𝟒𝟓. 𝐑𝐞𝐦𝐞𝐦𝐛𝐫𝐚𝐧𝐜𝐞
Remembrance - Yeom Seung Jae
Confusion - Park Eun Ji
nda : afin de mieux comprendre ce chapitre, je vous invite à (re)lire le chapitre 39 qui est sa première partie.
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𝐈𝐍𝐓𝐄𝐑𝐋𝐔𝐃𝐄 𝐈𝐕
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Depuis ce jour, Hitobashira et Jena ne s'étaient plus quittés.
On les avait très vite nommés marginaux de la classe, mais à deux, ils étaient forts. L'union faisait la force, aimait dire Jena. Ils devinrent un très bon duo, au point même que leurs techniques devinrent les meilleures et les plus invincibles. A côté de leurs nombreux entraînements, les jeunes gens qu'ils étaient profitèrent aussi d'une éducation stricte et calculée.
Ils avaient retrouvé un semblant de vie "normale" au sein de leurs classes, et grâce à la présence de son amie, Hitobashira avait presque retrouvé le sourire et la joie de vivre.
À l'adolescence, Hitobashira devint même un véritable leader de troupes. Il se fichait totalement de savoir si on l'appréciait parce qu'il était un beau jeune homme, ou bien parce qu'il pouvait effrayer toutes celles et ceux qui n'allaient pas dans son sens. Il profitait seulement de ces moments qui lui permettaient d'oublier un temps soit peu son passé solitaire et triste.
Un matin comme les autres, les deux jeunes amis s'étaient rendu en cours, prêts à survivre à une nouvelle journée chargée. A la fin des classes, comme à son habitude, Jena attendait patiemment que son ami la rejoigne pour qu'ils puissent se retrouver loin de tous ceux qu'il aimait appelés "parasites". Cependant, il fallait croire qu'Hitobashira prenait goût à se faire aduler, et pendant qu'il se tenait là, les fesses avachis sur sa chaise au centre de ce groupe de garçons qui lui contaient leurs stupides histoires, Jena, elle, attendait quelques tables plus loin, les bras croisés contre sa poitrine.
— Imagine un peu, se mit à rire une fille au bureau d'en face. Toutes les filles du lycée fantasment dessus, finit-elle par chuchoter.
Son interlocutrice cacha son rire derrière sa main, puis reprit :
— En même temps, il est vraiment...il est vraiment...
— Beau ? Craquant ?
— Mais tais-toi, lui dit la deuxième, les joues rouges.
— Quoi ? C'est toi qui le disais l'autre jour quand tu l'as vu s'entraîner.
— Tout le monde rêverait de faire sa première fois avec lui...
Agacée, Jena détourna les yeux vers les deux filles et se racla la gorge pour attirer leur attention.
— Qu'est-ce que vous dites ?
— Oh, tu es toujours là Jena...
— J'ai pas bougé, ouais. Alors Xiulan, tu disais ?
La prénommée Xiulan passa la langue sur ses lèvres pincées, jetta un oeil à son amie, puis leva les yeux au ciel avant de répondre :
— Jingyi disait qu'elle rêverait de faire sa première fois avec...
— Traîtresse ! hurla la concernée, en l'empêchant de finir sa phrase.
— Avec qui ? reprit Jena, un sourcil arqué et un sourire aux lèvres.
— Et bah, avec Hitobashira, qui d'autre ? C'est le seul qui attire tous les regards, répondit Jingyi d'un air désabusé.
— En même temps, qui ne voudrait pas coucher avec lui, et puis j'ai entendu les garçons dire la dernière fois qu'il montrait peu d'intérêt pour les filles. Il est toujours hyper sérieux, et ne pense qu'à se battre ou être le meilleur de la classe.
— Tu m'en diras tant, souffla Jena tout sourire, lançant un maigre regard à son ami qui n'avait toujours pas bougé.
— Oui mais tu l'attires toi, Xiulan, rigola Jingyi.
— Je...reprit la concernée en rougissant, je ne sais pas. C'est vrai qu'il me fait de beau sourire quand on se croise en venant en classe mais on se dit seulement bonjour...
