∎NIGHT SIX
↺ Daddy issues by The Neighbourhood

«–Tu veux en parler ?»

Jake est assis près de moi. Je sens son regard chercher le mien qui ne peut se détacher du sol. Il m'a accueilli, m'a poussé sous la douche pour que je ne tombe pas malade et m'a prêté des vêtements. Puis lorsque je me suis retrouvé sur son lit, il m'a tendu un chocolat chaud. Il n'a pas posé de question avant de pouvoir être à côté de moi, posé, disposé à m'écouter.

Et moi je ne sais même pas par où commencer. J'ai pleuré et pleuré sous la douche. Les souvenirs que j'avais tenté d'effacer, l'arrestation de mon père, la liste de ses crimes, le noms de ces jeunes filles qu'il a détruit, tout me revient avec violence. La peine dérisoire dont il a écopé et ma mère qu'il n'a cessé de le protéger. Tout ce que j'ai tant essayé de fuir en m'enfermant. Je suis un bordel, le vide en moi a explosé, c'est un chaos sans nom.

Et je me souviens des remarques sur mon passage, des regards en biais, des personnes qui m'ont abandonné sur le chemin. Parce que je ne pouvais être comme lui, parce que je porte son sang dans mes veines.

Et lui, lui aussi, il me verra comme ça, pas vrai ?

«–Niki ?»

Il pose sa main sur mon genoux, je sens la chaleur de sa paume à travers le tissu du jogging.

«–Si tu n'as pas envie de parler, je ne forcerais pas et je comprendrai, mais... Si c'est grave...

–J'ai pas envie que tu... changes ta manière de me voir toi aussi.

–Je suis pas là pour te juger. Je suis juste... Inquiet ?»

Je déglutis nerveusement. Une partie de moi ne veut pas porter ce fardeau seule, et une partie de moi craint les conséquences. Je passe une main tremblante sur mon visage, la gorge noué.

«–Je ne sais même pas par quoi commencer...

–Ne réfléchis pas, sors juste ce que t'as dans le coeur comme ça vient.»

Je vais le faire ? Je vais vraiment le faire ?

«–Mon père...»

Je suis fatigué de me sentir coupable. Je ne veux pas rester otage de lui, de ma mère, de personne.

«–Est en prison. Je... C'est arrivé d'un coup, la veille on mangeait en famille en riant et le lendemain, les flics lui passaient les menottes aux poignets. Il... Cet homme, il a détruit des vies.»

D'une main nerveuse, je joue avec le tissu de mon pantalon. Je sens la main de Jake glisser sur la mienne et la serrer avec une douceur réconfortante, une douceur qui m'incite à continuer sans craintes.

«–Il était prof au collège. Et il a abusé de plusieurs de ses élèves. Mon père... Mon père est un putain de violeur. J'ai le sang d'un violeur dans mes veines ! J'ai... Ces filles, elles... Elles sont mortes de l'intérieur et lui, il a pris quoi ? 5 ans ? 5 ans pour ça ? Il aurait dû crever ! »

Les larmes m'échappent à nouveau sans que je ne parvienne à les retenir.

«–Je peux pas les oublier, ces regards vides. Je peux pas oublier les murmures sur mon passages et les tags sur ma table. Comme si c'était moi, comme si j'étais responsable, comme si... Comme si j'étais destiné à devenir comme lui, un monstre... Je suis... J'étouffe sous le poids de ses actes, sous le poids de ma mère qui ne cesse de le protéger, sous la culpabilité de ne rien avoir vu... je... Je me sens aussi horrible que lui... Je me sens sale... Je...»

De son bras libre, Jake m'attire contre lui.

«–Tu n'as pas à prendre la responsabilité de tes parents. Ces crimes ne sont pas les tiens. Tu ne pouvais pas l'en empêcher si tu ne savais pas. Et si tout le monde te répète que par ton lien de sang, tu ne vaut pas mieux que lui alors je vais te le répéter jusqu'à effacer leurs paroles. Tu n'es pas sale, tu n'es pas un criminel, tu n'es pas ton père Niki. Tu ne sera pas lui.»

J'étouffe un sanglot.

«–Alors tu ne... va pas me repousser alors que...

–Jamais. Tu n'es pas responsable Niki, je le crierais même sur les toits de chez toi s'il le faut.

–Jake...

–Tu ne me dégoutes pas. Pas toi.»

C'est comme si tout s'effondrait une nouvelle fois. Pas comme ce jour-là, pas quand je me suis écrasé six pieds sous terre. Ce sont ces mots, ces insultes, ces idées noires sous ma peau qui éclatent. Je crois que je n'ai pas autant pleuré depuis longtemps. Je suis dans le brouillard avec mes démons. Je hurle, je hurle à m'en déchirer la voix.

Parce que je n'ai jamais voulu voir ces jeunes filles si détruites. Je ne voulais pas qu'elle subissent ces horreurs. Je voudrais effacer ces cicatrices.

«–Je les hais... putain, je hais mes parents...»

J'ai senti l'étreinte du châtain se serrer autour de moi.

Et ma sœur, ma sœur, qu'est-ce qu'il vont faire d'elle... Qu'est-ce qu'ils feront de nous...

Moi, je l'ai abandonné elle...

«–Ma sœur... elle... J'ai tellement peur de savoir qu'elle ait pu... qu'il l'ait fait... Et qu'elle ait subi de ce que j'ai vécu... J'ai peur mais j'ai préféré fermer les yeux... J'ai préféré m'enfermer dans l'obscurité de ma chambre. J'ai préféré me laisser crever... Je suis...»

Minable. Tellement minable.