Qest-ce qu'elle fichait là ? Pourquoi avait-il fallu qu'elle accepte l'invitation de Sarah Cameron ? Sa bouche s'était une nouvelle fois ouverte avant que son cerveau ne puisse traiter l'information, une vieille habitude, particulièrement incommodante chez Blake. La voilà désormais, coincée dans cette galère. Elle n'aimait pas les fêtes. Il y avait toujours trop de gens, Blake n'aimait pas les gens, sobres, elle tolérait déjà à peine l'existence des humains, mais alors, alcoolisés, autant passé la soirée à discuter avec des cailloux, ils auraient sûrement meilleure conversation.

A défaut d'humains, le fut de bière allait probablement devenir son meilleur ami ce soir.

Elle se tenait à l'écart du troupeau, comme toujours, elle observait. Depuis bientôt un an, c'était la seule chose qu'elle faisait, observer le monde extérieur se mouvoir, sous son regard placide. C'était comme assister à une pièce de théâtre, ou aller voir un film au cinéma, elle était spectatrice, elle n'agissait plus. Après tout, seul son monde avait changé, celui des autres étaient restés le même, pour eux rien n'avait bouger. Pourquoi diable se seraient-ils alors empêchés de vivre, comme elle le faisait à présent ?

Elle n'aurait jamais dû venir. Sarah n'était même pas dans le coin. Et aucune trace de Rafe. Quitte à se retrouver seule, elle préférait que ce soit dans sa chambre, plutôt que sur une plage bondée.

Elle se leva, prête à partir, attrapant son sac à dos pour le balancer nonchalamment sur son épaule droite. Elle s'éloigna de la fête étouffante, ses converses noires s'enfonçant dans le sable chaud, quand soudain, elle s'arrêta. Elle devait au minimum boire une bière, que l'énergie — pas si conséquente— qu'elle avait fournit afin de se rendre à cette stupide fête, n'ai pas été sans récompense.

Aussitôt elle rebroussa chemin. Sa quête vers le précieux liquide ambré était obstruée par un nombre conséquent de jeunes — et moins jeunes— gens faisant la queue pour se faire servir un verre.

C'était Blake Knight, elle ne faisait pas la queue.

Elle contourna les adolescents déjà bien éméchés — voir pour certains, défoncés— cherchant à accéder au fût sans avoir à entrer en contact avec d'autres humains — sa phobie. Miraculeusement, elle se retrouva devant le tant convoité tonneau en fer, sauf qu'un garçon, ostensiblement saoul, en plus d'être mal élevé, lui attrapa brutalement le poignet.

— Tu te crois où Barbie ? Fais la queue.

Elle n'aimait définitivement pas les fêtes.

— Mon grand, l'avertit-elle. Si tu n'as pas retiré ta main de mon poignet dans les deux prochaines secondes, t'auras plus de main.

Vigoureusement, elle dégagea son bras. Le regard polaire qu'elle lui envoya, le dissuada de réitérer son geste. Il recula de deux pas, perdant son assurance. Elle se retourna vers le fut, sur les nerfs, pour se retrouver en face d'un grand brun à l'allure décontractée. Il avait une casquette à l'envers enfoncé sur le crâne, ce que Blake remarqua, lui arrachant une grimace.

— Hey, tu veux un verre ?

— Non. Je suis venue jusqu'ici, pile devant ce fut pour te faire un strip-tease.

Pas déstabilisé par son ton peu avenant, il se contenta de lui sourire. Il avait l'air sympa, mais Blake n'était pas d'humeur, ni hier, ni aujourd'hui, ni jamais, à se faire des amis. Il tapa dans le bras d'un autre ado, un blond qui tenait un gobelet rouge à la main.

— JJ, sers lui un verre.

Le dénommé JJ —prénom qu'elle espérait, pour lui, être un surnom, car quel genre de parent était assez fainéant pour ne nommer leur bambin qu'avec deux lettres ?— attrapa un autre gobelet, le remplissant du liquide ambré. Il le tendit vers elle, en s'humectant les lèvres.

— Alors, qu'est-ce qui t'emmène de ce côté de l'île princesse ?

— Ecoute point break, lança-t-elle, en s'emparant de son verre. Je suis venue pour me saouler, pas pour taper la causette. Merci pour la bière, au revoir.

Les deux garçons échangèrent un regard, surpris. Elle tourna immédiatement les talons. Elle avait été polie, elle l'avait remercié, elle était incapable de plus. Elle remonta vers la route, noyant son ennuie dans son verre, prête à rentrer —s'enfuir— chez son père.

— Blake !

Et merde. Une silhouette féminine courait vers elle, elle plissa les yeux à travers ses lunettes de soleil.

Sarah.

Pourquoi avait-il fallu qu'elle arrive, pile à cet instant. Précisément quand Blake commençait à s'éclipser de ce nid rempli d'ados en chaleur ? On dirait qu'elle allait être coincée là pour un moment.