— C'est déjà énorme, conclut Jingyi. Il ne me dit rien à moi, hein Jena ?
Venant tout juste de croiser le regard de Hitobashira qui lui avait offert son plus beau sourire charmeur, Jena n'avait pas suivi, ou presque pas, la conversation des jeunes filles.
— Pardon, tu disais quoi ?
— Je disais que Xiulan avait la côte auprès de Hito, je suis même certaine qu'elle pourrait finir dans son lit, hein ? la taquina-t-elle.
L'autre ne répondit pas et se contenta de sourire, gênée, mais de son côté, Jena, elle, fronça les sourcils, surprise de l'apprendre. Depuis leur rencontre, Hitobashira lui avait toujours tout confié, allant de la chose la plus banale à la plus complexe sur sa personne, et pourtant, elle ne se souvenait pas l'avoir entendu parler d'un quelconque intérêt pour leur camarade.
— Ah oui, depuis quand ? demanda-t-elle en se penchant sur son bureau.
— C'est déjà tout prévu, reprit Jingyi toute excitée. Xiulan m'a dit qu'il l'avait invité ce soir.
— D'accord.
Surprise de la réponse froide et sans intérêt de Jena, Jingyi ne sut comment se reprendre. Il était difficile de cerner Jena, elle qui n'accordait son attention qu'au beau et charmant Hitobashira.
— Et toi, tu fais quoi ce soir ? demanda Xiulan pour briser le silence qui s'était installé.
— Je me fais tatouer ce soir.
— Déjà ? répondirent les deux jeunes filles à l'unisson.
— Je suis prête, dit-elle. Mais je suis un peu étonnée, Hito devait m'accompagner. J'imagine que tu as bel et bien ta chance Xiulan, profites-en bien, hm ?
Lassée de cette conversation, Jena finit par attraper son sac et se leva, afin de sortir de la classe. Elle était même agacée à l'idée de devoir se rendre à son rendez-vous, si important, seule. Mais avant qu'elle ne s'éloigne dans le couloir, la porte de la classe coulissa dans son dos et c'est lorsqu'elle leva les yeux au ciel qu'elle sentit une main lui attraper le poignet.
— Jen, attends !
— Je suis pressée, j'ai des choses à faire avant d'aller au salon. Qu'est-ce que tu veux ?
— Doucement Madame dragon, c'est moi, lui répondit Hitobashira en souriant.
— N'essaye pas de me charmer, ça marche plus ce truc avec moi. Alors, dis ?
— Si j'étais toi, je parlerais pas sur ce ton.
— Tu l'es pas, abrège.
— Je pourrais pas t'accompagner ce soir, dit le jeune homme en relâchant son poignet et maintenant la bretelle de son sac. J'ai quelque chose de prévu.
— Ah oui, et quoi ?
— Quelque chose, dit-il.
— Eh mec ! l'interpella un jeune homme derrière eux, près de la porte qui menait à la classe. Tu viens ?
Hitobashira se retourna pour lui faire signe, se mettant à sourire devant sa grimace, mais lorsqu'il se retourna de nouveau, Jena avait déjà disparu au fond du couloir. Il croisa alors les bras contre son torse, passant la langue contre sa joue. Il se doutait qu'elle devait être légèrement vexée à propos de son désistement de dernière minute, ils avaient si longtemps parler de ce moment.
Ce n'était pas un tatouage comme les autres, et celui-ci marquerait leur entrée dans le monde qui serait le leur à jamais.
Alors, durant un court instant, il se sentit presque désolé d'avoir abandonné son amie, celle qui avait toujours été à ses côtés depuis le jour de leur misérable rencontre, mais après tout...Ils étaient grands maintenant, et il fallait qu'ils commencent à se détacher l'un de l'autre. Et puis, de toute manière, il avait bel et bien prévu de franchir le pas et de devenir un homme, ce soir.
Quelques heures plus tard, fraîchement sortie de l'atelier dans lequel elle avait obtenu son passe-droit pour sa nouvelle vie, mais aussi, sa nouvelle raison d'être, Jena fit la grimace lorsqu'elle sentit des gouttes de pluie s'écouler sur son visage.
