𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟏.𝟏
La Soleil était déjà haute dans le ciel azur lorsque l'on vint quérir Eirien. Elle se penchait alors depuis le début de la matinée sur sa petite harpe et milles feuillets qui menaçaient à tout instant de s'envoler dans la douce brise. La délicate lumière de la fin de Iavas (1) ornait les feuilles des arbres d'une poudre d'or et c'était sur ce beau paysage que la jeune elleth souhaitait faire porter sa chanson. Ces quelques dizaines de lignes lui avaient valu plusieurs jours de travail acharné et ces efforts transparaissaient sur ses doigts fins en hématomes colorés, et cloques boursoufflées. Il était grand temps qu'elle se repose.
- Heryn Arwen cân le.
[Dame Arwen vous appelle]
La voix du timide Devron sortit Eirien de sa torpeur artistique et elle poussa un soupir triste en remerciant l'elfe, juste avant qu'il ne s'enfuit pour disparaître derrière les colonnes de marbre blanc.
- Hannon gen, Devron.
[Merci, Devron]
De lourds nuages gris envahissaient l'atmosphère et les mains roses d'Eirien s'empressèrent de rassembler ses notes. Elle voulait, le soir même, présenter au coin du feu sa nouvelle composition au Seigneur Elrond et ainsi se forçait-elle, depuis le lever d'Anor, à effleurer les cordes de son instrument sur la balustrade d'un balcon d'Imladris.
Ses pieds dévalèrent sans hésitation les marches qu'elle connaissait si bien et s'aventurèrent même à la faire danser dans les couloirs, entre les tapisseries anciennes, au son de la chanson qu'elle fredonnait.
Arrivée devant les appartements de la Dame d'Imladris, elle cessa et poussa la légère porte sculptée.
- Ai ! Anirannel tiro nin ? chantonna-t-elle.
[Salut ! Vous désiriez me voir ?]
Arwen Undomiel répendait la pâleur de sa beauté dans toute la pièce et même les joyaux dont était tressée sa tenue semblaient inappropriés pour parer sa nuque.
- I berian guina. Na vedui i echui dîn teli, murmura la dame d'un souffle cristallin.
[Le Semi-Homme vit. Enfin son réveil est arrivé. ]
Eiren posa son travail sur l'une des tables de chevet de son hôte et se retourna :
- Ho mael ?
[Il va bien ?]
- Mae. Ho ned îdh. Govadithanc go vi aduial.
[Oui. Il est en repos. Nous le rencontrerons ce soir.]
Eirien avait entendu que le neveu de Bilbon était arrivé blessé et que le Seigneur Elrond oeuvrait depuis quatre jours à sa guérison. L'ombre planait sur le petit homme, la jeune elleth le sentait mais il ne restait de ce spectre noir qu'un songe à présent.
- Ar hîr Agarorn ?
[Et Seigneur Aragorn ?]
- Ho egennin i aur hen. Teithanneg. Ù-thelannem gen dari, rit Arwen en coiffant ses cheveux ébène.
[Je l'ai vu ce matin. Tu écrivais. Nous n'avions pas l'intention de t'arrêter]
- Garil 'alu, Heryn nîn.
[Vous avez de la chance, ma Dame.]
- Daro ! Ù-hedhitha , lâcha Arwen en posant sa brosse d'ivoire. Linnathog an ennui i laer 'ain gîn ?
[Cesse ! Il ne restera pas. Chanteras-tu pour moi ta nouvelle chanson ?]
- I aduial hen ! Hebo andreth !
[Ce soir ! Ayez patience !]
Depuis son arrivée en Lothlórien, quelque trois cents ans auparavant, elle avait escaladé les rangs sociaux. D'abord servante au palais de Caras Galadhon, elle s'était rapidement démarquée grâce à la beauté de sa voix, claire comme les rapides du ruisseau de Nimrodel, et la douceur de ses gestes, qui l'avaient projetée dans les appartements de la belle Arwen. Elle y avait évolué en tant que dame de chambre puis, alors que les deux elfes s'étaient liée d'amitié, dame de compagnie.
Elle suivait alors la fille d'Elrond partout où cette dernière allait, discrète et effacée au public, mais resplandissante de rires et de chants dès qu'elle se trouvait seule. On lui avait appris le maniement des armes et des harpes, on lui avait fait lire chants anciens et compositions nouvelles, tenter vainement de lui apprendre le Quenya, qu'elle détestait parler, afin qu'elle fût pour Arwen la meilleure compagnie possible et cet enseignement la suivait aujourd'hui encore.