❃❃❃❃

La soirée battait son plein. Cela faisait quarante minutes que Blake évitait méticuleusement tout contact avec d'autres êtres vivants. Car oui, s'ils étaient vraisemblablement bien vivants, le groupe de choses vertes, dansantes, alcoolisées, communiquant uniquement en micro-syllables, que composait cette fête, ne pouvait décemment par être qualifié "d'humains".

Le soleil s'était couché, et elle traînait près d'un arbre —tombé suite à l'ouragan— grimaçant au son de la musique de mauvais goûts, qui sortait des enceintes. Elle tritura quelques minutes son verre vide, avant de se décider à aller le mettre à la poubelle.

Au moment où elle croyait avoir réussi à esquiver Sarah pour le reste de la soirée, cette dernière débarqua, suivie par deux garçons.

— Bex ! Tu te souviens de Topper et Kelce ?

Bien sûr qu'elle s'en souvenait. Les amis de Billy —une bande de crétins décérébrés—, et de Rafe. Ils lui souriaient à pleine dents, manifestement ravis de la revoir, alors qu'elle s'efforça de plaquer un sourire de travers sur son visage.

L'un d'eux ouvrit la bouche, passant son bras autour de Sarah.

— Mais qui voilà, mini Knight.

Nouveauté, il avait les cheveux blonds, teint. Elle laissa passer cet écart, puisque dans son souvenir Topper était le moins con du lot. C'était un mouton, certes, mais il n'était pas méchant. Juste un peu impulsif.

— Mais qui voilà, Draco Malefoy. Qu'est-ce que tu fais là ? T'as perdu le chemin pour Poudlard ?

— Hilarant, grogna-t-il.

Sarah étouffa un rire, alors que son copain se renfrogna. Il était soupe au lait, et n'avait absolument aucune autodérision, comme chacun des membres de son groupe. Probablement la raison pour laquelle Blake avait tant de mal à les supporter.

— On s'en va, lui apprit Sarah. On te ramène ?

Libération. C'était l'occasion de rentrer chez elle, sans avoir à se coltiner le trajet à pied, elle n'allait pas la refuser. Elle n'était pas enchantée de faire la route avec Tic et Tac, mais elle pouvait prendre sur elle.

Enfin, pas sûr.

— Ouais, merci. C'est cool.

Elle suivit le groupe, traversant la plage bondée. Des gobelets rouges jonchaient le sable, et plusieurs couples —plus très sobres— s'aspiraient les amygdales près de l'eau, elle grimaça devant cette vision, se retenant de leur lancer un commentaire bien senti.

— Hé Sarah !

Ils se retournèrent.

Le blond qu'elle avait rencontré plus tôt, JJ, tendait un verre vers Sarah. Il avait l'air éméché, et leur offrit un large sourire, bancal.

— Ça te dit, un délicieux breuvage de Milwaukee ?

— Non, merci.

— Pas assez chic pour toi ?

Blake jeta un coup d'œil à la route derrière elle. Elle voulait rentrer, avec ou sans eux. Après tout, ce n'était même pas ses amis.

— Tu sais quoi ? Dit Topper. Je vais le prendre, c'est gentil.

— Merci, mais je ne t'ai pas proposé. T'as même pas dit s'il te plait.

Cette conversation ne menait à rien. Elle amorça un pas en arrière, finalement décidée à les abandonner. Les deux garçons semblaient du genre sang-chaud, et elle sentait la situation déraper.

— Pour la peine, je vais le donner à Sarah.

Il tendit à nouveau le gobelet vers la jolie blonde, Topper mit un coup; un peu trop violent, dans celui-ci, le renversant sur le blond qui vira au rouge.

— Elle en veut pas connard.

Un coup partit, brusque et violent, en plein dans le museau.

Blake tourna les talons, ennuyée. Les combats de mâles très peu pour elle, elle voulait rentrer, enfiler un sweat-shirt, et dormir, jusqu'à ce que mort s'en suive .

Le brun, celui avec la casquette, poussa son ami loin du couple, alors que Sarah retenait son petit-ami avec difficulté.

— Sale Pogues, cracha Topper.

Apparemment c'était la chose à ne pas dire. Aussitôt le brun, qui semblait pourtant être le plus raisonnable, fit volte-face avant de se jeter sur Topper, le bousculant. Les amis du brun lui tombèrent dessus, lui criant de s'arrêter, et lui rappelant pour une raison inconnue de faire profil bas —peut-être avait-il un casier ? Cela le calma. Pas Topper. Il lui décocha un coup au visage, le surfeur s'écroula lourdement, le visage dans l'eau.

La citadine observa la scène, de loin. Elle s'était mise près d'un rocher, sa flemme de rentrer à pieds, après un bref coup d'œil à la route qui s'étendait à perte de vue, ayant eu raison d'elle. Elle avait l'habitude des bagarres, à Miami elles étaient quotidiennes, surtout dans son quartier, mais là, c'était déséquilibré. Le garçon se faisait méchamment ruer de coups.