Pourtant, cela ne l'empêcha pas de marcher sous la pluie jusqu'aux dortoirs, et arrivée devant la porte, elle trouva de quoi se caler contre un mur pour allumer une cigarette. Ce foutu paquet appartenait à son ami, et elle devait le lui ramener sans quoi il ferait des pieds et des mains à leurs camarades le lendemain.
Même s'il s'était quelque peu assagi avec le temps, Jena était la seule à le connaître tel qu'il était. Un enfant perdu et presque abandonné dans un pays qui n'était pas le sien, colérique et borné qui ne lâchait rien lorsqu'il avait une idée en tête mais surtout, un manipulateur hors norme qui pouvait faire avaler n'importe quelle connerie au premier venu.
C'est pourquoi après avoir terminé sa cigarette qu'elle jeta à même le sol, Jena souffla la fumée tout juste après avoir passé la porte. Ces foutus dortoirs étaient en lambeau de toute manière, alors à quoi bon faire bonne figure, hein ?
Ainsi, elle grimpa à l'étage et traversa les couloirs, arrivant enfin devant la porte de son ami. Néanmoins, alors qu'elle s'apprêtait à rentrer comme à son habitude, elle entendit de lourds gémissements traverser le pas de la porte. Curieuse, la jeune femme se pencha donc contre cette dernière qui ne tarda pas à s'ouvrir, assez pour qu'elle puisse entrevoir dans l'embrasure son ami, et cette foutue Xiulan qui se laissait aller entre ses mains.
Passant la langue contre ses lèvres, Jena se mit à rire doucement puis, sans prévenir, elle poussa la porte avec une telle force qu'elle fit hurler la pauvre jeune fille, mais ce fut sans surprise pour Hitobashira qui continuait de peloter sa poitrine.
— Espèce d'enfoiré, souffla Jena, mimant la colère. Toi et moi on avait juré qu'on ferait toutes nos premières fois ensemble !
La pauvre Xiulan ne savait plus où se mettre, et gênée, tenta de repousser son partenaire qui ne tourna même pas la tête.
— Casse-toi Jen, on se voit plus tard.
Presque outrée devant tant de condescendance, Jena ne se fit pas prier et s'approcha d'eux, attrapant la pauvre fille par les cheveux, sans se soucier de la douleur. Cela dit, lorsqu'elle voulut la tirer vers elle, Hitobashira la retint et leva les yeux, envoyant au passage un lourd regard à son amie.
— Je t'ai dit de te barrer, lâche la.
— Quoi ? Tu vas quand même pas coucher avec ça ? reprit Jena en ne le lâchant pas du regard.
— Je t'ai dit de te barrer, t'es devenu sourde ? Parce que t'es tatoué tu te crois plus forte ?
— Vou...vous me...fai-faites mal...
— Casse-toi Jena.
— Sinon quoi ?
— Tu veux vraiment jouer à ce petit jeu là avec moi ?
— Je croyais que c'était ton truc, les petits jeux justement.
Pris entre l'animosité des deux amis, la pauvre Xiulan tenta de se défaire de l'emprise de son partenaire, mais derrière elle, Jena lui maintenait toujours les cheveux, et quoi qu'elle fasse, quoi qu'elle dise, elle ne pouvait qu'être spectatrice de leur dispute interminable.
Alors, dans un dernier espoir, elle hurla :
— Arrêtez !
C'est seulement lorsque quelques larmes coulèrent sur son visage que Hitobashira relâcha sa prise, comme Jena, qui se recula lorsqu'elle comprit que la jeune femme souhaitait s'en aller. Pourtant, elle restait là, assise sur le lit, à pleurer à chaudes larmes.
Ce spectacle aurait pu attendrir n'importe qui, qui se serait alors senti coupable, mais ni Jena, ni Hitobashira ne furent touchés. Ils étaient là eux aussi, perplexes et presque médusés de la voir pleurer. Soudain, l'expression du visage du jeune homme changea, comme si voir des larmes dévaler le visage d'autrui le plongeait dans une colère noire.
