- Notre petite conversation t'a plu, dis-je à l'intention de Hoseok qui sortit du recoin sombre dans lequel il était caché depuis un moment.

J'avais senti sa présence et son odeur caractéristique de lycan dès qu'il avait mis les pieds dans la ruelle.

- Tu as été un peu dur avec lui, non ?

- Tu préfères que je le laisse se faire des illusions ? répondis-je d'une voix plus dure que je ne l'aurai souhaité.

Hoseok ne s'en formalisa pas. Cela faisait des années que l'on vivait ensemble et il connaissait parfaitement ma façon de fonctionner.

Mon agressivité était souvent le reflet de mes angoisses, mes silences ceux de mes blessures.

- Tu dois arrêter d'avoir peur, Jimin. Je sais la terreur qui est la tienne, du moins je pense savoir, mais lui, dit-il en pointant du doigt la vitrine du Diner's à travers laquelle on pouvait voir Yoongi attablé en train de nous observer. Lui, il est différent.

- Je lui ai démis l'épaule Hoseok.

- Mais il n'a pas peur de toi ! Envers et contre tout, il continue de chercher ta présence. Cette attraction entre vous...

- Il veut juste que je sauve son frère, le coupai-je précipitamment.

Le lycan partit d'un rire lumineux, comme seul lui pouvait avoir.

- J'étais là et j'ai tout entendu et pas seulement...

Je plissai les yeux et lui jetai un regard menaçant, espérant ainsi le faire taire, néanmoins nullement impressionné, il continua sur sa lancée.

- Je te rappelle qu'une des caractéristiques de ma race est un odorat surdéveloppé et ce que j'ai senti entre vous n'avait rien à voir avec la peur, c'était plutôt...

- C'est bon, c'est bon, j'ai compris, crache le morceau, dis ce que tu as à dire que je puisse partir.

Hoseok se balança d'un pied sur l'autre, un sourire aux lèvres.

- Son idée est loin d'être conne.

- Quoi d'être transformé en vampire ?

Le lycan hocha la tête.

- Tu as entendu ce que je lui ai dit, non ? Il veut faire ce qu'il réprouve chez son frère. C'est dangereux et stupide, pour lui, pour Jungkook et peut-être même pour nous. Ça peut le tuer, rien ne dit qu'il survive à la transformation.

- Il est plus fort que tu le ne penses.

Contrairement à ce qu'imaginait Hoseok, j'en avais parfaitement conscience. J'avais senti quelque chose de différent chez Yoongi à l'instant même où nos regards s'étaient croisés, bien au-delà de l'attirance qu'il avait suscité en moi et que je refusai encore.

Il arrivait rarement que l'on sente que quelqu'un porte le gène. La transformation d'un humain en vampire tenait plus de la roulette russe que d'une certitude, pourtant quelque chose me criait que lui pouvait en devenir un.

Je chassai cette pensée.

- Le gosse a foutu les pieds dans un truc qui le dépasse et je n'y peux rien.

- Tu n'y peux rien ou tu ne veux pas ? demanda-t-il en reprenant les mots de Yoongi quelques minutes plus tôt.

- Tu me fais chier, Hoseok. Tu es parfaitement placé pour savoir que rien n'est aussi simple.

Le lycan se mordit la lèvre inférieure et acquiesça.

- Je le sais, du moins je pense le savoir, car je ne possède pas toutes les données en mains, dit-il avec un léger reproche dans la voix. Quoi qu'il en soit, ce type est têtu. Il a décidé de sauver son frère  quelques soient les dangers et il est prêt à tout pour cela.
Je suis sûr que si la transformation était de ton fait, tu pourrais l'accompagner et le gérer.

J'eus la brève vision de mes crocs plantés dans la gorge opalescente de Yoongi dans un baiser mortel. Je n'avais jamais transformé quiconque et n'en avais jamais ressenti le besoin. L'idée même me révulsait. Ma nature de semi-mage s'opposait farouchement à mon côté vampire. L'un signifiait la vie, l'autre signifiait la mort.

Pourtant, il y avait dans ce geste quelque chose de si intime que je ne pus empêcher mon corps de frissonner.

- J'ai dit NON, finis-je par dire.

Hoseok plongea son regard dans le mien. Ses prunelles brillaient d'un éclat mordoré.

- Alors tue Arad.

J'écarquillai les yeux sous la surprise de ses propos avant qu'il reprenne.

- On sait tous que si quelqu'un peut le tuer c'est toi, dit-il avant de s'éloigner à son tour pour regagner le restaurant.

Je repositionnai le casque sur ma tête et démarrai sur les chapeaux de roues. Je laissai de la gomme sur l'asphalte sous le regard du lycan qui venait de s'arrêter devant la porte vitrée pour me regarder partir, les sourcils froncés.

Transformer Yoongi, sauver Jungkook, faire taire le démon qui m'habitait, peut-être retrouver la paix et vivre enfin .... Tuer Arad...

La vie est une succession de choix tracée par ses conséquences

Quelques années plus tôt

- N'as-tu jamais eu envie de transformer quelqu'un ?

Jin posa un marque-page dans son livre et le ferma délicatement avant de plonger ses yeux clairs dans les miens, un air surpris sur le visage. Cela faisait maintenant deux ans que nous vivions ensemble et je parlais si peu qu'il ne pouvait s'empêcher d'être étonné à chaque fois qu'il entendait le son de ma voix.

- Pourquoi cette question, Jimin ? me demanda-t-il doucement, comme pour ne pas m'effrayer.

Je ne l'avais jamais entendu élever la voix contre qui que ce soit. Ses paroles étaient toujours mesurées, en particulier quand il s'adressait à moi, petit chat sauvage qu'il tentait d'apprivoiser malgré les coups de griffes qu'il recevait parfois.

