5. Vermeille
5. Vermeille
Mousier, Borue, Turbinard, Outre
Mousier – De l'eau, vite ! Turbinard ! Apportez-lui de l'eau !
Turbinard – Outre, de l'eau !
Mousier – Il ne vous entend pas.
Turbinard – Je vois bien !
Turbinard signe à Outre de donner sa gourde à Mousier, qui s'empresse d'abreuver Borue. Quelques gouttes à peine : vide.
Mousier – C'est tout ?
Borue, une fois sa toux calmée – J'ai rien, j'ai rien. Je crève de soif, pas de quoi pas niquer.
Turbinard – Où se trouvait la fontaine au poisson ?
Mousier – Vous avez bien dit...
Turbinard, mimant – La fontaine au poisson ! C'est à Outre que je parle.
Outre presse la gâchette du souffleur de manière insistante.
Turbinard – Tu es sûr ?
Même jeu.
Turbinard – Ici-même ! Ici-même se trouvait autrefois une fontaine splendide, le cœur de ce parc.
Mousier – Je la connais, je venais m'y asseoir tous les jours après les cours. Il y avait ce gros poisson qui venait à ma rencontre, un beau bulleur tout écailleux !
Turbinard – Nous l'avons relâché dans la nature.
Mousier – Dans ce parc !
Turbinard – Et où ? Il s'est rapaté comme un cabri, qu'on l'a plus jamais revu.
Borue – Et la fontaine ? Vous l'avez relâchée aussi ?
Turbinard – Non, pardi. Nous avons dû l'enterrer. La loi terdisait de la démolir, alors on l'a fait glisser jusqu'au fond d'un trou, l'eau croupie avec. Comprenez, en automne, les feuilles s'accumulaient sur le dessus. D'abord, on s'en merveillait : la surface prenait une teinte toute vermeille. Ensuite, le bassin s'embouait et il fallait tout refiltrer. Trop cher. L'orde venait d'en haut.
Mousier – Et les souhaits ? Je me souviens qu'on y jetait des pièces en fermant les yeux. Il y avait des vœux de tous les horizons : des francs, des louis, des lires... Je me demandais toujours ce que ces anciens rêveurs avaient pu réclamer, et s'il y en avait pour témoigner de la magie à l'œuvre... Ma mère croyait qu'en versant son salaire dans l'eau, un dieu trouverait la monnaie assez bonne pour guérir mon père. Je voulais y croire, je devais y croire. Il est mort quand même. Moi, je n'ai jamais jeté qu'une pièce dans la fontaine.
Borue – Qu'as-tu exigé en retour ?
Mousier – Que le poisson ne s'étouffe jamais avec les souhaits des autres.
Turbinard, fier comme un pou – Figurez-vous que tous vos petits soussous sont sous bonne garde. Nous les avons cupérés ; ils ont contribué à l'achat d'un souffeur de feuilles à la pointe da technologie, sauf les cafouillages d'usine.
Mousier – Comment, ça !
Turbinard – Oui ! Nigauds que nous sommes, nous n'y avons pensé qu'après avoir pongé la fontaine dans la fosse. Alors nous avons creusé un puits en douce, pour passer l'épuisette. Un petit tour chez le numismate plus tard, et à nous le magot ! La trappe du puits devrait être quelque part sous les feuilles... Avec un seau et des cordes, il y aurait de quoi faire boire votre amie.
Mousier – L'empoisonner, plutôt.
Turbinard – Mieux que rien.
Mousier – Mon père ! Mon père est mort par votre faute ! Vous n'imaginez pas toutes les emmerdes que ma mère devait se traîner pour le maintenir... Et vous, vous !
Borue – Baptiste, du calme, une fontaine magique ne pouvait pas...
Mousier – L'homme dans le buisson avait raison : le parc a honte de vous, vous l'avez maudit ! Vous avez délaissé puis banni sa seule merveille, vous lui avez arraché le cœur ! Et maintenant, vous ravagez le reste, desséchez jusqu'à la moindre goutte ! Vous ne ramassez pas les déchets, vous les créez : en considérant la nature entière comme bonne à jeter, vous la tuez par avance ! Vous méconnaissez la valeur des choses qui tombent, le prix de la merde, la force du germe ! Vous êtes pire que ce que vous méprisez ! Vous n'êtes personne ! Vous n'êtes rien ! Je vous maudis !
Mousier se jette sur son sac, qu'il abat avec fureur contre Turbinard, qui lui enfonce la tronçonneuse dans la poitrine. Giclures teintées au pigment vermillon, Turbinard en est couvert. Dans son cri de terreur, Borue atteint le timbre même du souffleur d'Outre – qui se met aussi à marteler son outil. Désorienté, Turbinard appelle "Outre ! Outre !", et dans un faux mouvement abat son compagnon qui s'étale dans une flaque rousse. Hystérie de Borue, apathie de Turbinard qui n'y comprend plus rien.
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