𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟒.𝟏
La fin de décembre brillait dans les ruissellements d'eau, entre les herbes folles et dans le vent glacé qui coupait les ténèbres de son poignard vif. On apercevait malgré l'obscurité des lambaux de nuages sombres qui, déchiquetant le ciel, annonçaient déjà la pluie prochaine. C'était la pénombre de la nuit tombante qui recouvrait la vallée et criait à la Compagnie et à Eirien d'abandonner le périple dans lequel ils se lançaient tous.
Elrond donnait ses derniers conseils à Aragorn, qui l'écoutait impassible tandis que les Hobbits se serraient grelottant. La musicienne, elle, brossait son étalon, en attendant l'heure du départ. Frodon s'approcha d'elle et chuchota, comme si la nuit pouvait l'entendre.
- Je croyais que vous ne veniez pas avec nous.
- En effet. Je vous quitte dans dix jours pour rejoindre la trouée du Rohan, où les yeux de l'Ennemi se trouvent, acquisca Eirien en souriant au Hobbit.
- Comment cela ?
- Je dois rejoindre la Lórien, de l'autre côté des Monts Brumeux, et il a été convenu que je passe par cet endroit pour détourner l'attention de Sauron et de ses serviteurs. Ainsi, peut-être aurez-vous un peu de repis, expliqua Eirien.
- Mais n'est-ce pas dangereux ?
Eirien s'attendrit au ton inquiet de son ami. Elle posa la main sur son épaule et le rassura :
- Quand on remarquera que je suis une simple voyageuse, il sera trop tard pour vous tracer et on me laissera passer. Ingénieux, non ?
Le jeune Hobbit ne répondit rien, mais hocha la tête. Il semblait hésiter, à vouloir balbutier une phrase sans oser mais il demeura silencieux et finit par s'éloigner pour rejoindre son oncle, qui s'était éveillé pour lui souhaiter bon vent.
- Vous devez craindre bon nombre d'yeux, car partout se cache l'Ennemi. Votre quête réside dans le secret et non dans les batailles, déclara Elrond en haussant la voix pour se faire entendre de tous.
- Mon cor saura nous protéger, s'écria alors Boromir en se saississant de l'instrument. Son cri haut et clair fait fuir tous les ennemis du Gondor.
Alors, il porta le cor de guerre à ses lèvres et l'écho rebondit sur chaque roc de la vallée, agitant les arbres et l'air à son passage. Eirien dût couvrir ses fines oreilles, tant le bruit résonnait fort et tant la note grave heurtait son ouïe.
- Pourquoi avez-vous fait cela ? s'étrangla Aragorn. A l'avenir, évitez de porter sur nous toute l'attention de la Terre-du-Milieu.
- J'ai toujours laissé chanter mon cor avant mon départ, et ce n'est pas cette fois que je m'en empêcherai. Le son de sa gorge nous protégera des ténèbres, se défendit l'Homme de Minas Tirith, qu'Eirien n'appréciait guère.
Elle peinait surtout à comprendre ses paroles rêches, dont l'accent du Sud déformait tous les mots et les liaient d'une étrange manière. Elle s'était habituée au Parler des Hobbits, à leurs prononciations et expressions, et le Seigneur Aragorn lui parlait plus volontiers en Sindarin. Elle était donc perdue dans les phrases sèches du fils de l'Intendant.
En revanche, elle regrettait ne pas avoir adressé la parole au bel elfe Sylvain, dont les cheveux blonds resplendissaient presque autant que les siens, mais d'un éclat plus discret, taché par les ombres qui veillaient dans sa forêt. Elle trouvait étrange ce visage aux traits si fins, et son arc accroché dans son dos lui rappelait celui d'un autre, à qui elle pensait cruellement en observant cet étranger.
Gimli le Nain, qui vraissemblablement venait lui aussi du Mont Solitaire, les accompagnait de sa hache et de sa chemise d'anneaux d'acier, qui alourdissait une silhouette déjà trapue. Il était étrange pour Eirien de voir cette barbe rousse dégringoler jusqu'au bas du torse de l'individu, elle qui était si habituée à la face imperbe des elfes. Aussi fixait-elle intriguée ce personnage étrange, qui parlait d'une voix forte, ébouli de roches et chant de la montagne.
Avec lui, les Hobbits grelottants sous leurs grands manteaux gris se serraient, attendant patiemment l'heure du départ, mais claquant des dents, de peur ou de froid. Gandalf veillait de son regard d'acier, sous des sourcils broussailleux, sur ces quelques petits hommes, s'appuyant sur son bâton et grommelant des phrases dans sa barbe.
Quand un poney pataud les eut rejoint, et que Sam eut poussé un cri d'allégresse, la Compagnie s'apprêta à quitter Fondcombe. Le Seigneur de la Maison s'avança, et prononça ces mots :
- Ainsi partira la Compagnie de l'Anneau, neufs sous le Lune, pour contrer les Neufs de l'Anneau. Sur son Porteur pèse la responsabilité d'un monde. Veillez sur lui. Frodon, ne laissez personne toucher au Fléau d'Isildur, que les membres de votre Compagnie ou du Conseil, dans la nécessité la plus urgente. Vous n'avez aucune obligation, aucun serment de vous attache mais nous comptons sur vous.
Eirien remarqua alors l'habilité des mots de son Seigneur. Ne pas effrayer le Semi-Homme, mais le forcer à accomplir sa quête en lui démontrant son importance capitale. La manipulation était discrète.
- Adieu ! Et que la bénédiction des Elfes, des Hommes et de tous les Gens Libres soit avec vous ! finit Elrond avant de tourner son dos aux compagnons.
Bilbon s'élança une dernière fois, afin d'enlacer son neveu et de lui chuchoter des mots que personne n'entendit. Frodon, en revanche, eut les yeux brillants en agitant la main pour dire au revoir au vieil Hobbit.
En passant le pas de la porte entrelacée de lianes et de fleurs fanées, la voix de Bilbon balbutia une chanson de sa composition, qui s'évapora dans l'air froid en volutes d'argent.
La route continue toujours, encore et encore
À partir de la porte où elle a commencé
Maintenant, loin devant, la route est allée
Et je dois la suivre, si je le peux,
La poursuivre avec des pieds fervents
Jusqu'à ce quelle rejoigne un plus large chemin
Où plusieurs sentiers et courses se rencontrent
Et où aller ensuite ? Je ne peux le dire
En jetant un dernier regard derrière elle, la musicienne aperçut le regard transperçant d'Arwen entre les colonnes luisantes sous la lune. Elle était venue adresser à son amour un dernier adieu silencieux, qu'elle criait d'un regard empli d'étoiles et de désespoirs muets. Elle s'effaça rapidement dans la nuit, rejoignant les constellations masquées de nuages aussi noirs que l'obscurité ambiante.
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