— Pourquoi tu pleures ? lui demanda-t-il, froidement.
Xiulan releva les yeux à son visage, espérant trouver un peu de compassion, mais elle ne rencontra que le néant. Elle souhaitait répondre, mais ne put dire un mot. Derrière elle, Jena, les bras croisés, fixait son ami. Elle semblait presque le surveiller, comme si elle s'attendait à le voir bondir de colère, mais il n'en fit rien.
Il se contentait de fixer ces larmes qui coulaient, se perdant lui-même dans les fins fonds de ces pensées. Qui d'autre aurait pu deviner que ces simples gouttes d'eau l'auraient replongé dans les méandres et les malheurs de sa propre vie. Avant, là ou personne ne venait essuyer ses larmes, là où personne n'avait de peine pour lui lorsqu'il avait peur ou lorsqu'il était triste.
Pour lui, pleurer était une faiblesse.
C'est ce qu'on lui avait appris, ce qu'on lui avait sans cesse répété chaque jour.
Lorsqu'elle vit que son souffle commençait à s'accélérer, Jena fit le premier pas et attrapa les bras de Xiulan pour l'aider à se lever. Sans peine, elle l'accompagna rapidement à la porte, et lorsqu'elle la referma derrière elle, elle put l'entendre hurler qu'ils étaient des fous.
Chose faite, elle espéra au fond d'elle que son ami ne l'ait pas entendue et vint prendre place à ses côtés. Le silence reigna, avant qu'elle ne puisse s'empêcher de rire. Hitobashira releva les yeux vers elle, et dit :
— Et maintenant ?
— Quoi ? Tu pensais vraiment pouvoir coucher avec ça ? Tu déteste quand les gens sont faibles. Et puis de toute façon, elle l'aura jamais son tatouage. C'est ça que tu devrais viser.
Râlant dans une forte expiration, Hitobashira se leva et alla fouiller dans sa veste dans le but de trouver ses cigarettes. Ceci dit, il entendit son amie siffler et lorsqu'il releva la tête, elle lui envoya son paquet tout en s'allongeant sur son lit.
— Tu peux compter que sur toi-même, dit-elle.
C'est avec un rictus que le jeune homme attrapa le paquet avant qu'il ne rencontre le sol, sortant une cigarette qu'il alluma aussitôt.
— Et maintenant, dit-il en soufflant sa fumée.
— Et maintenant, hm...fit mine de réfléchir Jena. Tu vas me montrer si t'es aussi doué dans cette discipline que dans les autres ?
— Pas de ça entre nous, trancha t-il. T'es ma seule amie.
Pourtant, lorsque Jena se leva pour s'approcher de lui, lorsqu'il sentit sa main sur son bras, il eut un frisson.
— Alors ne soit pas Hitobashira mon meilleur ami, mais soit celui que tu caches...le vrai toi, et faisons l'amour, Suuiitiikun*...(*miel, douceur : surnom japonais)
Ce soir-là, les deux amis qui n'avaient toujours connu que la violence, découvrirent le plaisir du corps, la tendresse des gestes mais aussi, la pureté de l'âme, bien que cette première fois fut particulièrement gauche pour l'un, comme pour l'autre.
Ils purent découvrir ce que c'était, même de façon minime, ce que cela pouvait être que d'aimer.
C'est avec l'idée que le corps pouvait aussi connaître le plaisir et pas seulement la souffrance, qu'ils finirent par s'endormir l'un contre l'autre.
A chaque punition, à chaque service qu'il purent endurer depuis cette fameuse nuit, ils retrouvèrent du réconfort dans le plaisir charnel, le seul moyen pour l'un comme pour l'autre, de peut-être garder un pied à terre, dans une réalité qui n'était déjà plus la leur depuis longtemps.
Parfois, la vie pouvait aussi apporter du plaisir et du bonheur, aussi minime soit il.
*
Les années passèrent et bientôt, Hitobashira reçut son premier diplôme qui lui valut une place à l'université. Après des années de sévices, de souffrances, de douleurs, de cauchemars, il put enfin choisir la voie qu'il voudrait prendre.
