Flash-Back ❄️ Père et Fille
V A R V A R A
~
Le Beffroi...
J'y fais face avec une certaine appréhension, une certaine peur que je ne peux expliquer. Comme si je n'y avais jamais mis les pieds auparavant, alors qu'il a été mon lieu de vie depuis ma naissance.
Des mois que je n'y suis pas revenue, des mois que je me cache depuis l'incident qui a plongé la ville dans le chaos quand le prince Vadim a perdu la raison.
Des mois que je porte ce ventre bien trop lourd pour mon corps frêle.
Si je suis là aujourd'hui, ce n'est pas pour réclamer à nouveau mon toit, ou même le pardon du roi pour avoir déserté, non... Si je suis là, c'est parce que mon envie de réponses arrive à son apogée. Je ne pourrais plus vivre sans y penser et me sentir mourir à chaque fois que je verrais le visage de ma mère en me fixant dans le miroir.
Je dois voir le roi, c'est impératif.
Certes, il est osé de me ramener ainsi pour quérir l'attention du souverain, mais je ne puis faire autrement. Mon cœur guide mes pas et me dicte vers la voie qui me semble la plus juste. Je veux savoir. Savoir si ce que ma mère m'a dit est vrai.
Si le roi Byron Blanchecombe est réellement mon géniteur.
Enroulée dans ma cape, je passe presque inaperçue dans la cour. Seulement, des gardes bloquent l'entrée et me barrent la route quand je souhaite m'avancer.
— Halte !
— Qui êtes vous ?
Je frissonne en baissant la tête de manière à ce mon visage soit caché sous ma capuche, je n'ai pas envie d'être vue ici, ni qu'on puisse me brutaliser pour partir. Je connais ces gardes et comment ils peuvent se montrer rustres envers les indésirables voulant pénétrer ce fief sacré. Une main sur mon ventre rond, caché sous ma longue cape, je recule d'un pas.
— Je suis une... ancienne servante. Je voudrais voir le roi.
L'un d'eux ricana.
— Ben voyons... Si c'était si simple.
— Qu'est-ce que vous lui voulez ?
— Juste... m'entretenir avec lui.
— Ça ne va pas être possible, petite. Tu ferais mieux de rentrer chez toi.
— Mais, je...
— Circule, on a pas que ça à faire.
Je fais un pas en arrière. Leur ton menaçant ne me rassure pas du tout. Autant ne pas insister et trouver une autre façon de parler au roi. Je pars donc docilement sans faire de vague afin de ne pas éveiller les soupçons et me poste près du mur extérieur entourant la tour. Je soupire. Je vais devoir attendre et me cacher en espérant voir le roi sortir.
J'espère ne tomber que sur le roi... non sur son général.
Leftheris... Penser à son simple prénom m'offre de terribles tremblements, autant de regrets que d'émotions. Mon cœur se serre. Mes mains enveloppent mon abdomen protégeant le petit être y enflant doucement, pesant de plus en plus lourd. Si j'avais su tout ce que mon amour pour lui allait engendrer... Tous ces sacrifices, toutes ces déceptions, tous ces morts, dont ma précieuse mère... Je me serais crevé les yeux pour ne plus jamais le revoir, ni l'aimer, lui et son visage d'ange.
Ce qui grandit en moi est la cerise sur ce gâteau dégoulinant de désillusion.
La brisure dans mon âme n'en était que plus longue et douloureuse.
Soudain, des bruits de sabots attirèrent mon attention. J'ignore ça fait combien de temps que je suis là, debout derrière le mur à attendre, mais ma patience a été récompensée. Je vois un carrosse royal sortir du Beffroi. Je plie légèrement les genoux pour me camoufler dans l'ombre du coucher de soleil et aiguiser mon regard pour apercevoir une belle chevelure neigeuse dépasser de la fenêtre du véhicule.
Mon cœur cesse de battre. Il est là.
C'est ma seule chance.
Sans penser aux conséquences, je m'élance vers le convoi dans une marche rapide qui m'essouffle. Je lève un bras pour marquer ma présence et clame :
— Attendez ! S'il vous plaît !
Aussitôt, les gardes autour du carrosse s'arrêtent. Les chevaux, probablement surpris par mon élan de voix, s'ébrouent avant d'en faire de même. Le cocher rouspète et me jette un œil révulsé que j'ai du mal à ignorer. Aussitôt, les soldats se plaquent devant moi, la main sur leur fourreau.
— N'avancez pas !
— Je vous en prie, je dois parler au roi !
— Je vous demande de partir, jeune fille. Reculez !
— Pitié...
— J'ai dis reculez !
Le garde m'attrape violemment par le bras. Il serre si fort que je sens ses doigts pénétrer ma peau au point de m'en faire mal. Je vois dans ses yeux qu'il serait prêt à me jeter au sol si j'insiste... Cette simple idée fait monter en moi l'envie de fondre en larmes tant la peur cogne dans ma poitrine.
