Chapitre III: Les Pièces du Jeu
La lumière pâle du matin filtrait à peine à travers les lourds rideaux du grand hall. L'air était lourd, chargé de non-dits et de regards furtifs. Lanaëlle se tenait là, face à son père, le roi Aldric, tandis que Kaelan observait la scène silencieusement, comme un spectateur attentif dans ce théâtre de guerre.
La salle du trône était déserte, à l'exception des trois figures royales, mais l'atmosphère semblait prête à se remplir des échos d'une bataille silencieuse. La princesse, le roi, et l'héritier d'un autre royaume. Une alliance nécessaire, disait-on. Un mariage politique, disait son père.
Lanaëlle sentit la lourdeur de l'air sur ses épaules, comme un fardeau que personne ne pourrait jamais porter.
— Si ce mariage est votre solution, Prince Kaelan, sachez que je n'ai pas l'intention de m'y soumettre. Pas de cette manière.
Sa voix était calme, mais chaque mot en elle était chargé d'une détermination silencieuse. Elle croisa le regard de Kaelan, mais cette fois, elle n'y chercha aucune compassion. Au contraire, elle voyait dans ses yeux un défi, un respect peut-être, mais pas de la compréhension. Ni du côté du prince, ni de celui de son père, elle n'avait vu la moindre trace d'une volonté de véritable choix.
Kaelan ne répondit pas immédiatement. Son regard se fixa sur la princesse, la scrutant comme si ses mots n'étaient qu'un début. Il savait bien que ses propres intentions n'étaient pas claires pour elle. Il n'était pas là par choix, pas complètement. Il était un héritier, une marionnette dans un jeu de pouvoir plus vaste qu'il n'avait jamais voulu comprendre. Mais en elle, il voyait une possibilité — pas de victoire, mais d'un autre chemin.
Il ouvrit la bouche pour répondre, mais avant qu'il ne puisse articuler un mot, le roi Aldric s'avança, brisant le silence avec un geste impérieux.
— Assez.
Il fixa sa fille, les yeux sombres, impénétrables, remplis de l'histoire d'un royaume qui s'était forgé dans le sang et la guerre.
— Lanaëlle, tu es l'héritière de Valtéra. Ce royaume n'a jamais connu la paix durable. Si ce mariage est la solution pour écarter la guerre, tu l'accepteras. Peu importe ce que tu penses du prince. La politique n'est pas une question de choix personnel, c'est un devoir envers notre peuple. Nous avons un rôle à jouer. Tous les trois.
Lanaëlle sentit la colère monter en elle, mais elle ne répondit pas. Elle savait que les mots de son père étaient ceux d'un homme désabusé, forgé par des années de pouvoir et de compromis. Son royaume, son père, sa destinée... tout cela lui échappait, comme des chaînes invisibles qui l'empêchaient de respirer.
— Et si ce mariage n'était pas la solution ? lança-t-elle, un défi silencieux dans sa voix. Que faire si cela n'empêche pas la guerre, mais l'accélère ?
Le roi se tourna alors vers Kaelan, son regard dur.
— Vous avez dit que vous compreniez. Que vous cherchiez un autre chemin. Montrez-le alors.
Kaelan se tendit sous le poids du regard du roi, mais il répondit sans hésitation.
— Je n'ai pas de solution miracle. La guerre n'est jamais une issue simple. Mais ce mariage... il pourrait être le début d'une autre voie. Si nous réussissons à tordre la politique à notre avantage, peut-être qu'une vraie paix est possible. Mais cela nécessite plus que des compromis. Il faudra des sacrifices, et pas seulement de la part de la princesse.
Lanaëlle sentit un frisson la parcourir en entendant ces mots. Sacrifices. Ce mot résonnait comme une condamnation. Elle ne voulait pas être un instrument, une simple monnaie d'échange dans un jeu de pouvoirs.
Le roi Aldric les regarda un instant, comme s'il pesait ses propres mots. Puis il se tourna vers sa fille, ses traits marqués par une fatigue qu'elle n'avait jamais remarquée auparavant.
