Les vendredis d'un prof pessimiste : Déménagement imprévu
Samedi 7 juillet, quelque part en Auvergne.
Vous savez ce que je pense des déménagements ? Non ?
Alors je vous l'annonce : je les déteste.
Quoique mon dernier déménagement fut élémentaire.
Si vous n'avez pas eu votre dose de pessimisme hebdomadaire hier, c'est parce que je déménageais. Bonne excuse, n'est-ce pas ? Je suis désolé de ne n'avoir pu rendre, par comparaison, votre quotidien joyeux et agréable. Ne vous inquiétez pas, après avoir lu ce billet-ci votre vie vous semblera presque paradisiaque. Mais morne.
J'ai déménagé hier.
Entre autres choses.
Tout d'abord, sachez que contrairement à une idée reçue : un enseignant, ça bosse ! Même en juillet. Ensuite, je rajoute à votre connaissance que si les lycéens détestent l'idée de rédiger leur copie d'examen, il y a bien pire : corriger une copie d'examen.
Hier donc, avant de remplir mon devoir de fonctionnaire obéissant de l'Éducation Nationale, j'ai ouvert machinalement, comme tous les matins, ma boite aux lettres dans le hall de mon immeuble et j'ai récupéré la grande enveloppe jaune qui contenait le jugement de mon divorce.
Voilà.
Je m'appelle toujours Alex R., mais j'ai l'insigne honneur de pouvoir légalement cocher la case "célibataire" sur tout document administratif. De quoi bien commencer ma journée. Certes, il s'agit d'un divorce "par consentement mutuel", j'étais évidemment au courant, mais en parcourant du regard les feuilles alors que je sortais ma Volvo du garage, j'ai senti que mes trois biscottes beurrées matinales hésitaient entre plomber le fond de mon estomac ou remonter mon oesophage à toute allure.
Je suis alors allé corriger mes soixante-dix-sept copies de baccalauréat en tirant la gueule à mes collègues. Rien de neuf sous le soleil. Ils ont l'habitude.
Rentré vers dix-neuf trente, vanné par les conneries lues et les quarante-cinq minutes d'embouteillages quotidiens, j'ai découvert quasi-simultanément deux faits assez troublants, voire emmerdants.
Premier constat : ma clé ne fonctionnait plus. Dix-huit secondes plus tard exactement, j'avais compris. Merci Laetitia, mon ex-femme, pour le changement de serrure ! La voisine, Madame Larguier m'a regardé bizarrement alors que j'appuyais comme un dingue sur la sonnette. En vain. Elle n'a échappé à un magnifique doigt d'honneur que parce que j'ai été correctement élevé.
Deuxième constat : trois cartons, deux valises et deux sacs de voyage, parfaitement alignés sur le palier, contenaient gentiment l'ensemble de ma vie.
Note d'optimisme : Laetitia m'a épargné dix jours à préparer, trier, jeter, emballer dix mille choses.
Cependant, un goût amer me reste en travers de la gorge : elle semble avoir pris un plaisir sadique à enfermer dans ce peu de bagages, les souvenirs de nos vingt-deux ans de mariage et des deux gosses, devenus grands que nous avons élevés ensemble.
Ceci dit, après vérification, ma chère ex-femme a oublié mon chargeur de téléphone (j'ai dû en racheter un, car j'ai déchargé ma batterie à essayer de la joindre) et mon rasoir électrique préféré (je crois qu'elle l'utilise en douce depuis longtemps).
Voilà pourquoi j'ai déménagé. Bon honnêtement, c'était prévu. Nous avions convenu que je devais quitter l'appartement dès l'année scolaire achevée. Elle a juste précipité les événements de deux semaines. Pourquoi ? Je vais être honnête, j'ai probablement un peu abusé en buvant (beaucoup) et en rentrant (très) bruyamment (très) tard la veille au soir. D'habitude, je ne fais jamais cela en semaine. Non, je ne fais jamais cela. Je ne suis pas un fêtard, vous le savez. Cela demande trop d'efforts.
En bref, j'ai chargé mes bagages, acheté mon chargeur pour appeler Romain et Vivi afin de les avertir que je partais pour tôt que prévu en Auvergne. Puis j'ai roulé jusqu'à la ferme héritée de mon père il y a trois ans.
Ce matin, j'ai replacé la table d'extérieur dans la courette devant le corps de ferme, pour déjeuner au calme. Imaginez-moi, sirotant en solitaire un reste de café, probablement périmé, devant mon portable. Au fait, je ne suis pas tout à fait solitaire : deux chats ont trouvé refuge sur un des murs de ma propriété. Ils ont réussi à échapper aux crocs d'un petit roquet hargneux et me toisent de leurs yeux félins et dominateurs.
J'ai d'autres témoins à mon petit déjeuner : les vaches qui ruminent à quelques mètres en me fixant de façon impolie et indifférente à la fois. Cela ne me change guère de mes salles de classe.
Un troupeau de bovins, des chats, un chien, pour quelqu'un qui veut être tranquille...
Bon. À part ça, la journée commence bien : les placards sont vides et une canicule pointe le bout de son nez.
Alors que le voisin, avec un stetson ridicule sur la tête, passe une troisième fois au volant de son tracteur dans le chemin collé à ma table (ou presque), je termine ma tasse de café froid et vous informe que j'ai assez râlé pour aujourd'hui.
Au fait : je suis en vacances.
À vendredi prochain, sûrement, pour les pensées profondes d'un divorcé.
Alex R.
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