Sa proposition ne me laisse pas vraiment le choix. Mourir ou s'allier. Je le dévisage, avec ses cheveux dorés ébouriffés et la lueur incertaine dans son regard, on ne dirait pas du tout qu'il a 23 ans.

- Je...j'accepte.

Comme si j'allais refuser une chance aussi inespérée. Il esquisse un sourire.

- Le contraire m'aurait étonné.

Il s'écarte et me tend la main prudemment pour m'aider à me relever. Je l'attrape et me redresse.

- Merci.

Il me jauge du regard et ses yeux se posent sur ma primevère.

- Ils sont morts pour la même cause pas vrai ?

Je suis tentée de lui demander de qui il parle mais je le sais parfaitement. Prim et Finnick.

- Oui, je suis désolée pour ton père...c'est pour ça que tu me propose une alliance je me trompe ?

Il détourne le regard et ne répond pas. C'est tellement injuste, il ne devrait pas être là. Un hurlement lointain me fait revenir à la réalité. Nous sommes aux Hunger Games. Et nous devons survivre. Des cris de victoire suivent l'agonie du malheureux. 

- Faut qu'on dégage, les carrières se sont rassemblés. 

Je suis quasiment certaine qu'à part les chouchous du Capitole nous sommes les premiers à avoir conclus une alliance. Mes parents en sont-ils fiers ? Est-ce que cela va m'attirer des sponsors ? Peter me rend mon couteau et se faufile entre les rochers. Les coups de canon retentissent. J'en compte neuf. Je pense soudain à Ben. Fait-il partie de ces morts ? Je chasse cette pensée macabre et suit Peter à travers le champ de pierre. Nous marchons longtemps, gravissant le flan de la montagne dans l'ombre. Vers midi le soleil tape fort mais aucun de nous deux n'ose faire une pause. Plus tard, nous entendons deux autres coups de canon. Mon cœur se serre à nouveau. 

Quand nous nous arrêtons enfin je remarque que nous surplombons le reste de l'Arène. Cela doit faire plusieurs heures que nous marchons. D'ici, on peut apercevoir les tâches de sang autour de la Corne d'Abondance. Les corps ont été ramassés. Nous observons le flanc de la montagne pendant de longues minutes. Je commence à avoir faim, nous nous installons sous un immense rocher qui devrait nous protéger pendant la nuit et faisons l'inventaire de nos biens. Peter n'a rien, mis à part une maigre gourde et des armes. Moi je n'ai pas d'eau mais une couverture et des morceaux de viande séchée. Nous réalisons très vide que le premier danger sera la déshydratation. Il a la gentillesse de me partager un peu d'eau et nous mangeons la moitié de ma nourriture. Chaque fois que je le regarde, je vois son père et ma tante. Je vois sa mère avec qui il devrait être, en sécurité dans le District Quatre. Sa méfiance à mon égard à l'aire de s'atténuer. Moi je m'en fiche. De toute façon si il voulait me tuer je ne pourrais pas l'en empêcher. 

Le soleil a déjà bien entamé sa descente vers l'horizon. Nous avons une vu superbe sur le ciel orangé. A la fin de notre maigre repas, la nuit est tombé et l'hymne de Panem retentit. Les visages commencent à défiler. La fille du Deux, le garçon du Trois, la fille du Quatre. Je jette un regard à Peter, ils venaient du même District. Il réagit à peine et continue de fixer les visages qui défilent. Le garçon du Cinq, la fille du Six, les deux du Huit. Dont la fille que May a tué avec un trident. Un trident...May venait du Neuf, que faisait-elle avec un trident ! Peter me regarde, j'ai réfléchi à voix haute.

- C'est elle qui a tué la fille du Huit, elle m'a sauvé la vie, c'est la tribut féminine du Neuf, je précise.

- Je lui ai appris un peu à l'entrainement, répond-t-il à ma plus grande surprise.

- Tu...tu as appris à un autre tribut à te servir d'une arme ?

- Ouais, je suis pas hyper doué à ça et j'ai trouvé qu'elle se débrouillait bien. Donc je l'ai aidée.

- T'es au courant qu'elle s'en servira certainement pour te tuer ?

Il hausse les épaules.

- Encore faut-il qu'elle y arrive.