Sa relation avec son amie s'était quelque peu détériorée, découvrant tout deux que le plaisir de la chair pouvait être partagé avec d'autres personnes, mais elle n'en restait pas moins très forte.
Jena avait été ravie d'apprendre que son ami avait choisi le domaine de l'art, lui qui n'avait jamais vraiment apprécié frappé, lacéré, détruire, manipuler, voler...toutes ses choses qu'on leur avait apprises durant leur enfance, aussi particulière avait elle été.
Ainsi, Hitobashira fit ses premiers pas dans la vie dont il pensait réellement être le maître. Il s'était souvenu de toutes les discussions qu'il avait pu partagé avec sa mère à propos de l'art, et trouvant lui-même un refuge dans ce domaine, il avait donc choisi de suivre son destin. Il s'était posé de nombreuses questions sur son avenir et sur la nature profonde de ce que l'on attendait vraiment de lui. Il aimait l'art et était très doué dans cette discipline, mais pas seulement. Il apprit à copier à merveille les tableaux des plus grands, imitant jusqu'à leur signature, utilisant chacune de leur technique, trompant les plus grands experts. Mais ce monde n'était pas assez exaltant pour lui, car il ne tenait pas en place, il aimait l'action, le danger.
Un soir, alors qu'il venait récemment d'acquérir son diplôme d'art, son père était venu lui rendre visite. Cette rencontre, totalement inattendue, avait surpris Hitobashira, lui qui n'avait eu que très peu de nouvelles de celui qu'il avait autrefois appelé père. Les seuls souvenirs qu'il avait nourri le concernant étaient des choses qu'il s'était forcé d'oublier, afin de tirer un trait sur la raison de ses souffrances.
Cet homme qu'il ne nommait plus était apparu comme un fantôme, devant la porte de son modeste chez soi. Ce soir-là, Hitobashira était rentré chez lui après avoir fait quelques maigres courses, qui résultaient de son pauvre petit salaire. Mais alors qu'il avait imaginé pouvoir retrouver la paix de sa solitude, il l'avait aperçu.
Son père était là, les mains dans les poches, fixant la porte comme si celle-ci s'ouvrirait d'elle-même. La premier sentiment qui envahit l'esprit du jeune homme ne fut pas la surprise, ou le choc, non...Ce fut la peur.
Une peur inouïe, la colère aussi, face à cet homme qui l'avait abandonné.
Était-il revenu pour encore lui faire subir tous ces sévices dont il s'était libéré ? N'aurait-il pas suffisamment prouvé ce qu'il valait ?
C'est ce qu'il avait pensé.
Il avait pensé à faire demi-tour, mais le bruit de ses sacs de courses qui rencontre le sol l'avait trahi et alors, son père s'était retourné pour lui faire face. Ils s'étaient regardés, non pas comme un père et un fils mais plutôt comme deux étrangers.
Après tout, cet homme n'était que le bourreau de sa vie, pensa t-il. Il avait réellement pensé à s'enfuir afin de l'éviter, mais il avait grandi. C'est en reprenant une forte inspiration que Hitobashira avait repris contenance.
Plus jamais il n'aurait peur de cet homme, ni de personne. Il avait reprit le contrôle de sa propre vie, et bien que les démons de son passé ne cessaient de refaire surface, il s'était promis, à lui, mais aussi, à sa mère, qu'il choisirait un chemin différent.
Alors, prêt à y mettre fin une bonne fois pour toute, Hitobashira avait fait le premier pas, et après avoir dépassé son père, il lui avait seulement laissé la porte ouverte pour lui faire comprendre qu'il était invité à entrer.
Ainsi, ils avaient parlé, d'homme à homme, pour la toute première fois.
Assis sur deux tabourets inconfortables, l'un en face de l'autre, les deux hommes ne disaient rien. Si son père le fixait avec insistance, Hitobashira, lui, ne cessait de détourner le regard. Il ne voulait pas être celui qui lançerait la conversation, bien qu'au fond, l'enfant qu'il avait été bourdonnait d'envie de tout lui cracher à la figure. Mais, l'homme qu'il était aujourd'hui, lui, était froid, sévère, et méfiant.
