Le silence du château était oppressant, alourdi par l'écho lointain du vent qui sifflait à travers les tours. Lanaëlle avançait à pas mesurés aux côtés de Kaelan, son regard analysant chaque détail du palais sombre où elle venait de mettre les pieds.

Les couloirs étaient froids, tapissés de draperies couleur de nuit, et chaque torche qui brûlait semblait vaciller comme si même la lumière se méfiait de cet endroit.

Kaelan marchait devant elle, le dos droit, mais elle percevait la tension dans sa posture. L'échange avec son père avait laissé des traces.

— Où comptes-tu m'emmener ? demanda Lanaëlle, sa voix tranchante dans le silence.

— Dans mes appartements. Ce sera l'endroit le plus sûr pour toi, pour l'instant.

Elle haussa un sourcil, un sourire sarcastique naissant sur ses lèvres.

— Un prince si galant... je devrais être flattée.

Kaelan ne répondit pas, mais elle aperçut le coin de sa mâchoire se crisper. Il semblait ailleurs, comme en proie à un conflit intérieur.

— Tu regrettes déjà de m'avoir amenée ici, n'est-ce pas ? lança-t-elle, sa voix adoucie par une curiosité sincère.

Il s'arrêta net et pivota vers elle.

— Je ne regrette pas. Mais je sais ce que mon père est capable de faire. Et tu devrais le savoir aussi.

Lanaëlle plongea son regard dans le sien. Kaelan n'essayait pas de l'effrayer, il était honnête.

— Je ne suis pas une enfant imprudente, Kaelan. J'ai grandi en sachant que ton père était un monstre. Je veux voir de mes propres yeux si c'est vrai.

— Ce n'est pas un monstre. Il laissa un silence planer avant d'ajouter d'une voix plus basse : C'est pire.

Elle n'eut pas le temps de répondre.

Un bruit résonna dans le couloir.

Lanaëlle porta instinctivement la main à la petite lame dissimulée dans le tissu de sa robe, mais Kaelan lui fit signe de ne pas bouger. Il se tourna, tendant l'oreille.

Puis, d'un pas mesuré, une silhouette surgit des ombres.

Un homme à la stature impressionnante, vêtu d'une armure ornée du blason de Noctern, s'avança vers eux. Il portait un sourire narquois qui ne cachait en rien la menace qu'il représentait.

— Prince Kaelan... toujours en charmante compagnie, à ce que je vois.

Kaelan se raidit.

— Commandant Varek.

Lanaëlle devina immédiatement qu'il s'agissait d'un des hommes de confiance de Malagar. Un prédateur vêtu d'acier, au regard perçant.

Varek détailla la princesse de haut en bas avec une curiosité teintée de mépris.

— Ainsi, c'est elle, la précieuse héritière de Valtéra ? Étonnant que vous ne l'ayez pas encore livrée aux cachots.

Lanaëlle soutint son regard sans ciller.

— Un commandant de Noctern qui parle sans réfléchir... Étonnant que le roi garde un homme comme vous à son service."

Varek haussa un sourcil, puis éclata de rire.

— Oh, elle a du mordant. Je comprends mieux pourquoi vous l'avez ramenée ici. Il se tourna vers Kaelan, son sourire s'effaçant légèrement. — Le roi souhaite voir son fils. Immédiatement.

Lanaëlle sentit une tension invisible entre les deux hommes.

Kaelan hésita, jetant un regard vers elle avant de hocher la tête.

— Très bien. Mais la princesse reste sous ma protection.

Varek fit une moue moqueuse.

— La princesse restera ici. Pour l'instant.

Kaelan lui lança un dernier regard avant de s'éloigner, suivant le commandant vers la salle du trône.

Lanaëlle inspira profondément, se tournant vers le couloir obscur qui s'étendait devant elle.

Elle était désormais seule, au cœur du domaine ennemi. Et elle savait que ce château cachait bien des pièges.

Mais elle était prête.

Quoi qu'il arrive, elle ne plierait pas.

Lanaëlle s'appuya contre le mur froid du couloir, ses pensées tourbillonnant à une vitesse vertigineuse. Kaelan était parti affronter son père, et elle se retrouvait seule dans un château où chaque ombre semblait porter un secret.

Elle savait qu'elle n'avait que peu de temps avant qu'on ne lui impose une surveillance plus stricte. Si elle voulait en apprendre davantage sur la prophétie qui liait son destin à celui de Noctern, c'était maintenant.

Prenant une profonde inspiration, elle s'éloigna des appartements que Kaelan lui avait assignés et s'engouffra dans un couloir latéral, là où la lumière des torches se faisait plus rare.

Elle avançait prudemment, attentive au moindre bruit. Ses pas la menèrent jusqu'à une aile plus ancienne du château, où la pierre semblait plus usée, marquée par le poids des âges.

Au détour d'un corridor, elle aperçut une immense porte en bois massif, sculptée de symboles anciens qu'elle ne reconnut pas immédiatement. Un frisson parcourut son échine.

Quelque chose était derrière cette porte. Quelque chose d'important.

Elle tendit la main, effleurant le bois du bout des doigts. Contre toute attente, la porte s'ouvrit sans bruit, révélant une vaste salle circulaire, plongée dans une pénombre épaisse.

Au centre, un autel de pierre trônait, recouvert d'un tissu noir aux broderies d'or. Tout autour, des bibliothèques immenses bordaient les murs, remplies de parchemins et de grimoires aux couvertures marquées par le temps.

Lanaëlle avança lentement, son cœur battant plus fort. Elle savait qu'elle se trouvait dans un lieu interdit.

Ses yeux furent attirés par un parchemin déroulé sur l'autel. L'écriture était ancienne, mais elle parvenait à la déchiffrer.

Elle lut à voix basse :

"Lorsque la lumière et l'ombre s'uniront, le royaume brisé renaîtra.
Le sang des rois marquera la fin d'un cycle millénaire.
L'héritier du feu et l'héritière du jour scelleront le sort des empires...
Et des cendres du passé, un nouveau trône s'élèvera."

Son souffle se bloqua.

Cette prophétie... elle parlait bien d'elle et de Kaelan.

Elle sentit une présence derrière elle et se retourna vivement, sa main prête à dégainer la lame cachée sous sa manche.

Une femme se tenait là, dissimulée sous un long voile sombre. Son regard perçant semblait sonder son âme.

— Tu n'aurais pas dû venir ici, princesse.

Lanaëlle ne bougea pas, serrant sa lame.

— Qui es-tu ?

— Une ombre du passé. Une vestige d'une ère que ton père et le roi Malagar ont tenté d'effacer.

Lanaëlle plissa les yeux.

— Que sais-tu sur cette prophétie ?

La femme s'approcha lentement, sa voix résonnant comme un murmure venu d'un autre temps.

— Tout. Et si tu veux survivre, tu devras apprendre la vérité avant qu'il ne soit trop tard.

Lanaëlle sentit son cœur s'emballer.

La vérité.

Elle était sur le point de découvrir ce que tous lui avaient caché... et peut-être, comment briser son destin.