Je le dévisage sans comprendre puis reporte mon attention sur les autres. La fille du Onze. May est vivante. Mais Ben ? La fille du Treize et le garçon du Capitole sont les derniers à passer. Je souris. Il n'est pas mort, il a survécu. Il est peut-être loin de moi, à l'autre bout de l'Arène mais il n'est pas mort. J'ai envie de le serrer dans mes bras et les larmes me montent aux yeux. Il me fait tellement penser à mon frère, sans lui Nick serait dans cette Arène. Je ne dois pas me laisser aller devant Peter. Celui-ci n'est pourtant pas dupe et je devine qu'il sait à quoi je pense. La projection s'éteint. 

- Bon...déjà deux des carrières sont morts, c'est une bonne nouvelle, commente mon allié.

- Ou une mauvaise, les carrières ne meurent pas aussi facilement, ce n'est pas normal.

Il fait une grimace.

- Pas faux, ils ont du partir vers la cascade pour l'eau je pense....

- Mais ils ont du trouver autre chose, je complète.

- Exact, à mon avis très peu de tributs sont partis dans les dunes et si il y en a ils ne tarderont pas à mourir de soif. 

- Je veux pas plomber l'ambiance mais on est pas mieux.

- C'est pas faux...on pourra toujours explorer la montagne demain. Le problème c'est que je doute qu'on soit seuls.

- Et même si c'était le cas, qui nous dit qu'il y a de l'eau ici ?

- Absolument rien, et je suis presque sûr qu'il n'y en a pas, ça serait trop facile. Le truc c'est que le désert en aura encore moins et la jungle va être truffée de pièges. 

- On peut pas attendre ici sans rien faire.

- Je suis d'accord mais on dois se reposer un peu. Et surtout choisir dans quelle direction on va.

-  Bonne question.

- Même si la jungle est plus dangereuse je pense qu'on a pas trop le choix, finit-il par décider.

- Va pour la jungle alors.

Il hoche la tête et, voyant que je baille, il propose. 

- Qui monte la garde pour la première partie de la nuit ?

J'ai déjà envie de dormir mais je ne peux pas me désister comme ça.

- Tu peux te reposer si tu veux je surveille.

- J'arriverais pas à dormir de toute façon, vas-y toi, répond-t-il en haussant les épaules.

Je ne sais pas si il n'a pas confiance en moi ou si il dit la vérité mais je cède. Je vais m'allonger sous la couverture. J'ai remarqué que la température a énormément baissé depuis le début de la journée. Je soupçonne les juges d'y être pour quelque chose. Ou alors l'Arène est conçue comme ça : plus on s'éloigne de la Corne d'Abondance plus il fait froid. Je n'en sais rien. J'essaie d'oublier la sensation de sécheresse dans ma bouche et ferme les yeux.

「✵」

 - Rose.

Quelqu'un m'appelle. Je n'ai pas envie de me réveiller mais le ton alarmant me sort de mon sommeil. C'est Peter. Il a parlé à voix basse. J'ouvre la bouche pour lui demander ce qui se passe mais il plaque sa main sur mon visage pour me faire taire. Je me débat quelques secondes mais me rend compte qu'il ne me veut pas de mal. Il me fait signe de rester silencieuse. Effectivement j'entend des bruits, des voix et des pas. Je lui lance un regard interrogateur et il me fait signe qu'il ignore l'identité de nos visiteurs. 

- Je te dis que j'ai vu quelqu'un ! Il y avait au moins un mec, assez grand, musclé et armé, gémit un garçon.

- Si je t'avais écouté à chaque fois que tu pensais voir quelqu'un on serait toujours au pied de cette montagne, siffla une voix féminine en retour.

- Tant pis j'irais le tuer tout seul si tu ne me crois pas, reprit la première personne.

- Tu ne tiendrais même pas dix secondes sans moi, se moqua la fille.

- Dit-elle alors qu'elle vient du Capitole, railla son compagnon.

Je fronce les sourcils. Avec qui la tribut du Capitole peut bien avoir fait alliance puisque son partenaire est mort ? Peter me tapote l'épaule et lève six doigts comme si il avait lu dans mes pensées. J'hoche imperceptiblement la tête pour lui montrer que j'ai compris. Maintenant qu'il me le dit, j'ai effectivement vu ces deux tributs discuter ensemble à l'entraînement. Mon allié me tend trois dagues et s'écarte de moi pour se lever. Un cailloux crisse dans son mouvement et il se fige aussitôt.