— Qu'est-ce qui se passe, messieurs ?
Je le vois enfin... Il est tout près. Le Seigneur Byron.
Il vient d'ouvrir la fenêtre du carrosse pour s'enquérir de l'arrêt subit de son escorte. Son élan de voix est gorgé d'agacement, tout comme ses yeux gris qui se posent sur moi et me foudroient.
Je me liquéfie devant ce regard qui me transperce.
— Une jeune paysanne nous a interpellés, mon roi. Elle clame vouloir vous parler. Dois-je la faire partir de force ?
— Tiens donc...
Le murmure du seigneur Blanchecombe m'a parvient malgré moi. Il ne me quitte pas des yeux, comme s'il était surpris de me voir. C'est peut-être le cas ? J'ai disparu du Beffroi sans donner de motif après la mort de ma mère, le deuil étant trop difficile, surtout avec l'ultime héritage qu'elle m'a laissée en mémoire. C'est audacieux de me présenter ainsi devant lui et ce serait normal qu'il me rejette avant même que je n'ai l'occasion de lui dire un seul mot.
— Je peux savoir ce que vous me voulez, jeune fille ?
Il fait comme s'il ne me connaissait pas, comme s'il ne m'avait jamais vue... Peut-être qu'il m'a oubliée ? Je n'étais qu'une vulgaire servante, après tout. Mais... J'ai tout de même grandi au Beffroi. Je me souviens encore de quand j'étais petite et que je me promenais dans les couloirs derrière ma mère. Je regardais ce grand homme avec des étoiles aux yeux à chaque fois que je le croisais.
Or, aujourd'hui, je ne peux que baisser les yeux devant l'œil contempteur qu'il m'adresse.
— Si vous vouliez bien me... me faire cet honneur, évidemment, je... Je voudrais vous parler, sire...
Seul à seule, si possible... Mais ça, je n'aurais pas le courage de le dire. Je prie Ymos de toutes mes forces pour qu'il le comprenne.
— Eh bien, parlez.
Mon cœur déchante. Jamais je n'oserais mettre le sujet de ma mère sur le tapis devant la garde. Mes lèvres tremblent tout comme mon corps sans que je ne puisse me contrôler. Je... je ne pourrais pas, c'est trop difficile. Pourquoi ai-je eu une telle idée stupide ?
Or, contre toute attente, le roi ouvre sa portière et sort du carrosse. Sa haute et élégante silhouette happe mon regard scintillant autant d'admiration que de crainte. Il se plaque devant son soldat qui me tient encore.
— Lâche cette fille.
Sans attendre, l'homme obéit et la pression à mon bras disparaît. Immédiatement, je m'incline aussi bas que mon corps faible me le permet.
— Mon roi... Je ne suis pas dangereuse, je n'ai pas d'arme. Vous pouvez me fouiller.
— Ce n'est pas la peine.
Je lève un œil désarçonné sur lui. Le soldat à mes côtés s'insurge devant le comportement intéressé de notre souverain.
— Mon roi, sauf votre respect, nous sommes attendus à la base militaire.
— Je le sais.
Il ne me quitte pas des yeux.
— Leftheris attendra un peu.
Il passe une main derrière mon épaule et je me frictionne. Je pourrais presque sentir sa froideur mordante à travers mes vêtements.
— Entrez dans le carrosse une minute. Nous resterons à l'arrêt.
La garde nous observe avec étonnement. Moi même je suis stupéfaite... Le roi en personne me fait l'honneur de partager un instant son carrosse ! Si j'avais pu imaginer une telle chose. C'est hésitante que je passe en premier, poussée par la main du seigneur Byron. Une pression m'a quittée pour m'en offrir une nouvelle ; sa poigne est ferme et même si je le voulais, je ne pourrais plus me désister. Il n'apprécierait probablement pas un tel affront.
Je m'assoie au bord du siège de cuir crème sans y poser mon dos, de peur d'altérer sa pureté avec mes vêtements usés. Quand il referme la portière derrière nous, je me sens prise au piège. Je triture nerveusement mes doigts et bégaye mes premiers mots.
— Mon roi, je m'appelle V...
— Oui, je sais qui vous êtes...
Je déglutis. Sa voix sonne comme une accusation à mes oreilles.
— Vous avez beaucoup de courage pour vous intercéder dans le convoi du roi... ou bien vous êtes complètement stupide.
Je baisse les yeux et m'excuse à nouveau, honteuse devant la vérité de ses paroles.
— Pourquoi revenir par ici ? Vous pensez que je vais prendre pitié de vous et vous réintégrer à mon service après que vous l'ayez déserté ? Sachez que vous montrer à moi après cela est une audace, jeune fille.
— Je le sais, mon roi et... et je m'excuse sincèrement. Mais non, je... je ne suis pas venue pour ça.