Les premiers mois avaient été très difficiles et je ne le laissais pas m'approcher, pourtant au fil des semaines qui passaient, je m'étais surpris à l'observer et à apprécier sa personnalité.

Je baissai la tête, encore gêné après tout ce temps en sa compagnie de soutenir son regard et caressa du bout du doigt le livre que je lisais.

Jin possédait une bibliothèque bien garnie qu'il avait constituée au fil des ans. Tous les sujets y étaient abordés, de la politique au recueil de poésie, des grands classiques de la littérature en différentes langues aux livres d'histoires, mes préférés.

J'avais toujours aimé lire et plonger dans ses ouvrages me servaient d'échappatoires aux sombres pensées qui m'habitaient encore. J'aimais l'entendre parler de ces époques qu'il avait traversées, de l'évolution du monde qu'il avait constaté de ses propres yeux.

- Tu n'as jamais souffert de la solitude ?

Il posa un regard attendri sur moi et prit appui sur le dossier de son fauteuil.

- Tu as peur que ton cher Jin se soit senti seul pendant toutes ces années ?

- Non, répondis-je en rougissant. Je me dis juste que deux-cent ans, c'est long quand on n'a personne à ses côtés.

- C'est vrai, c'est une éternité, cependant, c'est aussi un choix.

Voyant que je ne relevai pas, même si la curiosité me dévorait, il continua.

- Connais-tu la différence entre le fait de marquer quelqu'un et celui de le transformer ? demanda-t-il d'une voix douce.

Je levai la tête et secouai celle-ci en guise de négation.

Bien que mon père ait été un vampire et que je le sois moi-même à moitié, je ne connaissais pas toutes les subtilités des us et coutumes de cette race dans sa totalité.

- Tout d'abord, il y a certaines lois implicites parmi les vampires, tout comme il en existe parmi les mages, les lycans ou les humains.
Cependant, chez les vampires, elles sont plus fortes et ne peuvent être dérogées.
Dans l'absolu, chaque espèce peut être marquée même si les règles l'interdisent , mais seuls les humains peuvent être transformés. Ils sont les seuls à pouvoir supporter le venin que nous leur instillons à ce moment-là, beaucoup en meurent d'ailleurs contrairement à ce que le folklore laisse à penser.
Les seuls qui y survivent, sont ceux qui ont le gène, cependant cela nous ne pouvons le savoir même si certains vampires disent pouvoir reconnaitre les élus.

Je croisai les jambes et m'appuyai contre l'assise du canapé pour l'écouter plus confortablement, oubliant un instant ma gêne, tant il savait captiver les foules en parlant.

- Quand un vampire marque un individu, il en fait sa propriété. Il interdit par ce geste aux autres vampires de s'approprier sa proie.
Le vampire ne ressent rien pour la personne marquée si ce n'est un instinct de propriété. Il arrive cependant que le lien tissé se développe parfois sous la forme d'une attirance sexuelle. Le vampire développe alors une forme d'affection pour sa proie, par contre celui qui porte la marque devient toujours dépendant affectivement du mordeur.
Il ne peut se passer de lui, comme si le venin faisait office de drogue, provoquant un manque qu'il ne peut faire disparaître qu'en étant près de son  vampire.
Dans le cas du marquage, l'individu reste vivant, par contre dans le cas d'une transformation pour un humain, il en meurt, pour renaître sous sa nouvelle forme.
Quand on transforme quelqu'un, le lien qui se crée, un peu comme celui du lycan qui s'imprègne de son âme sœur, devient incessible. Il est si puissant que l'un ne peut vivre sans l'autre.
En partageant le venin, tu partages ton cœur, du moins son allégorie et ton âme, faut-il encore que le vampire qui transforme est conservé la sienne.
Tu peux lire les pensées de l'autre. Tu deviens un tout et c'est souvent pour cela que les vampires ne transforment qu'un être au cours de leur pseudo-vie même s'ils arrivent que certains en transforment plusieurs.
C'est un lien si puissant qu'il se suffit à lui-même et tu deviens seul au monde en étant deux.

- Il arrive que ce lien ne se crée pas ?

- C'est possible cependant, c'est rare. Cela n'arrive que si l'humain qui est transformé avait des sentiments très profonds pour une autre personne, mais dans ce cas-là, c'est le vampire mordeur qui en soufre toute sa vie durant car il ne peut combler le manque de la personne avec qui il est lié.
Quoi qu'il en soit, le lien est indéfectible et éternel.

- C'est beau, n'avais-je pu m'empêcher de répondre.

Jin se redressa et posa ses coudes sur ses genoux en se penchant en avant.

- Crois-tu ? Penses-tu que ton père aurait transformé ta mère si elle avait été humaine ?

Je ne pus retenir un frisson à la mention de mes chers disparus.

- Je ne sais pas, répondis-je dans un murmure.

- C'est exactement ça, on ne sait pas. Ce choix est personnel et doit être fait en son âme et conscience. Certes, il l'aurait perdu à un moment de sa vie, il l'aurait vu vieillir alors que lui serait resté jeune. Il aurait perdu pour toujours son âme sœur et aurait dû survivre sans sa chaleur à ses côtés, mais d'un autre côté, garder son amour éternellement, aurait signifié la tuer. Il lui aurait enlevé une part de son humanité au risque d'ailleurs de ne pas réussir et de vivre avec cette mort prématurée sur la conscience, torturé à jamais par le regret.

- C'est pour cela que tu ne l'as jamais fait ?

Jin se redressa, pensif.

- Peut -être ... répondit-il mystérieux. La vie est une succession de choix tracée par ses conséquences.