- T'as entendu ? s'exclame le garçon du Six, je te l'avais dit, il y a quelqu'un !

- Mmh, grommèle la jeune fille de mauvaise fois, arrête de jacasser et va plutôt voir qui c'est, je te couvre.

Peter fait une grimace et je me lève à mon tour silencieusement. Je m'avance hors du rocher qui nous abrite et le dépasse . 

- D'accord, mais j'avais raison, jubile notre ennemi d'un ton victorieux. 

J'entend ses pas approcher et me tourne vers la gauche pendant que Peter guette l'autre côté. Je bondis et lance une dague qui rate sa cible à quelques millimètres. Mon adversaire titube et se penche pour le ramasser en esquivant mon second lancé dans une roulade. Je me jette sur lui et entaille son bras. Il ne lâche pas mon arme comme je l'espérais et vise ma cuisse. Je grogne de douleur et le frappe violemment au menton. Il recule sous le choque. Je prend ma dernière lame et hésite. Une seconde de trop. Il m'envoie son coude dans le ventre. Je me plie en deux et il ricane. 

- Pas mal la petite fleur, se moque-t-il, je pourrais la récupérer quand tu seras morte ?

Une larme coule silencieusement sur ma joue. Je me mord la lèvre, honteuse. Tout Panem doit me voir en ce moment.

- Va te faire foutre.

- Parle moi autrement gamine.

Je lui lance un regard assassin et glisse ma main le long de ma jambe tandis qu'il attrape mon visage et me force à le regarder.

- Je veux que la couleur de mes yeux soit ton dernier souvenir, sussure-t-il, c'est pas pire, on m'a toujours dit que j'avais de beaux yeux.

J'hausse un sourcil, quelle générosité. C'est vrai que de près, ses iris presque argentés étaient assez beaux. Il pointe son couteau sur mon cœur sans lâcher mon regard. Je sors lentement ma lame de la poche de mon cargo et la glisse dans ma manche. Je fait semblant de ciller et relève mon autre bras comme pour m'accrocher à lui. Il enfonce un peu sa dague dans ma poitrine et je cligne des yeux pour chasser les points noirs qui envahissent mon cerveau. Je passe ma main autour de sa nuque et la tord brusquement. 

Je vois ses pupilles se dilater et son arme trace une estafilade de sang sur mon abdomen tandis que je plante la mienne en plein dans son cœur. Sa bouche s'ouvre et la dague tombe dans un bruit sourd sur le sol. Je m'écroule en même temps que lui sous la douleur grandissante qui dévore ma cuisse. 

- Bon tu te bouges ? demande la fille du Capitole. 

Elle apparaît dans mon champ de vision. 

- Tu te moques de moi ! C'est pas du tout un grand gars musclé va refaire tes lunettes mon vieux...

Sa voix s'éteint brusquement. Et je la vois reculer.

- G-Gaëtan ? Dis moi que t'es juste blessé hein, Gaëtan ?

Un coup de canon assourdi mon esprit. J'ai presque pitié d'elle en voyant la peur et la panique gagner son corps. J'entend les pas de Peter.

- Il est là le grand gars musclé, lance-t-il. 

Elle se retourne aussitôt. 

- Il est mort hein ? On peut dire que Rose s'en est bien sortie tu ne trouves pas ? commente mon allié.

Il joue avec une lame entre ses doigts et s'approche d'elle.

- Ils sont morts...il l'a tué aussi ! s'exclame-t-elle en tremblant.

Peter pose ses yeux sur mon corps ensanglanté. Mes yeux se voilent sous la douleur et je vois floue.

- Non elle s'est juste évanouie, sinon il y aurait eu deux coups de canons.

- Je te dis qu'elle est entrain de mourir ! insiste la fille.

Mon acolyte perd son assurance et la lâche du regard pour m'observer.

- Bien sûr que non...regarde elle a les yeux ouverts !

Ses paroles sont distantes, sa présence semble s'éloigner. Voyant son moment de faiblesse, la fille part en courant, saisissant sa chance inouïe de s'échapper. J'entend ses pas résonner sur la pierre et le noir prend le dessus.

「✵」

Je sens une main sur ma jambe, une vive douleur me sort de ma torpeur. J'ouvre les yeux, rencontrant le regard inquiet de Peter.

- Rose ! J'ai cru que tu ne te réveillerais jamais.

Je grimace, la bouche pâteuse.