En 2952 de cet âge, Arwen retourna à Imladris, et ce fut l'avénement d'Eirien. Son talent pour l'écriture et la musique éclatèrent au grand jour, alors qu'elle osa un soir prendre son instrument et chanter une complainte au vent qu'elle venait de rédiger. Depuis lors, elle était considérée comme Pethron Vain, la Conteuse Première, mais elle gardait toute l'humilité possible, malgré l'importance de son titre. Elle restait proche d'Arwen, qu'elle ne cessait de traiter avec le plus grand des respects, et gardait les secrets de l'elleth mieux que quiconque.
Malgré son amour pour la Dernière Maison Hospitalière, elle retournait régulièrement en Lórien, où à jamais son cœur appartenait.
Eirien passa l'après-midi à converser avec son amie, en s'amusant à mille coiffures sur cette cascade d'ébène, y ajoutant les joyaux d'Elbereth entre les tresses. Arwen était préoccupée , et bien que la musicienne n'osât pas lui demander la raison, elle savait que le retour d'Aragorn n'y était pas étranger. Elle esssaya néanmoins de divertir la belle elfe en chantant un peu, mais préservant sa voix de cristal pour le soir-même. D'ailleurs, les cloches retentirent dans la vallée, les appelant à la grande salle pour le festin dédié au réveil du Semi-Homme.
Eirien était intriguée par la venue de ce dernier. Elle connaissait bien son oncle Bilbon, auquel elle portait une amitié sincère et s'interrogeait sur la raison de sa venue. Mais son esprit s'envola rapidement vers d'autres sujets, attrapant un rayon lumineux et composant dans sa tête une nouvelle mélodie. C'était toujours ainsi : certains accusaient son attitude frivole, sa manie de quitter les conversations insouciamment et ces instants où, sans même s'en rendre compte, elle s'évadait en pleine discussion pour secrètement naviguer entre les accords qui envahissaient toute son âme.
Lorsqu'elles arrivèrent au banquet, Elrond siégeait déjà dans son grand fauteuil, aux côtés de Mithrandir et Glorifindel. Ce dernier adressa aux arrivantes un signe de tête aimable, qui agita ses cheveux d'or, qui miroitèrent les flammes des bougies et éclairèrent ses yeux vifs. Gandalf, lui, plongé dans une discussion mouvementée avec le maître de maison, n'aperçut pas leur arrivée et ses sourcils neigeux se fronçaient terriblement.
Les deux ellith rejoignèrent alors leur place, de l'autre côté de la table, et s'installèrent confrotablement sur leur siège de dais, sous les immenses tentures d'argent.
- U-dôl Bilbo ?
[Bilbon ne vient pas ?]
- Baw. Losta, rit la belle elfe en rajustant le drapé de sa robe.
[Non. Il dort.]
- A Haragorn ?
[Et Aragorn]
- Ù-iston...
[Je ne sais pas...]
Alors s'avança une petite ombre frêle et timide qui s'arrêta sur le pas de la porte. Des cheveux foncés frisaient au-dessus d'un regard étonné. Il croisa le regard d'Eirien, qui lui sourit en devinant dans la forme de ses traits le neveu du vieil Hobbit mais il ne répondit pas, trop absorber par la beauté immaculée de sa voisine. Et elle le comprenait que trop bien : la lumière des étoiles était sur son visage et la grâce des Valar dans chacun de ses gestes.
Le petit homme trouva sa place sur plusieurs coussins, qui le relevaient à hauteur de la table et se servit goulûment des mets qui s'étalaient devant lui. Le pauvre devait avoir faim, devinait Eirien en l'observant s'emparer des viandes et du pain. Il sembla ensuite beaucoup s'intéresser à son voisin, un nain venu du Mont Solitaire, dont la barbe plus blanche que la neige disparaissait dans le blanc de ses habits.
Arwen resta silencieuse pendant la majeure partie, revêtant son air mélancolique qui la rendait plus belle encore. Eirien savait pertinemment que l'absence du seigneur Aragorn lui portait atteinte, plus qu'elle ne souhaitait laisser paraître.
- Le maer ?
[Vous allez bien ?]
- Mae. Ù-bedinc o hon, an ngell nîn, demanda la dame sans croiser le regard de la conteuse.
[Oui. Ne parlons pas de lui, s'il te plait]
Cette douleur, l'elleth la connaissait : le cœur arraché par la distance et les pleurs d'amour qui s'écrasaient sur une peine trop lourde. Et puis les regards autour, guettant les signes de faiblesse pour excercer leur insupportable pitié et leurs paroles lâches.
Une larme unique, diamant sur la peau de soie de l'Etoile du Soir, coula alors, silencieuse, et Eirien sentit sa propre douleur faire écho aux lamentations muettes de son amie.
1 Automne
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