Une véritable machine de guerre.
Quelque part, Hitobashira craignait cet homme, autant qu'il le haïssait.
— Mon fils...prononça enfin le plus vieux.
— Parce que vous avez un fils maintenant ?
Hitobashira n'avait pu s'empêcher de cracher sa haine à travers cette pure question rhétorique. Il n'attendait pas de réponse particulière, seulement, il souhaitait que l'homme qui lui faisait face comprenne qu'il n'était pas le bienvenue.
Ni maintenant, ni jamais.
Cela dit, son père, ayant toujours été imprévisible, le prouva une nouvelle fois en riant. Jamais jusqu'à aujourd'hui Hitobashira n'avait vu le sourire de son père, et cette simple vision lui fit froid dans le froid autant qu'elle lui donna envie de vomir.
— Pourquoi vous riez ? demanda-t-il, sur les dents. Qu'est-ce qu'il y a de si amusant ?
— Je vois que tu as bien grandi.
— Oui, sans vous.
— Tu veux dire, grâce à moi, corrigea son père.
— Grâce à vous ? reprit le jeune homme en marquant un sourcil.
Puis, il se mit lui-même à rire, comme un fou, comme dans ces moments où les fantômes de son passé venaient le hanter jusqu'à ce qu'il crie de douleur. Jusqu'à ce qu'il s'imagine que la mort serait la seule solution pour sauver son âme. Ou du moins, ce qu'il pouvait en rester.
— Grâce à vous ? C'est à cause de vous, que je suis devenu qui je suis. Je n'étais qu'un putain d'enfant quand vous m'avez arraché à ma mère. Je n'étais qu'un putain d'enfant quand j'ai rencontré le précipice de la mort pour la première fois. Je n'étais qu'un enfant quand vous veniez m'arracher de mes draps pour me faire assister à des massacres, au sang, à la haine, à la mort, encore, et encore. Je n'étais qu'un enfant quand vous ne m'accordiez aucun regard alors que je faisais tout, absolument tout pour attirer votre attention. Je n'étais qu'un enfant quand vous refusiez de me laisser voir ma mère plus souvent, alors que j'avais besoin d'être rassuré quand j'avais peur. Je n'étais qu'un enfant quand j'ai compris que j'étais seul et que personne ne m'aimerait jamais, que personne ne viendrait me sauver. Je n'étais qu'un enfant quand vous m'avez poussé dans vos putains de conneries de clan et d'honneur, quand moi je pensais seulement à comprendre pourquoi la Terre pouvait tourner.
— Tu n'étais qu'un enfant faible. Quand ta mère m'a annoncé qu'elle était enceinte, j'ai pensé que ce serait une mauvaise idée que de t'avoir dans les pattes. Elle n'était pas ma première femme et j'avais déjà un fils. Je n'avais rien à perdre. Si tu mourais après cet accident, et bien soit. Mais si tu survivais, alors tu étais digne d'être mon enfant. C'est là que j'ai compris que je pourrais peut-être t'aimer, même plus que mon premier fils. Tu m'as mené la vie dure, Hitobashira.
— Comme vous avez détruit celle de mon frère ?
— Ton frère ? Cet espèce de petit enfoiré égocentrique et raté ? Non, lui n'aura fait de son malheur que les erreurs de sa vie. Qu'est-ce que tu t'imagines, qu'il t'a pleuré ? Que tu lui manquais ? Je crois bien être le seul qui venait te rendre visite toutes ces années.
— Et dans quel but, hein ? cracha presque le jeune homme, blessé à l'idée d'avoir été abandonné par l'entièreté de sa propre famille.
— Dans le but que tu ne deviennes pas comme lui, mais meilleur que lui. Ne te souviens-tu pas de la façon dont il te traitait ? Ne disait-il pas toujours que tu étais qu'une pièce rapportée, une erreur de parcours, un cailloux sur son chemin.
— Il n'a jamais dit ça.