- Tu vas mieux, j'espère que tu pourras marcher, j'ai fais de mon mieux mais je n'ai aucun remède pour ta cuisse alors...

- Merci.

Ma voix est rauque. Il hausse les épaules.

- C'est normal. J'ai aussi nettoyé ta plaie au torse avec un peu d'eau. C'est superficiel mais ça risque de faire mal quand même.

Je souris en pensant qu'il aurait pu me laisser agoniser ici au lieu de s'encombrer à essayer de me sauver la vie.

- Attends, ça veut dire qu'on a presque plus d'eau ?

- Oui mais...j'en prendrais moins, il ne fallait pas que ça s'infecte !

Je secoue la tête.

- Non non, c'est ton eau gardes la. Il est quelle heure ?

- J'en sais rien mais le soleil s'est levé il y a minimum une heure voir plus.

- Faut qu'on y aille alors !

- Tu peux marcher ?

- On verra bien.

Je me lève en esquissant un sourire forcé et lui fait signe que ça va.

- La fille du Capitole est partie ?

- Oui...je, j'ai presque cru que t'étais morte alors je me suis laissé distraire sur le coup mais je la retrouverais, elle ne s'en sortira pas comme ça.

- T'inquiètes pas, c'est pas ta faute.

Je prends mon sac à dos et mes couteaux.

- On y va ?

Il jette un regard suspect à ma jambe. Je feins de ne rien sentir de peur qu'il m'oblige à rester ici mais il prend ses armes et sors à découvert en scrutant l'Arène.

- Je ne vois personne mais reste sur tes gardes.

J'acquiesce et le suit en boitant légèrement. Les traces de la mort de mon adversaire sont encore là mais un hovercraft est venu récupérer son corps. Nous redescendons par notre droite en crapahutant dans les cailloux. Ma jambe se remet en marche au fur et à mesure et la douleur ne me dérange plus au bout d'une petite heure. Nous avons la lisière de la jungle en vue. Peter propose de faire une pause avant de s'y aventurer ce que j'accepte volontiers. Ma plaie sur le torse me brûle et je suis obligée d'ouvrir ma combinaison malgré l'humidité pour laisser l'air passer. A en croire ma primevère intacte, on dirait que je ne me suis même pas battue alors que les tâches de sang sur mes vêtements ravivent le souvenir des yeux gris perçants de Gaëtan. Je l'ai poignardé. L'image de l'écume sur ses lèvres me provoque un haut le cœur. Le désespoir dans la voix de son alliée me remplit de regret.

- C'était lui ou toi, me dis Peter en devinant que je me sentais coupable.

- C'est plus facile de mourir que de tuer des gens, je rétorque.

- Sans vouloir être méchant c'est le but des Jeux Rose...de tuer des gens.

- Je le connaissais même pas !

- Tu crois qu'il te connaissait lui ?

Je baisse la tête, de mauvaise fois. Je prends une minuscule portion de viande dans mon sac et la partage avec mon camarade. Nous finissons sa gourde en espérant trouver de l'eau plus tard. Après quelque minutes de silence il se lève et fait tourner une lame entre ses doigts.

- Allez on a assez attendu.

Je soupire, sachant très bien que nous ne passerons pas l'après-midi sans que le sang coule de nouveau. Il s'élance vers le sol terreux qui remplace les pierres où nous avons cheminées jusqu'à présent. Je me lève et le rattrape, aux aguets. Il pose lentement un pied sous l'ombre des arbres et s'avance dans la canopée

- C'est plus facile que ce que je pensais, fanfaronne-t-il.

- Ne parles pas trop vi..

Un sifflement strident me coupe et une fléchette se plante dans l'épaisse liane devant nous. Nos regards se croisent et nous nous baissons instinctivement juste avant qu'un deuxième projectile frôle la chevelure blonde de Peter. Je suis certaine que c'est un piège même si j'ignore de qui il vient. Je me redresse légèrement.

- Peter.

Il penche la tête sur le côté.

- Oui ?

- Cours.

Alors que je m'élance en slalomant entre les troncs sans me préoccuper de lui, une tempête de sifflements agresse mon cerveau. Une fléchette se fiche dans mon sac, et une autre dans ma ceinture. A une demi-dizaine de mètres, je perçois la silhouette floue de mon compagnon et croise ses yeux émeraudes avant de le voir s'écrouler au sol.