je t'ai vue ici, seule et blessée... je remercie le destin de t'avoir menée jusqu'à moi, saine et sauve. Quand j'ai entendu ta voix dans cette montagne, j'ai cru devenir fou. Je n'aurais jamais cru que tu étais si courageuse, si forte... et que tu ferais autant de sacrifices pour moi. Tu n'imagines pas... la sensation que ça me procure.
Il avait conclu sa phrase avec une émotion indescriptible. En effet, elle s'était battue pour lui, pour sa mémoire, envers et contre tous et elle ne regrettait rien. Aujourd'hui, plus que jamais, elle était fière de ses propres capacités et de son acharnement qui lui avait permis de le retrouver. Lui, cet homme si précieux, l'amour de sa vie.
Et elle scella cet amour de part un langoureux baiser.
Elle gloussa doucement contre ses lèvres avant de s'éloigner légèrement pour l'admirer. Sa petite main se posa sur sa joue hirsute, caressant chaque poil blond avec délicatesse. Son regard brillait d'une affection sincère.
— Ça te va bien la barbe... mais ça pique quand tu m'embrasses.
Il sourit à son tour.
— Tu voudrais que je la rase ?
— Non... je m'y habituerai. Tu n'as pas besoin de changer. Tel que tu es... C'est tout ce dont j'ai besoin.
Son sourire ensoleillait ses envies. Oui, elle ramenait le soleil d'été dans ses longs jours d'hiver. Elle avait ces seins qui portaient le goût du encore, ces fesses incandescentes où l'on se sentait bien et ce corps qu'il avait fini par connaître par cœur, tout en restant une découverte à chaque fois. Il pourrait la regarder des heures durant, se sentir en vie maintenant qu'elle était à ses côtés. Comme autrefois.
— Dis... Est-ce que tu t'es touchée durant mon absence ?
Surprise, Jaya posa un œil outré sur cette demande subite et licencieuse. Ses pommettes rosirent aussitôt.
— Vadim !
— Oh, s'il te plaît, je veux savoir. Je ne veux pas croire que tu sois restée un an plein sans essayer de te toucher. Je connais les petits penchants charnels de madame Blanchecombe.
Le baiser qu'il posa dans son cou fit augmenter son sourire à cause du chatouillement qu'il provoqua.
— Si tu veux tout savoir, oui, je me suis touchée.
— Ohh... J'en frissonne rien que d'y penser. Et tu pensais à moi ?
— À qui veux tu que je penses ?
— Je l'ignore...
— Et toi ? Tu t'es touché ?
Il ricana, d'un air égrillard.
— Je ne pourrais compter le nombre de fois.
— Oh... Et tu pensais à moi ?
— Hm... Pas toujours...
Elle fronça les sourcils, scandalisée, devant son sourire espiègle.
— Je pensais aussi à la vieille tavernière de l'auberge d'Alhora. Grr, son double menton me faisait fondre.
Leurs rires tourbillonnèrent dans la pièce, si bien que Jaya en oublia le monde extérieur une fraction de seconde.
Avant d'être ramenée de force à la réalité.
Des coups frappés à la porte du chalet firent éclater leur bulle d'intimité. La princesse se pétrifia sous lui, livide, effrayée à l'idée que ce soit un danger. Les soldats à sa recherche ? Ou pire encore... Leftheris ? Le visage de Vadim s'était instantanément fermé. Son regard se braqua vers la source du bruit qui s'acharnait à frapper à leur porte.
— Qu'est-ce que c'est, Vadim ?
— Ne bouge pas d'ici.
Sa voix ne laissait place à aucune contradiction. Le blond se leva et remit rapidement son pantalon avant de se diriger vers la porte d'entrée. Un rapide coup d'œil par la fenêtre givrée et il soupira, d'un air agacé.
Jamais il ne pouvait être un peu tranquille...
Lorsqu'il ouvrit la porte, une silhouette vêtue d'un long manteau de fourrure blanc se dessina dans l'encadrement. Des mains fines et élégantes se rejoignirent sur le devant de la cape, en attente de voir apparaître le propriétaire des lieux. Celui-ci, les sourcils arqués dans une expression de surprise mêlée d'indignation, cracha ses mots avec colère :
— Par le ciel maudit, mais qu'est-ce que vous fichez ici à cette heure ?