Elle se mordit l'intérieur de la joue, devrait-elle s'interposer ?

Comme souvent dans ce genre de situation, les gens hurlaient. Certains pour les encourager à frapper plus fort, d'autres, comme Sarah, pour leur dire d'arrêter.

— Tu veux finir comme noyé comme ton père, c'est ça ?

Ces mots enragèrent le brun. Il se releva d'un bond, trempé, le regard sombre. Il se précipita sur Topper, avec la force d'un taureau, le faisant basculer en arrière.

La situation devenait ingérable. Sarah hurlait, suppliant son copain de se calmer. Les adolescents éméchés s'étaient rassemblés autour de la scène, tel des vautours autour d'une charogne.

Ce combat, qui puait la testostérone, dégénérait à grande vitesse. Le regard de Blake passait entre la bagarre et la route, indécise. Pourquoi rester là ? Elle ne connaissait pas ces gens. Pourtant ses pieds semblaient rester fermement ancrés au sable.

— Topper, arrête. Non !

Sarah avait les larmes aux yeux. La blonde comprit rapidement pourquoi, quand ses yeux tombèrent sur les deux bagarreurs. Le surfeur avait la tête sous l'eau. Topper le maintenait dans l'océan, fou de rage, l'empêchant de respirer.

— Putain, souffla t-elle.

Elle s'avança vers eux à grands pas. Elle devait faire quelque chose, n'importe quoi. Les amis du brun étaient sous le choc, incapable de bouger. Quant à Sarah, elle chouinait, tétanisée. Les autres ne semblaient pas se rendre compte de la gravité de la situation.

Ce gamin se noyait.

— Topper, bouge de là espèce d'abruti, t'es en train de le tuer !

Les mots de la Blake volèrent au-dessus de lui. Il n'écoutait pas, dans sa fureur, Il pressa tout le poids de son corps sur le brun. Enfin, jusqu'à ce que son ami, JJ, sorte une arme, et la braque à l'arrière du crâne de Topper.

L'effet fut immédiat, les adolescents se mirent à crier d'effroi, quittant rapidement la plage. Topper se redressa, les mains en l'air, brusquement refroidi.

Blake ne bougea plus. Les yeux écarquillés, le cœur battant. Le mec blond, décontracté, et insolent, avait disparu. Le sourire qu'il arborait plus tôt avait été remplacé par un rictus mauvais. Ses muscles étaient tendus à l'extrême. Il ne tremblait pas, il était sûr de lui.

Son ami, au sol, essaya péniblement de se relever, recrachant l'eau de ses poumons.

Alors que les autres paniquaient près d'elle, Blake resta calme. Ignorant les gens autour, elle s'approcha lentement, du brun amoché. Elle s'accroupit près de lui, ses genoux plongeant dans l'eau salée. Elle posa une main sur sa joue, alors que ses yeux papillonnaient. Il avait sûrement une commotion.

— Hé trouduc, reste avec moi.

Derrière elle, le blond avait lâché Topper, qui tremblait, encore sous le choc. Alors que Sarah gueulait sur le groupe d'amis, JJ les dépassa, brandissant son arme vers le ciel.

— Ecoutez bien tout le monde. Ici c'est notre côté de l'île, c'est clair ? Alors vous dégagez.

Deux coups feu furent tirés. Blake sursauta à chacun d'eux, fermant momentanément les yeux au son. Le cœur palpitant dans la gorge. Ses amis le poussèrent, fou de rage. Ils se hurlèrent dessus, alors que Sarah se précipita vers Topper.

De son œil réprobateur Blake leur jetait un regard oblique, avant de revenir sur le brun.

— Tes amis sont des idiots, murmura-t-elle.

Un rictus amusé, qui se transforma rapidement en grimace, étira ses lèvres, juste avant qu'il ne vacille en arrière, sur elle. Elle le retint difficilement de s'écrouler, du bout des bras. Son regard se leva vers le ciel, alors qu'elle insultait mentalement l'univers.

— Putain de soirée.

Relevant son buste, elle le tira péniblement hors de la mer. Son gabarit était bien trop imposant, c'était un tas de muscles inerte. Elle le jeta sur le sable avec un râle, sans délicatesse.

S'essuyant les mains, elle se planta devant le groupe d'amis, toujours en train de s'aboyer dessus.

— Oh les débiles !

Ils se tournèrent vers elle.

— J'ai ramené votre pote, lança t-elle en pointant le garçon. Sans moi, il se serait noyé. Vous craignez comme amis.

Devant leurs mines ébahis, elle s'éloigna. S'agaçant en voyant la quantité de sable qui collaient à ses converses trempées. Elle jeta un dernier regard à la plage, les trois amis étaient rassemblés autour du brun. Rassurée, elle quitta l'endroit en soupirant, rejoignant la caisse de Topper, où lui et Sarah s'engueulaient.

C'était certain désormais, elle détestait les fêtes.

- Gigi