— Bien sûr qu'il le disait, et c'est ainsi qu'il a grandi, en se pensant être le meilleur de tous, et se fichant totalement que son cher petit frère aurait disparu à jamais. Il ne t'a jamais aidé, Hitobashira. Il n'est jamais venu, et il t'a oublié. Parce que tu n'étais rien pour lui.
Évidemment, Hitobashira fut extrêmement blessé à l'entente de ces mots, il ne voulait pas y croire. Il ne voulait pas y croire et pourtant, cela sonnait à son cœur comme la terrible vérité. Même sa propre mère avait fini par l'abandonner. Alors, c'est avec un visage détruit qu'il cacha derrière un rictus qu'il attrapa son verre, afin de le boire d'une traite, comme si cet alcool si bon marché ne lui brûlait pas la gorge.
— Hitobashira.
— Je ne m'appelle plus comme ça.
— Pourtant, c'est le nom que je t'ai donné.
— Le seul nom que je connais et que je veux porter est celui que ma mère m'a donné.
— C'est pour cette raison que nous nous rencontrons, aujourd'hui.
— Ce sera la première et la dernière fois que je vous verrai.
— Je l'espère.
Puis, un nouveau silence. Celui-ci ne traduisait que la haine, lourd sentiment qui emprisonnait le cœur du jeune homme. Puis, son père fit un geste, puis deux, s'avançant quelque peu pour attraper la bouteille qui se trouvait entre eux. Il se servit d'abord, puis fit couler le breuvage dans le verre vide de son fils. Ce dernier releva les yeux à son visage et le vit lui faire signe de boire.
Il hésita.
— Je vois que toutes ces années ont permis d'aiguiser ta méfiance, dit le plus vieux en riant, puis il attrapa les deux verres et jeta leur contenu dans une plante qui se fana aussitôt. Décidément, c'est à croire que la mort elle-même t'évite pour t'apporter le jour glorieux qui sera tien. Ne dépendra que de toi pour juger lorsque l'heure de tes ennemis sera venu.
— A quel prix, siffla le jeune homme, la mâchoire serrée.
— Au prix d'un clan, pour un autre.
— J'ai refusé depuis longtemps d'en faire partie. Tout ce qui me reste c'est une putain de trace noire qui pourrit ma peau.
Soudain, l'expression qui animait le visage de son père changea. Lui qui paraissait presque amusé et détendu redevint cet homme glacial et terrible que le jeune homme, ou plutôt, l'enfant qu'il avait été, avait toujours craint.
— C'est pour ce tatouage que tu dois vivre maintenant.
Cela dit, Hitobashira ne répondit pas. Il le fixait, oui, se battant lui-même contre ses propres démons pour ne pas faillir. Il tenait bon, et malgré lui, prouvait une nouvelle fois toute la force de son esprit, de celui qu'il avait abandonné puis construit au prix des larmes et du sang, durant toutes ces années.
— Alors comme ça, tu veux devenir artiste ? demanda son père.
— Parce que ce que je peux faire vous intéresse maintenant ? répondit le jeune homme, sur le même ton moqueur.
Froid.
Gelé.
— Tout ce que tu as fait résulte des choix que j'ai fais pour toi.
— Vous n'avez rien fait pour moi.
— Détrompe-toi, reprit son père de façon rude.
Ce qui suffit drôlement au jeune homme pour avoir envie de se redresser, de peur qu'il ne le punisse pour avoir été condescendant envers lui.
Comme lorsqu'il était enfant, cette aura qui émanait de cet homme qu'on lui demandait d'appeler père le faisait frémir.
— Je n'ai pas fait toutes ces choses pour que tu finisses par t'amuser comme un vulgaire artiste peintre ou que sais-je.
— C'est ce que j'ai choisi.
— Crois-moi, tu veux être artiste, et tu le seras. Tu seras celui de ta vie. Celui qui mènera la gloire de notre clan à son apogée. On dit que l'art est le plus court chemin d'un homme à un autre mon fils. Alors, ton art, celui que je t'ai appris, sera le plus court chemin pour mener notre plan à sa fin.
Hitobashira fronça alors les sourcils, peu certain de comprendre là où le vieil homme voulait en venir.