Il s'agissait d'une femme d'âge mûr. L'ossature dense de son visage, caché de moitié sous sa capuche, accentuait la dureté de ses traits où se mêlait une once de moquerie. Elle le regarda de haut en bas, se demandant pourquoi diable portait-il une tenue si légère par ce froid.
— Charmant accueil, dites-moi... On se lève du mauvais pied ?
— Qu'est-ce que vous voulez ?
La nouvelle arrivante fit un pas sur le seuil du chalet, ignorant totalement l'œil furax que lui prêtait le prince déchu.
— J'ai entendu du bruit, hier soir... Je voulais venir dans la nuit, mais j'ai eu peur de déranger ou te faire perdre une proie. Je me suis dit que tu chassais peut-être.
— C'est que...
De sa place, Jaya écoutait l'échange avec attention, sans bouger, mais sa curiosité brûlait en elle comme un feu ardent. Elle s'enroula délicatement dans le drap et contourna le lit avec précaution, le long du mur pour ne pas être vue. Elle se pencha discrètement à l'orée pour observer la scène. Qui était cette mystérieuse femme au manteau blanc ? Pourquoi Vadim lui parlait-il de manière si sèche ?
Soudain, le regard de la femme croisa le sien, la plongeant dans la panique. Jaya se cacha aussitôt derrière le mur, essayant de reprendre son souffle, son cœur battant à tout rompre.
— Qui est-ce ?
Vadim remarqua immédiatement que la nouvelle venue avait capté quelque chose derrière son dos. Il n'eut aucun mal à en déduire que Jaya avait encore choisi de désobéir. Cette curiosité corrosive était maudite par les dieux, et Jaya ne parvenait visiblement pas à s'en défaire. Un soupir las s'échappa de ses lèvres, alors qu'il pinçait l'arête de son nez, cherchant à apaiser la frustration qui montait en lui.
— C'est... C'est une longue histoire.
— Tu vas devoir me donner plus de détails, mon garçon. Je ne l'ai encore jamais vue ici... Elle vient du pied des montagnes ?
— Oui.
— Elle n'a rien à faire au village, surtout sans s'être présentée et avoir demandé l'asile.
— Je vous en prie, ne vous inquiétez pas pour ça. Pour tout vous dire, il s'agit de mon épouse.
— Votre épouse ? Tiens donc, vous êtes marié.
— Oui, et vous n'avez rien à craindre d'elle. Je l'ai retrouvée hier soir dans la Forêt de Süvnica, blessée et gelée. Elle est venue me chercher jusqu'ici.
La femme ricana.
— Sacrées retrouvailles, alors, d'après ce que j'ai entendu.
Vadim lui appuya un œil noir, lui déconseillant d'en rajouter.
— Venez me voir à mon chalet, au plus vite. Je crois que vous avez quelques explications à me donner si vous voulez qu'elle reste ici. D'accord ?
Clôturant son discours, la femme tapota la joue de Vadim d'un air condescendant, avant de tourner les talons. Il détestait quand elle faisait ça et lui aurait volontiers broyé la main. Il referma alors la porte, frigorifié par le vent s'étant infiltré dans le chalet pour frapper la peau nue de son torse. Il relâcha un soupir.
— J'avais presque oublié à quel point tu n'écoutes rien lorsqu'on te dit quelque chose.
Doucement, presque honteuse, Jaya sortit à nouveau de sa cachette, la tête basse.
— Je suis désolée... Je ne t'ai pas apporté de problème, au moins ?
— Non, ne t'en fais pas. Elle est impressionnante, mais elle n'est pas méchante.
— Qui est cette femme ?
— C'est la cheffe, c'est grâce à elle si j'ai pu intégrer ce hameau. Elle est assez méfiante concernant les gens venant du pied de la montagne, mais... je vais lui parler et tu pourras rester ici.