— Tu crois que je n'ai pas vu les sacrifices, Lanaëlle ? dit-il d'une voix basse, presque fatiguée. Tu crois que j'ai forgé ce royaume dans la douceur des fleurs ? Chaque décision que j'ai prise, chaque alliance que j'ai conclue, je l'ai faite en pensant à notre peuple. Pas à moi. Pas à mon désir personnel. Si cela te semble injuste, c'est que tu n'as pas encore vu ce que c'est que de régner dans un monde où la guerre est toujours au coin de la rue. Là où chaque erreur peut coûter la vie de milliers de personnes.
Lanaëlle sentit une vague de frustration monter en elle, mais elle n'osa pas répondre. Les mots du roi étaient comme des chaînes de fer, s'enroulant autour de son esprit. Mais était-ce vraiment sa seule option ? Se soumettre à cette voie, à ce destin tout tracé ?
Elle se tourna vers Kaelan. Il la regardait, toujours aussi impénétrable, mais une lueur d'intensité brillait dans ses yeux. Ce n'était pas de l'indifférence, ce n'était pas de l'arrogance, mais quelque chose d'autre. Quelque chose de plus... humain.
Elle fixa le sol, le cœur lourd. Elle savait qu'elle n'avait pas encore toutes les réponses. Mais dans cet instant de silence, une seule question persistait : Jusqu'où était-elle prête à aller pour briser le cycle ?
Le roi les observa un instant, puis prit une décision silencieuse.
— Ce n'est pas à nous de choisir, Lanaëlle. Le destin nous a déjà placés ici. Nous devons l'accepter, ou tout perdre.
Lanaëlle n'eut pas le temps de répondre, car à cet instant, une silhouette apparut dans l'encadrure de la porte. Un messager, essoufflé, se précipita vers le trône.
— Votre Majesté, une nouvelle... urgence des frontières.
Le roi se tourna vers lui, la tension palpable dans ses yeux. Le messager tendit un parchemin scellé. Le roi brisa le sceau et déplia le papier d'un geste vif. Il lut rapidement, ses traits se durcissant à mesure qu'il prenait connaissance du message.
— Préparez l'armée. La guerre approche.
Le destin, comme toujours, frappait sans avertissement.
Lanaëlle sentit le poids de l'instant la submerger. Elle venait à peine de commencer à comprendre ce qu'il lui était demandé, et déjà, la tempête était sur eux.
Le messager se hâta de sortir de la salle, laissant derrière lui une atmosphère dense de tension. Le roi Aldric plia le parchemin d'un geste brusque, puis se tourna lentement vers sa fille, son regard aussi froid et implacable que les montagnes de Valtéra.
— Ce n'est pas une simple guerre, Lanaëlle. Ce n'est pas une question de territoire ou d'honneur. Il s'approcha d'elle, chaque pas lourd de signification. Cela fait des années que les royaumes se toisent, se surveillent, attendant le moment propice pour frapper. Si nous n'agissons pas, ce que ton grand-père a construit, tout ce que ton père a sacrifié, tout sera détruit.
Lanaëlle sentit une angoisse croissante la submerger, mais elle se refusa à se laisser emporter par la peur. Elle déglutit, ses doigts serrant discrètement la broderie de sa jupe. Son regard se posa sur Kaelan, qui observait la scène avec une froideur distante. Il ne semblait pas affecté par les paroles du roi, mais elle savait qu'il entendait chaque mot avec la même attention qu'elle.
— Je suis bien consciente des enjeux, Père, répondit-elle d'une voix mesurée, mais pleine de détermination. Mais la guerre n'est pas la seule option. Pourquoi devrais-je être celle qui se sacrifie pour un mariage imposé ? Pourquoi devrais-je choisir entre la vie de milliers d'hommes et ma propre liberté ?
Le roi soupira, une lueur de lassitude dans les yeux. Il se tourna vers Kaelan, cherchant un réconfort dans la présence du prince héritier de Noctern, comme si ce dernier pouvait apporter un éclairage nouveau à cette situation de plus en plus complexe.
Kaelan, pourtant, ne semblait guère plus enthousiaste à l'idée de ce mariage. Il avait entendu les mots du roi, mais il savait qu'il devait suivre un rôle dans cette pièce géante. Les alliances politiques n'étaient pas là pour être questionnées, mais pour être exécutées. Et ce qu'il avait entrevu dans les yeux de la princesse, cette lueur de résistance et d'intelligence, lui donnait l'impression qu'il y avait peut-être un autre chemin. Mais quel chemin ?