— Ne crois pas que je suis venu pour te présenter des excuses pour ce que j'ai fais, et pour tout ce que tu as vécu. Peut-être ne me remerciera tu pas aujourd'hui, mais un jour, l'oiseau en cage reverra des nuages, mon fils.
— Qu'est-ce que vous attendez de moi ?
— Ce que j'attends de toi, Hitobashira, ou quel que soit le nom que tu veuilles utiliser, peu m'importe. C'est que tu sois l'arme secrète la plus féroce qu'il n'ait jamais existé. Je veux que tu utilises ta colère, ta peine, et toutes tes souffrances pour arracher à l'ennemi ce qui doit nous revenir. Et pour cela, je commencerai par le point le plus important : Gouverner, c'est faire croire.
Ce soir-là, son père lui avait rappelé qui il était et pourquoi il avait été formé ainsi. Et alors que Hitobashira avait décidé de suivre les traces de sa mère, celui-ci lui avait rappelé que son art n'était lié qu'au mensonge, au bluff, mais que la vérité était tout autre chose, elle était dans ce que l'on vivait, dans l'action. Charge à lui de choisir ce qu'il voulait faire, vivre dans le mensonge, ou alors être un acteur de la vérité, en aidant par son art, son pays et sa famille, après tout, n'avait-il pas été entraîné toute sa vie pour ça ?
Tout ce temps, il n'avait pu revoir sa vieille amie qui s'était inquiétée de ce revirement de situation, pensant que son ami avait été enfin libéré de leur terrible destin. Ils avaient seulement discuté à distance, et malgré sa peur, Jena avait été forcée par tout l'amour qu'elle lui portait de le suivre dans ses plans, encore assez flous pour elle à l'époque.
Alors, un soir, ils s'étaient donné rendez-vous après un long moment sans s'être vu. C'est le jeune homme qui avait pris l'initiative, et malgré tout, Jena en avait été ravie. Ils s'étaient retrouvés, comme avant, mais quelque chose avait changé.
Il avait changé.
Il n'était plus ce jeune homme au sourire radieux malgré les épreuves, il n'était plus celui qui la taquinait pour un rien. Il était devenu un homme froid, comme l'un de ceux qu'il craignait auparavant, et Jena, elle, n'avait rien pu dire.
Du moins, il ne lui avait pas laissé la chance de le faire.
Ils avaient peu discuté, le jeune homme ne lui avait répondu que par des phrases courtes et simples, puis ils avaient une nouvelle fois couché ensemble. C'est après avoir redécouvert leurs tatouages sur l'ensemble de leurs corps que Jena l'avait entendu lui donner sa première mission.
Elle avait accepté rapidement, sans réfléchir, car après tout, elle s'était rendu compte que même après tout ce temps, l'amour qu'elle lui portait, l'intérêt qu'elle portait à ce garçon n'avait jamais changé. C'était certainement insensé de devoir abuser des sentiments de l'autre, mais pour lui, elle était prête à tout.
— Qui es-tu aujourd'hui ? demanda-t-elle après un lourd silence.
Durant quelques minutes qui parurent durant des années, Jena dévisagea son ami, et une petite voix au fond d'elle se demande lequel des deux garçons elle avait réellement sauvé ce soir-là, le soir où elle l'avait rencontré.
N'avait-elle finalement pas sauvé un monstre ?
Mais avant que la conclusion ne lui parvienne comme un flash, son ami attrapa son paquet de cigarette, en glissa une hors du paquet et la mit au coin de ses lèvres avant de souffler sans aucune hésitation, ayant une faible pensée à la mémoire de sa mère :
— A partir de maintenant, je serais Jeon Jungkook.
Si faire croire était gouverner, alors...
Aimer, serait manipuler.
Détruire, serait gagner.
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Ps : Je vous avais bien dis que gouverner c'était faire croire. Mais je vous laisse encore la chance de théoriser à propos de la suite. Ne pensez pas que cette révélation sera la dernière. Vous me connaissez après tout, non ? On sait que les choses ne sont jamais simples avec Chilokatosan.
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