Sans bouger, Jaya le regarda enfiler son maillot de corps, son chandail, puis sa cape de fourrure qu'il récupéra sur la table. Elle s'affola, soudainement.
— Tu... tu t'en vas ? Tout de suite ?
Devant la panique flagrante dans sa voix, le blond releva un œil étonné sur elle.
— Oui, mais je n'en ai pas pour longtemps.
Doucement, il était venu à elle pour agripper ses mains à ses épaules. Elle sentit son contact réconfortant se propager dans tout son corps, une sensation de sécurité et d'amour qui la calma instantanément. Il laissa glisser ses mains le long de ses bras. Elle ne voulait pas qu'il parte, elle aurait l'impression qu'il ne reviendrait plus, comme avant, et cela la terrifiait. Elle ferma les yeux, s'imprégnant de la chaleur de son corps. Plus jamais elle ne voulait le quitter maintenant qu'elle l'avait retrouvé.
— Je vais arranger ça, ne t'inquiètes pas.
— Promis ?
— Promis. Reste ici et ne sort pas du chalet, je reviens vite. D'accord ?
Elle acquiesça silencieusement de la tête avant de s'approcher lentement de lui, glissant sur la pointe des pieds pour atteindre son visage et l'embrasser avec passion. Enveloppant ses bras autour de son cou, elle laissa tomber le drap qu'elle tenait, révélant ainsi son corps nu, d'une beauté à couper le souffle, que Vadim caressa avec tendresse. Un soupir étouffé s'échappa de ses lèvres alors qu'il la pressait contre lui, rempli d'amour. Ses doigts envieux se crispèrent sur la rondeur de sa tendre croupe qu'il aimait tant.
— Tu ne veux vraiment pas que je parte... lui susurra-t-il.
— Je ne veux plus que tu partes... Plus jamais...
— Je ne partirai plus jamais, Jaya, je te le jure sur ma vie. Attend une seconde...
Se détachant d'elle, Vadim partit vers le brasero où brûlait encore une petite flamme. En dessous, il tira un plat en bois encore tiède qu'il donna à Jaya. À l'intérieur, il y avait des petits pains. Leurs croûtes dorées exhalaient une odeur alléchante qui chatouillait les narines de la jeune femme affamée. Elle ne pouvait s'empêcher de saliver en les regardant.
— Tiens, tu vas manger un peu, ce sont des pains fourrés à la pâte de baies bleues. Les gens du hameau les préparent eux-mêmes et c'est délicieux. Régale-toi, il faut que tu reprennes un peu de poids. Y a pas grand chose à agripper, là dedans.
Il tâta d'un doigt les côtes saillantes de la jeune femme qui esquissa un sourire, face à ce geste.
— Tache de te reposer un peu, aussi. Tu es chez toi, ici, et on a tout notre temps, désormais.
Ces seuls mots la soulagèrent d'un poids immense. Elle se sentait enfin chez elle, ici, avec lui. Un havre de paix où elle pouvait enfin être elle-même et laisser derrière elle les stigmates de ses douleurs passées. Avec lui, ils n'existaient déjà plus. L'embrassant une dernière fois, elle le laissa partir, fixant encore la porte même lorsqu'il disparut derrière.
Pour la première fois depuis longtemps, elle se sentait réellement en sécurité.
Elle baissa alors les yeux sur les petits pains qui lui semblaient délicieux. Son estomac creux gargouillait, impatient de goûter ces douceurs. Sans attendre davantage, elle en saisit un et mordit dedans. Un peu sec en bouche, la confiture de baies bleues à l'intérieur était sucrée, acidulée et délectable. Leur texture était légèrement croustillante et s'effritait sous ses doigts. Elle ferma les yeux et soupira de bien-être, savourant chaque bouchée.
Cela lui rappelait un peu les biscuits que faisait Symphorore, autrefois.
Elle se laissa enfin aller, son corps fatigué retombant dans le lit, le plat de sucreries dans les draps. Le nez perdu dans l'oreiller, elle inspira avec bonheur l'odeur de son cher mari, imprimé dessus. Un moment de pur détente, un moment qu'elle chérirait pour toujours.
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