Il se tourna vers le roi et répondit d'une voix plus calme, presque sombre.
— La guerre ne se gagne pas en se précipitant vers l'inévitable, Votre Majesté. Elle se prépare. Chaque action, chaque décision compte. Il fixa Lanaëlle, comme pour signifier qu'il parlait non seulement au roi, mais aussi à elle. Vous avez des alliés, des choix à faire. La paix... ou la guerre... il n'y a que des chemins à tracer.
Lanaëlle baissa les yeux, son esprit en tourmente. Il y avait quelque chose dans ses paroles qui résonnait en elle, quelque chose qui éveillait en elle l'idée que peut-être, juste peut-être, il existait une autre voie. Elle se força à respirer profondément, rassemblant ses pensées, avant de se redresser avec plus de fermeté.
— Il y a toujours un choix, répondit-elle doucement, presque à elle-même. Mais chaque choix a un prix. Un prix que nous devons être prêts à payer.
Le roi les observa tous deux un instant, avant de hocher la tête. Il savait que ce moment ne ferait qu'ajouter à la complexité de la situation. Mais il était trop tard pour revenir en arrière. Tout, dans ce royaume, dans cette vie, avait toujours été question de sacrifices. Et il savait que sa fille serait bientôt confrontée à une vérité encore plus douloureuse : quel sacrifice serait-elle prête à faire pour sauver son peuple ?
Il tourna son regard vers Kaelan, et cette fois, la froideur de son regard ne cacha plus rien de son impatience.
— Ce mariage... Il doit se faire, que vous le vouliez ou non. La guerre que nous éviterons n'est qu'un début. Ce royaume, ce trône, sont trop vulnérables pour laisser une chance à l'échec. Lanaëlle, tu dois comprendre cela.
Lanaëlle ne répondit pas immédiatement. Elle avait appris, à force de discussions avec son père, que parfois les mots étaient des murs qu'il fallait simplement laisser s'effondrer tout seuls. Mais aujourd'hui, quelque chose dans la chaleur de la salle, dans la présence de Kaelan, lui donnait l'impression que ce mariage ne marquerait pas la fin de son histoire. Pas la fin de ses rêves.
Le silence se fit lourd, comme un poids insupportable qui pesait sur les trois figures royales. Le destin était suspendu dans l'air, une question non formulée qui flottait au-dessus de leurs têtes.
— Très bien, dit-elle enfin, d'une voix calme mais décidée. Mais sachez une chose, Père... Ce mariage ne sera pas une simple alliance politique. Je ferai entendre ma voix, même si cela doit tout changer.
Le roi la regarda un moment, son regard perçant cherchant à déchiffrer le sens de ses mots. Il ne répondit pas. Il savait qu'un autre défi se préparait, mais il n'avait pas le choix. Son rôle était de garantir la survie de son royaume, même si cela signifiait jouer à un jeu dont il n'était plus certain des règles.
— Nous verrons bien. La froideur de sa voix contrastait avec la chaleur étouffante de la salle. Préparez-vous. La guerre n'attend pas.
Alors que le roi quittait la salle, laissant derrière lui un écho de ses décisions, Lanaëlle se tourna vers Kaelan. Leur regard se croisa à nouveau, mais cette fois, il y avait une nouvelle compréhension entre eux. Peut-être ne s'agissait-il pas seulement d'une alliance politique. Peut-être, au fond, cette rencontre marquait le début d'un jeu bien plus grand.
Elle parla à voix basse, mais avec la même détermination qui l'habitait.
— Nous devons trouver un moyen d'éviter ce sacrifice, Kaelan. Parce que je ne serai pas la pièce sacrificielle de ce jeu.
Kaelan la fixa longuement avant de répondre, son regard toujours aussi impénétrable.
— Alors, prépare-toi à marcher sur un chemin semé d'embûches. Mais sache que je ne suis pas sûr que nous ayons d'autre choix que de jouer ce jeu... jusqu'au bout.
Lanaëlle sentit son cœur battre plus fort. Elle n'était pas seule dans cette bataille, mais la route serait semée d'embûches. La paix qu'elle espérait semblait encore lointaine, mais elle se refusait à la laisser filer entre ses doigts.
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