— Pourquoi alors ?
Mes mains s'accrochent au jupon de ma longue robe viride, froissant le tissu partiellement taché par le thé que madame Pranpline a renversé sur moi, le matin même.
— Vous... Vous avez dû le savoir pour... pour ma mère. Elle... elle a été tuée quand le prince a...
Je le vis se crisper un instant du coin de l'œil. Autant ne pas continuer sur cette lancée, je ne veux pas être jetée dehors ou en cellule.
— Oui, je le sais. Elle est morte.
Il baisse les yeux à son tour, fixant intensément son genou secoué de spasmes incontrôlables. Il a l'air terriblement stressé, perdu au loin, dans un monde qui m'est totalement inconnu. Je ne l'ai jamais vu ainsi... si... pensif, malgré le marquage immobile de son visage blanchi.
— Omaima... votre mère... était l'une de mes plus fidèles domestiques. Une femme d'ordre qui possédait une âme de meneuse. C'est très triste ce qui lui est arrivé. Mais que puis-je faire ? Qu'est-ce que vous espérez en venant m'en parler ?
— Elle... elle m'a dit une chose, avant de mourir. Je ne sais comment vous le dire, sire...
Ça y est, je tremble. Je tremble comme une feuille, c'est incontrôlable. Allons, calme-toi, Varvara... Respire. Non... j'étouffe, j'halète, au bord de l'évanouissement. Je dois m'y reprendre à deux fois pour reprendre mon souffle.
— Excusez mon audace, mon roi, mais... je ne pourrais vivre sans en être sûre. Je ne vous demanderais que cela...
Le roi Byron me fixe et je perds tous mes moyens. Ses yeux sont si semblables à ceux de Leftheris, la couleur, la forme, la profondeur, la... froideur. J'en ai la chair de poule. Je me cale une gifle mentale, je dois être brave pour ce pourquoi je suis là, aujourd'hui.
— Avez-vous eu... une relation avec ma mère ?
Il reste figé un instant devant mon désespoir, puis ricane. Cet éclat me transperce comme un morceau de verre.
— Est-ce une plaisanterie ?
— Veuillez m'excuser, je suis sincèrement désolée, mais c'est ce qu'elle m'a dit. Je voudrais l'entendre de votre bouche... Je... je n'ai jamais connu mon père et...
— Vous pensez que je suis votre père, c'est ça ?
— Je ne vous demande rien, pas de reconnaissance, ni de sentiments. Je resterais cachée, loin de vous si c'est ce que vous désirez, votre grâce, mais... je veux juste savoir. C'est très important pour moi...
— Vous venez me trouver pour me demander une chose aussi infecte qui pourrait mettre mon honneur en jeu ? Comment osez-vous me faire un tel affront ?
— Par pitié... Je dois le savoir. J'ai eu... une relation cachée avec votre fils, le général Leftheris.
Je vois ses yeux qui s'agrandissent. Mes boyaux se tordent et me donne envie de vomir. Il me juge... avec tellement de dégoût. Tellement de... dédain... que j'en suis malade. Pourquoi me suis-je mis dans cette situation ?
— Oui, je suis salie, désormais. Je... je ne vaux rien, comme vous devez certainement le penser. J'ai tout sacrifié par amour. Je l'aimais éperdument... Comme ma mère vous a aimé.
Mes mains se resserrent à mon ventre. Mon enfant vient de me donner un coup de pied... Il ne veut pas que je parle de lui, ce serait nous mettre en danger plus que je ne le suis déjà.
— Alors, je... je vous en conjure. Répondez à ma question... Je ne veux rien d'autre, juste une réponse. Pitié...
Même si je l'espère du plus profond de mon être, je sais au fond de moi que c'est une cause perdue. Mon cœur le sait et il hurle de chagrin. Je n'ose qu'à peine le regarder maintenant que l'envie de pleurer comme une enfant me prend aux tripes. Je ne vois que son poing qui se serre sur sa cuisse.
— Sortez de mon carrosse. Sortez tout de suite et que je ne vous revois plus jamais. Évitez de raconter ce genre d'histoire à n'importe qui, jeune fille, car vous pourriez avoir des problèmes. Vous avez déjà de la chance que je vous laisse repartir saine et sauve. Je vous demanderais également de ne pas colporter de réputation sur le dos de mon fils, concernant cette « relation » entre vous deux, qu'elle soit vraie ou non...
La guillotine est tombée.
Il ne m'a laissée aucune chance.
— Suis-je clair ?
Une véritable larme m'échappe contre mon gré. Ma lèvre inférieure enfle et grelotte tellement j'essaye de retenir ce flot ridicule de déception. Sa voix froide est un blizzard qui me gèle de l'intérieur. Je n'ai la force que d'hocher la tête avant de sortir. Une part de mon cœur vient de rester dans ce carrosse.
Ternie et sans réponse.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro