𝐈𝐈 | 𝐕𝐞𝐧𝐨𝐦𝐨𝐮𝐬 𝐌𝐨𝐨𝐧
❝ 𝘗𝘪𝘵𝘤𝘩 𝘣𝘭𝘢𝘤𝘬, 𝘯𝘰 𝘭𝘪𝘨𝘩𝘵
𝘕𝘰 𝘥𝘢𝘺, 𝘯𝘰 𝘯𝘪𝘨𝘩𝘵 ❞
─ 𝐀𝐩𝐨𝐜𝐚𝐥𝐲𝐩𝐭𝐢𝐜𝐚, 𝐻𝑜𝑢𝑠𝑒 𝑜𝑓 𝐶𝘩𝑎𝑖𝑛𝑠
☾
Complètement éreinté, Taehyung se tenait le front contre son casier. Son poing gauche était appuyé près de son visage, tandis que le droit serrait l'anse de son sac.
Les paupières closes, il se laissait envelopper par les souvenirs de la nuit passée. Des éclats de fatigue scintillaient dans ses yeux, dénués de toute trace de larmes. Ces larmes, qui d'ordinaire accompagnaient fidèlement ses semaines, s'étaient retirées la veille de la nuit, refusant de se manifester.
C'était lié à l'arrogant aux cheveux d'or et au regard méprisant.
Il se redressa avec une légère lassitude pour organiser ses effets dans son casier, laissant échapper un soupir. Cependant, un sourire subtil éclaira son visage à l'idée que le moment du déjeuner – quand il avait de quoi se nourrir – constituait pour lui une pause des plus appréciées. Point de tension ni de sombres souvenirs à l'horizon.
Simplement quatre-vingt-dix minutes de sérénité et de complicité partagées avec ses amis.
Jimin fit son apparition à ses côtés, escorté d'un grand brun au charisme décontracté qui rayonnait d'un sourire resplendissant orné de deux fossettes charmantes. Namjoon. Le dernier arrivé dans leur groupe, le plus âgé de tous. Une amitié profonde le liait avec Jimin, bien que Taehyung soupçonnât des affinités plus intimes entre eux.
Depuis leur première rencontre, il y a de cela trois années, Taehyung avait été captivé par l'élégance innée de Namjoon, par ses traits harmonieux et sa prestance qui semblaient émaner de lui avec une grâce naturelle. Il fut ensorcelé par la brillance de son esprit, une éclatante rivale à la sienne, Namjoon le surpassant légèrement.
Pourtant, malgré son visage juvénile, Namjoon lui semblait parfois être un étranger égaré au milieu d'une foule de jeunes. Cette pensée venait hanter Taehyung de temps à autre.
C'était comme si Namjoon n'avait guère sa place en ces lieux, tel un mauvais accord dans une symphonie.
Taehyung savait cependant que ces pensées étaient absurdes. Après tout, Namjoon était l'un de ses amis les plus proches, leur protecteur bien-aimé. Nul besoin de douter de lui simplement parce qu'un élément semblait discordant.
« Salut, Tae ! », s'exclama la voix joyeuse de Jimin.
Le concerné se tourna, une lueur d'affection vibrant dans son sourire. Taehyung exprima sa joie sincère de les retrouver, le visage rayonnant. Il accueillit Jimin dans l'étreinte chaleureuse de ses bras, réitérant le même geste avec Namjoon qui lui prodigua une tape amicale sur le dos, ébouriffant ses cheveux. Taehyung semblait presque disparaître sous sa carrure imposante, mais il appréciait toujours ses étreintes réconfortantes.
« T'as pas l'air au meilleur de ta forme. Et tu marches encore en tanguant un peu, lui fit remarquer Namjoon en le libérant de ses bras, inquiet.
— C'est vrai, renchérit Jimin, les sourcils froncés. Y'a un truc va pas ?
— J'ai juste mal dormi, le chauffage fonctionnait pas, mentit-il.
— Il y a pire, tempéra Namjoon. T'as pas remarqué Seokie, ce matin ? Il tire une tête affreuse », commenta-t-il en ricanant.
Taehyung lâcha un petit rire amusé avant de refermer la porte de son casier, tenant son repas entre les mains.
« Je sais. S'il a bu comme pas possible, on va devoir supporter ses lamentations jusqu'à la fin de la journée, soupira-t-il, un rictus étirant ses lèvres.
— J'ai pas particulièrement hâte, marmonna Jimin, une étincelle espiègle dans le regard.
— Il changera jamais, ce type, renchérit Namjoon en fixant Jimin dans les yeux, un petit sourire goguenard.
— Il ne faut pas trop espérer de lui, non plus », conclut Taehyung d'une raillerie en les regardant se dévorer du regard, conscient qu'ils se livraient à une communication silencieuse et profonde.
C'était une scène familière.
Comme d'habitude.
Ils éclatèrent de rire tandis qu'ils cheminaient vers la cafétéria de l'université. Le lieu grouillait d'étudiants à cette heure où la vie s'épanouissait. Ils s'attablèrent tout en badinant sur leur ami, près d'un corridor oublié par le temps.
Le sourire de Taehyung s'effaça lentement, son regard se perdant dans le dédale du couloir à sa droite. Depuis qu'un incendie avait ravagé une partie de ce lieu, l'université l'avait laissé à l'abandon. Les mystères entourant cet épisode tragique demeuraient irrésolus, comme les flammes consumant les secrets de l'histoire.
Si tous se détournaient pour fuir cet endroit noirci et désolé, Taehyung le délaissait pour une tout autre raison. Il frôla les souvenirs d'un temps révolu, une époque lointaine où Seokjin était étudiant. Taehyung arborait fièrement ses sept printemps, tandis que son aîné entamait sa dix-neuvième année. Dans ce lointain passé, l'université abritait une garderie, et Seokjin l'avait emmené dans ce refuge construit pour les cadets des élèves.
Taehyung pénétra ce lieu dans ses pensées. Il revit cette scène qu'il chérissait. Seokjin s'était agenouillé devant lui, posant ses grandes mains sur ses frêles épaules.
« Sois sage, d'accord ? Je reviendrai te chercher à la fin des cours et on rentrera à la maison. »
Son cœur se contracta à l'évocation de son sourire éclatant, de sa tendresse fraternelle et de son dévouement constant chaque fois que Taehyung sollicitait son attention.
Il avait rayonné d'une splendeur particulière, une âme admirable que Taehyung adulait. À travers ses yeux d'enfant, il l'avait élevé sur un piédestal, nourrissant le désir candide de refléter la grandeur de son modèle à l'âge adulte.
Taehyung grimaça devant cette naïveté qui l'avait jadis habité. Une amertume se diffusa dans ses veines, comme autant d'aiguilles transperçant sa peau, tant la douleur de cette perte le dévorait.
Aujourd'hui, il ne restait pas même un écho fugace de ce qu'avait été son aîné et Taehyung avait grandi en étant le témoin impuissant de sa transformation.
À mesure que les années s'étaient égrainées, Seokjin avait perdu son entrain d'antan, s'enveloppant dans un mutisme croissant. La métamorphose graduelle de son frère avait frappé les âmes, transformant son éclat jovial en une mélancolie renfermée. Ses sourires s'étaient faits rares, vibrants de faux-semblants.
Il se remémorait les inquiétudes de sa mère de son vivant, évoquant un fils qu'elle peinait à reconnaître. Il revoyait ces nuits où elle était consumée par l'anxiété, tourmentée par d'incessantes pensées. Certaines nuits avancées, lorsque la résonance de ses sanglots parvenait jusqu'à lui, Taehyung s'échappait silencieusement de son lit pour se tapir dans l'ombre et observer, attristé et impuissant, sa mère succomber au chagrin en pensant être la seule éveillée dans le manoir.
Il avait été témoin de la poignante épreuve d'une mère déchirée par la déchéance d'un de ses enfants. Une mère qui avait épuisé toutes ses ressources et dont les efforts infructueux semaient la désolation dans son cœur de mère. Seule, presque abandonnée par un époux dont la présence se faisait rare, elle avait porté seule le poids de sa peine, dissimulant son épreuve à ses amis pour ne recevoir aucun soutien.
Taehyung n'avait jamais compris pourquoi elle dissimulait son mal-être sans solliciter le secours.
Il avait pourtant été témoin de ses tourments. Il l'avait vue et entendue dans le plus grand des secrets.
Oh, qu'il regrettait de ne pas l'avoir davantage soutenue.
Mais qu'avait-il pu faire du haut de ses douze ans ? Hormis l'envelopper longuement dans ses bras et la presser contre son cœur. Lorsqu'elle riait tendrement en lui demandant la raison de tout cet amour qu'il lui témoignait soudainement, il lui murmurait que cette étreinte n'était motivée par rien d'autre que son besoin de chaleur maternelle.
Le poids du chagrin noua la gorge de Taehyung, tandis que son cœur se serrait dans une mélancolie poignante. Maman n'est plus là. La chaleur de ses bras lui était désormais à jamais inaccessible. C'était tout ce qu'il avait pu faire depuis le jour où il avait compris qu'elle détournait subtilement le sujet chaque fois qu'il tentait de lui en parler.
Puis, pareils à des ombres fugaces, d'autres secrets lui avaient été cachés, nimbant son esprit d'enfant – et d'adulte – de mystère et de questionnements.
Il se souvenait avec tendresse des parents Jeon, ces êtres qu'il chérissait depuis toujours, liens tissés dès les premiers instants de son existence. Des compagnons inséparables de ses propres parents. Leur amitié aurait pu être un précieux héritage si les sombres nuées du drame n'avaient pas assailli leurs vies, lorsque Taehyung n'avait encore que quatre printemps.
À quatre ans, la clarté du monde échappait encore à sa perception, mais les souvenirs indélébiles de leurs visages empreints de douleur, marqués par la perte soudaine de leur fils, demeuraient gravés dans son esprit.
Il se rappelait de cet homme à la beauté éclatante et au sourire autrefois rayonnant, désormais teinté d'une tristesse inexprimée, offrant des courbes de lèvres dépourvues de leur éclat d'antan. Il se remémorait également son épouse, dont les larmes semblaient couler sans fin. Et au milieu de cette scène poignante, son père promettait de faire son possible, tandis que sa mère acquiesçait, ses pleurs silencieux s'ajoutant au poids de la tragédie.
Taehyung n'en avait jamais su davantage, les adultes cloîtraient leurs mots chaque fois qu'il faisait irruption. Alors, il s'était contenté de prodiguer au couple Jeon ses étreintes d'enfant qu'ils accueillaient avec une tendresse teintée de mélancolie. On aurait dit qu'ils se voyaient enlacer leur progéniture envolée, dans un élan de douleur muette.
Taehyung l'avait ressenti.
À l'aube de ses quatre ans, il ne gardait en mémoire que cet instant, si l'on exceptait la véhémente altercation entre son père et son plus fidèle ami. Enfermés dans le bureau de Jaewon, leurs voix tonitruantes avaient ébranlé les murs pourtant imperturbables du manoir. Apeuré et soucieux, Taehyung s'était réfugié dans les bras de sa mère, les yeux braqués sur la porte.
Porte qui s'était ouverte en fracas sur le Jeon qui, en trois mots tombés des lèvres à l'adresse de son épouse, avaient semblé rompre un équilibre. On s'en va.
Et Taehyung ne les avait plus jamais revus.
Parfois, ses pensées voguaient vers eux, portant l'espoir d'une éventuelle retrouvaille. Avaient-ils retrouvé leur fils ? Sont-ils encore de ce monde ?
Il avait dû cesser de demander après eux, répondant à l'impératif douloureux de son père : oublie les. Ils sont partis, mon fils. J'ai perdu mes seuls amis.
Son visage fut tendrement entouré par les petites mains de son enfant, plongé dans son regard innocent. Mais tu es fort, tu vas les retrouver, hein, papa ?
Son père lui avait tendrement embrassé le front. Si seulement le monde était aussi facile que dans ton esprit, mon garçon. Jusqu'à présent, Taehyung n'avait jamais oublié la métamorphose subtile s'étant opérée sur son visage ; de la douceur à une douleur ineffable.
Et Kookie, papa, pourquoi il est parti, aussi ? Cette fois, son père avait levé vers lui des yeux à peine plus brillants qu'habituellement. Des remords tenaces s'y étaient logés. Ce regard inhabituel l'avait frappé tel un éclair. Tu es trop jeune pour ça, mais il a des problèmes.
Il n'oubliera jamais la force avec laquelle son père l'avait enlacé. Une intensité qui avait évoqué le désespoir de s'accrocher à une bouée de sauvetage. Ce geste avait ébranlé Taehyung qui, à quatre ans, avait fondu en larmes devant la détresse inhabituelle de sa figure paternelle qu'il avait toujours connue solide.
Au fil des années, Taehyung avait regretté de l'avoir oublié. Il regrettait de ne plus pouvoir mettre un visage sur cette petite silhouette floutée. Encore moins un vrai prénom.
Kookie.
Tout ce qui demeurait en lui à la pensée de ce garçon disparu était son nom, Jeon, et cette vive sensation qui ne le quittait jamais ; de se sentir proche d'un frère de cœur qu'il admirait.
Et du haut de ses dix-huit ans, il pouvait constater avec acuité les nombreux bouleversements survenus depuis ce jour. Son père avait changé. Son frère s'était assombri. Se mère s'effondrait chaque nuit tombée.
C'était comme s'ils avaient perdu un fils, comme si Seokjin avait perdu un frère.
Qui était réellement ce garçon pour que ma famille se métamorphose à ce point-là ? Qu'est-ce qui s'est vraiment passé ?
Soudain, deux mains se posèrent sur ses épaules, le ramenant brusquement au présent. Il tressaillit, quittant le couloir de son regard pour découvrir Hoseok qui venait d'arriver.
« Voilà le Don Juan de service ! s'exclama Namjoon, la bouche pleine, avant de laisser échapper un rire complice avec Jimin, l'air taquin. Tu t'es tapé combien de filles, hier ? »
Le nouvel arrivant répondit par une grimace espiègle avant de prendre place aux côtés de Taehyung. Ce dernier esquissa un petit sourire, même si une boule d'émotions lui serrait la gorge.
Il entama son repas, un modeste sandwich aux ingrédients faibles en apports nutritifs. Le prix élevé de la viande le poussait à préserver précieusement le petit lot d'œufs qu'il avait réussi à acquérir, tel un trésor à économiser. Il s'appliquait avec zèle à retarder au maximum son prochain labeur, sacrifiant un repas sur deux et quelques nutriments pourtant nécessaires au bon fonctionnement de son corps.
« Je ne suis pas ce genre de mec, vous savez », fit Hoseok, faussement sérieux en ouvrant sa boîte de déjeuner.
Jimin partit dans un ricanement outré, Namjoon lâcha un rire tonitruant accompagné d'un « Quoi ? », tandis que Taehyung toussa, sa bouchée coincée dans sa gorge devant l'audace de son ami. Fier de son esprit facétieux, Hoseok gloussait tout en lui tapant le dos pour l'aider à recouvrer son souffle.
« C'est pas ce que tu m'as dit au téléphone, hier ! articula Taehyung d'une voix étranglée tout en reprenant son souffle, ses yeux larmoyants trahissant son amusement.
— Tu peux pas nous mentir sur ça, Seokie, commenta Namjoon, la bouche toujours pleine.
— Pardon ? contre-attaqua Hoseok, feignant l'indignation. Y'a rien qui prouve que c'est moi le menteur ! répliqua-t-il en feignant l'innocence.
— Mec, t'es une bite sur pattes, aussi ! Impossible que tu mentes pas ! », s'exclama Namjoon.
Hoseok ouvrit exagérément la bouche, provoquant les éclats de rire de Taehyung et Jimin.
« C'est Tae qui ment ! riposta Hoseok en le pointant du doigt, alors que Taehyung haussait un sourcil dubitatif.
— Taehyung ne ment jamais », déclara Jimin, en perdant son sourire.
Nul n'aperçut l'ombre qui voila le visage de Taehyung à ces mots prononcés, ni l'œillade furtive, mais perçante de Jimin sur lui, encore moins le regard échangé entre Namjoon et le jeune Park.
D'un air espiègle, Hoseok les observa, découvrant la joie chez Jimin et Namjoon qui mâchait bruyamment. Puis son regard se posa sur Taehyung qui lui parut si calme en apparence en avalant son repas, pourtant captif de ses pensées. Comme souvent.
« Bon, OK, OK, vous avez gagné. Mais j'ai rien fait, hier soir. Aucune fille ne m'a réellement intéressé.
— Dis plutôt que tu es frustré que Hye-Jin te soit pour le moment inaccessible, persifla Namjoon. En plus elle est à Édimbourg et ne revient que dans deux semaines, tu ne peux même pas l'inviter à une soirée.
— Hein ? lâcha Hoseok en clignant des yeux, confus. C'est quoi le rapport ?
— Aucun, répondit Namjoon, faisant pouffer Taehyung et Jimin, et foncer les sourcils de Hoseok sous l'incompréhension.
— Ma pauvre princesse, soupira Jimin. Je la plains si elle en venait à se caser avec ce loustic.
— Lousti... ! répéta Hoseok d'une voix étranglée, ignorant leurs rires. Mais pourquoi on parle de notre princesse, là ? Connard !
— Je le laisserai pas la souiller, de toute façon, intervint Taehyung.
— Hé ! s'indigna Hoseok en le regardant de ses yeux écarquillés.
— Si vous voulez mon avis, je penche plus sur le fait que personne s'est intéressé à lui, plutôt que l'inverse, railla Taehyung en l'ignorant, une lueur taquine dans les yeux.
— C'est vrai, après tout, aucune fille ne voudrait de lui, renchérit Namjoon, malicieux.
— Mais ! se révolta le principal concerné. J'étais le premier de notre groupe à ne plus être puceau !
— Je suis d'accord, acquiesça Jimin en l'ignorant à son tour.
— Bordel, c'est quoi ces potes indignes ! Vous êtes mauvais ! s'insurgea Hoseok en tapant la table avec le plat de sa main. Vous êtes juste jaloux. »
Les éclats de rire de Jimin résonnèrent tandis que Hoseok leur fit un geste impertinent avec son majeur, Namjoon le lui rendant doublement avec un rictus narquois sous le ricanement gentiment moqueur de Taehyung. Ainsi, le temps du déjeuner s'écoula, empli de rires et de plaisanteries sur l'obsession de leur ami envers les femmes.
Puis, Taehyung fut soudainement interpellé par un sujet abordé par Hoseok.
« C'était quoi cette histoire de vestiaires, du coup ? fit remarquer Namjoon en répondant à Hoseok. Y'avait vraiment eu un mec qui a agressé monsieur Kang ? Toute la fac n'a que ça à la bouche.
— Je sais pas qui était ce gars, mais quand il le tabassait, il foutait les jetons. Pas vrai, Taehyung ? », s'enquit Hoseok, cherchant confirmation auprès de son ami.
Taehyung hocha silencieusement la tête, l'esprit à mille lieues de la discussion. Son regard était perdu dans l'infinité devant lui, retenant ses mots comme des secrets gardés en son cœur. Il laissa Hoseok dépeindre la scène avec précision, captivant l'attention de Jimin et de Namjoon, dont les visages se figèrent dans une gravité palpable, Jimin blêmissant légèrement.
Taehyung se remémorait la nuit précédente. Un frisson parcourut son échine lorsqu'il se souvint de l'aura glaciale qui avait émané de ce criminel. De sa proximité. De ses paroles méprisantes. De son regard arrogant, dédaigneux. Pourtant, au cœur même de cette malveillance dans ses yeux perçants, Taehyung n'avait pu ignorer la présence d'une lueur fugitive et mystérieuse qui avait trahi quelque chose de plus profond en cet homme.
Une lueur fugace qui était apparue à l'instant où Taehyung, les yeux embués par la détresse, lui avait partagé son malheur et son désir de comprendre la haine générale à son encontre.
Une lueur insaisissable qui défiait toujours la compréhension de Taehyung.
Il déglutit lorsqu'il revit l'arme pointée sur le front de monsieur Choi accompagné du regard implacable de ce blond. Puis, avec une nonchalance dérangeante, son voisin avait succombé sous ses yeux.
Il ressentait encore l'horreur qui l'avait envahi, à cette vue. L'image du blond reculant promptement avant de décocher son tir avec une froideur saisissante ne s'effacerait jamais de sa mémoire. De même que la vision du corps de monsieur Choi projeté brusquement en arrière, la tête la première, pour ne plus jamais se relever.
Taehyung inspira profondément, prenant conscience que son souffle avait légèrement gagné en vitesse.
Les derniers mots de son voisin persistaient en lui : « Vous vous trompez de personne. » Comme si, à longueur de journée, cet assassin était une figure spectrale de la vengeance, affrontant ses victimes par la force de ses poings ou par le canon de son arme.
Était-ce même normal de l'avoir vu agresser son professeur en pleine après-midi et ôter la vie à son voisin à la tombée de la nuit ? Et ce, le même jour ? Il avait consacré toute la nuit à chercher à établir un lien entre ces deux hommes et lui-même, en vain. Aucune piste ne lui était apparue.
Mais, aussi ironique fût-elle, une forme de certitude avait pris racine en lui : ce criminel semblait avoir besoin de lui.
Je reviendrai te voir.
Alors, anxieux, il avait été sur ses gardes. Dès qu'il avait quitté le manoir, ses yeux scrutaient chaque recoin de la rue, sa méfiance le transformant presque en un fugitif. Arrivé à l'université, il surveillait furtivement chaque couloir, sondait chaque zone d'ombre, inspectait chaque amphithéâtre, et même chaque rassemblement d'étudiants, de surveillants ou de professeurs. Il le cherchait sans relâche, comme s'il devait d'abord la trouver pour se préparer mentalement à plonger à nouveau dans ces perles animées par la noirceur.
La sonnerie retentit. Taehyung sursauta brusquement.
« Hé, ça va ? », entendit-il, derrière lui.
En se tenant droit derrière sa chaise, Jimin enveloppa son cou de son bras, son souffle effleurant son visage, tandis que Taehyung l'observait avec des yeux légèrement écarquillés par la surprise.
« Oui... oui, t'inquiète. Je réfléchissais, juste », balbutia-t-il en tentant de dissimuler son trouble.
Il se trouvait dans une situation délicate, se rendant tout juste compte que leurs regards inquiets étaient fixés sur lui.
« Il faut dire que ce mec lui a quand même adressé la parole, expliqua Hoseok, le défendant. C'est normal que Tae reste un peu déboussolé, les gars. »
Si Namjoon semblait convaincu, Jimin ne cessait de le scruter. Il le sondait avec une intensité dérangeante et, à travers ce regard pénétrant, Taehyung se méfia de l'esprit vif et clairvoyant du jeune Park. Il ne voulait pas l'entraîner dans sa tourmente.
« Ça doit être ça, murmura Taehyung en interrompant leur échange visuel. On y va. »
Il se releva, désireux de mettre fin à leurs interrogations muettes.
Hoseok et Namjoon l'imitèrent, puis ensemble, ils se dirigèrent vers le même édifice, partageant les mêmes options jusqu'en début de soirée. Légèrement en retrait, Taehyung les suivait, déjà épuisé. La douleur au creux de son dos et le manque de sommeil ne l'aidaient pas à appréhender le reste de la journée avec énergie. Puis, sa vigilance constante due à la possible présence du meurtrier pesait lourdement sur sa conscience.
C'était plus fort que lui. Les événements pesaient lourdement sur son cœur, tournoyant sans cesse dans son esprit. Chaque seconde, chaque minute de la veille était gravée dans sa mémoire. Chacun de ses gestes. Chacun de ses regards. Il ne voyait que luiet son esprit était comme embrasé d'une fièvre.
Il soupira, frustré, désespérant d'étouffer les murmures et à effacer les visions qui le hantaient.
Jimin se stoppa pour se mettre à la hauteur de Taehyung et reprendre le chemin avec lui tandis que, devant eux, Namjoon et Hoseok poursuivaient leur marche et leur discussion un peu plus loin.
« C'était qui ? souffla Jimin sans le lâcher des yeux, glissant son bras sur ses épaules.
— Je sais pas du tout, murmura-t-il, sincère.
— Tu trouves ça normal qu'il vienne tabasser un prof, puis te parler ? », s'enquit-il.
Taehyung perçut dans son ton la suspicion.
« Pourquoi tu dis ça ? interrogea Taehyung en le regardant.
— Je sais pas, peut-être parce que t'es un Kim ? », hasarda-t-il, sérieux et inquiet.
Taehyung se renfrogna et détourna le regard.
« Pourquoi ? Tu penses à quelqu'un en particulier ? Un Park ? lâcha-t-il sceptique.
— C'est possible... murmura-t-il.
— Ton oncle ? suggéra Taehyung.
— Non, il te fera jamais ça, tu sais ? Il contrôle l'organisation du clan et fait en sorte qu'il n'y ait pas trop d'écarts. La police le surveille.
— Oui, je sais, tout ça. Mais va savoir, il m'aime pas.
— On s'en fout de lui, c'est qu'un vieux mec aigri, grommela-t-il en grimaçant.
— Il croit que je le balance à Yoongi. J'ai que ça à foutre, ironisa-t-il.
— C'est bien ce qu'il pense, mais crois-moi, il sait que tu es important pour moi depuis notre enfance, le rassura-t-il. Et puis, s'il te touche, il aura affaire à moi, ajouta-t-il, sérieux.
— C'est vrai que j'ai tendance à oublier que tu te transformes en un ninja, à la nuit tombée », sourit-il.
Jimin éclata de rire, sous le regard brillant de Taehyung dont le sourire s'illumina davantage.
« C'est peut-être un Jeon, reprit Jimin, de nouveau soucieux. Qu'est-ce qu'il t'a dit ?
— Que je ressemblais à quelqu'un. Je sais même pas comment le prendre ni comment le comprendre.
— Il t'a été hostile ?
— Non, il a jute été dédaigneux, ce connard, marmonna-t-il, encore blessé par la méprise et l'arrogance du blond.
— Ouais, ricana froidement Jimin. Comme tous ces cons sans cervelle », cracha-t-il.
La mine écœurée, Jimin secoua la tête, puis regarda devant lui. Taehyung leva les yeux et fut assailli par le doute en découvrant le regard sombre de Jimin perdu dans l'horizon et la mâchoire serrée. Il semblait réfléchir.
Mais en réalité, Jimin observait Namjoon, dont les yeux rencontrèrent brièvement les siens avant de se plonger à nouveau dans les paroles de Hoseok.
« Hé... T'en fais pas, Jim. Oublie pas que Yoon me protège, je suis pas seul, le rassura-t-il.
— Heureusement qu'il est là, souffla-t-il, sincèrement reconnaissant.
— Tu veux dire, heureusement qu'il est flic ? », railla-t-il, désireux de faire éclore un sourire à son ami.
Taehyung sentit son cœur s'alléger lorsque Jimin sourit, comme si son expression soucieuse n'avait jamais existé.
Ils pénétrèrent dans l'amphithéâtre où Namjoon et Hoseok les attendaient. Taehyung s'installa avec grâce à sa place habituelle entre Namjoon et Jimin. Il sortit ses affaires et alluma son MacBook. Son regard se perdit par la fenêtre, attendant silencieusement l'arrivée du professeur, ignorant le regard de Jimin qui le scrutait de temps à autre. Mais avant même qu'il ne puisse reposer son menton sur sa main, le temps sembla arrêter sa course.
Le criminel de la veille se tenait à quelques tables devant lui, comme une ombre dans la nuit.
Immobilisé dans un état de stupeur totale, Taehyung demeurait incapable d'émettre le moindre son ou de réaliser le moindre mouvement.
Le voilà enfin.
Le meurtre de la veille revint le hanter, tourbillonnant dans ses pensées tel un spectre insaisissable.
Le blond le fixait de ses yeux perçants. Taehyung s'efforça de garder un semblant de calme, mais il ne put s'empêcher de ressentir de l'irritation mêlée à de l'angoisse. Se retenant de faire un mouvement brusque, il se leva lentement tout en cherchant à dissimuler son trouble, mais la présence sinistre à quelques tables de là rendait difficile le maintien de sa sérénité. Il demeura perplexe quant à la raison qui le poussa à se lever, comme si son corps s'opposait à son esprit en lui intimant la fuite immédiate.
Il n'y avait qu'à voir son buste inconsciemment dirigé vers la sortie, alors que ses yeux se perdaient dans ceux profonds du blond.
« Bah, assis-toi, Tae. Tu fous quoi debout ? », lui demanda Namjoon en ouvrant son ordinateur portable.
D'emblée, il se plia docilement tout en maintenant son regard rivé sur l'homme, comme si chacun de ses mouvements était synonyme de danger. Ses bras se croisèrent sur la surface libre, tel un bouclier de l'âme. L'intrus persistait à l'observer. Il ne faisait rien. Taehyung ressassait sa menace prononcée d'une voix aussi glaciale que l'hiver le plus impitoyable :
Je reviendrai te voir.
« Tae ? », entendit-il Jimin l'appeler d'une voix inquiète.
Mais le jeune Kim demeura impassible, son regard hagard captivé. Comment pouvait-il être aussi serein ? Assis contre le mur, le blond se prélassait sur sa chaise, la même casquette noire que la veille assombrissant ses yeux, lui conférant une aura mystérieusement menaçante. Sa main ornée de bagues et de tatouages reposait sur son ventre tandis qu'il feignait le sommeil.
Pourtant, ses yeux dissimulés sous la casquette étaient bien ouverts. Ils exploraient les profondeurs de son âme. Ses doigts formaient une silhouette menaçante, comme s'ils tenaient un pistolet invisible. Taehyung reçut de désagréables frissons le long de son échine.
Il détourna son regard en s'efforçant de fixer sa gauche, mais se heurta immédiatement au visage inquiet de Jimin.
Qui tourna lentement la tête vers l'homme.
Taehyung suivit instinctivement son mouvement. Dès l'instant où les perles noires du blond quittèrent enfin le visage du jeune Kim pour se braquer sur Jimin, Taehyung s'affola. Mais ce ne fut rien comparé au regard noir de Jimin qui semblait effrontément fusiller l'intrus de ses yeux vifs et scrutateurs.
Il l'analysait.
Et Taehyung paniqua.
L'intrus esquissa un sourire sinistre en direction du jeune Park.
Cette fois, Taehyung se pétrifia.
« Il détonne parmi nous, souffla Jimin en se penchant vers son ami, sans briser l'échange visuel avec l'homme. C'est lui ? »
Taehyung déglutit et demeura muet. Comme un besoin vital, il regarda de nouveau le blond.
« Tae.
— J... je sais pas, moi, balbutia-t-il, son cœur ayant fait un bond à l'entente de la voix basse, mais péremptoire de Jimin.
— OK. Je vais demander à Hos... »
Vif, Taehyung le dissuada d'une main ferme autour de son poignet. Jimin ne broncha pas, décidé à obtenir sa réponse. Dès l'instant où il ouvrit la bouche pour réitérer sa menace, Taehyung céda de nouveau à la panique.
« Oui, c'est bon ! siffla-t-il d'une voix basse, irrité et le cœur battant la chamade. C'est lui... »
À ce stade, il était vain de lui dissimuler quoi que ce soit.
Jimin le fixa longuement. Rien ne transparaissait dans ses obsidiennes qui le sondaient, augmentant le mal-être du jeune Kim.
« OK », fut tout ce que lui répondit son ami.
Taehyung fronça les sourcils, ébranlé. Jimin ouvrit vivement son MacBook et tapa frénétiquement, la mine fermée, sans proférer un seul mot.
« T'es chelou, Jim, lâcha-t-il, suspicieux.
— À quelle heure tu finis, déjà ? s'enquit-il.
— ...Dix-sept heures, répondit-il, perdu.
— OK. Je contacte un chauffeur pour qu'il vienne nous récupérer. Je te laisse pas entrer seul.
— ...Et t'as besoin de ton ordi, pour ça ?
— Pas envie de contacter les sbires de mon oncle qui lui racontent ma journée dans le détail. J'ai mon propre réseau de connaissances. »
Quoi ?
Taehyung était de plus en plus intrigué et désorienté. Quelque chose n'était pas à sa place, et cela l'angoissait, serrait désagréablement son cœur. C'était comme si cette situation dévoilait quelques aspects supplémentaires de la vie mystérieuse de Jimin au sein de son clan.
Il se pencha vers l'écran de son meilleur ami et vit une fenêtre de discussion ouverte sur un arrière-plan complètement noir. Cela dégageait une impression sinistre. De secret. D'illégalité.
...Mais c'est quoi, ce truc ?
Avant même qu'il puisse lui faire part de son trouble, Jimin le coupa dans son élan sans lever les yeux de son écran, et sans même que ses doigts ne cessent leur danse frénétique.
« Regarde pas l'écran, s'il te plaît.
— Mais... qu'est-ce que tu fais ? », balbutia-t-il, perdu, avant de lever rapidement les yeux vers le blond.
Taehyung se glaça sur place. Il souriait. Comme s'il se moquait de ce que pouvait bien faire Jimin. Comme s'il avait compris ce qu'il était en train de faire.
Comme si Jimin ne faisait pas que contacter un chauffeur.
Jimin appuya sur Entrée avant de cesser de pianoter, attirant aussitôt l'attention de Taehyung qui se retrouva désemparé entre observer le blond et démêler les mystères des agissements inhabituels de Jimin. Cette expression d'engagement intense de sa part était nouvelle pour Taehyung, qui n'avait jamais vu Jimin aussi préoccupé. Aussi inquiétant. Usant de moyens étranges à Taehyung.
Un mouvement attira son œil.
Le blond sortit son téléphone. Il s'immobilisa le temps de fixer son écran.
Puis, sous l'œil ahuri de Taehyung et celui ulcéré de Jimin, il s'esclaffa.
Puis, aussi tranquillement qu'il avait sorti son cellulaire, il le rangea dans la poche de son sweat bordeaux.
OK, il vient de se passer quoi, là ?
L'esprit de Taehyung tournait à toute allure. Mais il était si accablé par ses interrogations que le fil de ses pensées était décousu. Il n'arrivait plus à déchiffrer ce dont il venait d'être témoin.
Cet homme qui l'angoissait par sa simple présence.
Jimin qui s'impliquait tout en démontrant une parfaite maîtrise de la situation.
Jimin qui écrivait dans une fenêtre inquiétante.
Ce blond qui sortait son portable juste après.
Rien n'était normal.
Et si...
À son tour, Jimin sortit son téléphone.
Et s'ils se connaissaient ?
« Tu vois ses tatouages ? murmura-t-il. Je vais le prendre en photo et je pourrais l'identifier. »
Ils firent l'erreur de quitter l'intrus des yeux. Et Taehyung ne vit pas Jungkook échanger un regard froid avec un autre élève.
Qui n'en était pas un.
« Bonjour à tous, salua leur professeure à travers le microphone. J'espère que cette fois vous êtes bien réveillés », ajouta-t-elle d'un ton taquin, provoquant quelques rires dans l'assemblée.
Dès l'instant où Jimin leva son appareil en direction du blond, l'image à travers son écran était vierge de toute présence dangereuse. Les deux amis échangèrent un regard effaré, avant de le chercher des yeux dans l'amphithéâtre. Ce fut comme s'il n'avait jamais été là. Pourtant, l'aura ténébreuse et sinistre qu'il avait laissée était profondément ancrée dans l'âme de Taehyung.
Jungkook s'était discrètement éclipsé, profitant du tumulte des retardataires à l'entrée du professeur et de la distraction momentanée des jeunes hommes.
Ils ne l'avaient même pas vu se redresser.
Taehyung s'était levé, scrutant vivement son environnement tandis que Jimin, demeurant assis, s'efforçait également de repérer la silhouette blonde. Si leur attention avait été plus aiguisée, ils l'auraient aperçu derrière eux, cheminant autour de la dernière rangée des bancs, prenant de la hauteur pour atteindre une seconde porte astucieusement dissimulée derrière une imposante bibliothèque. Porte qu'il avait crochetée bien avant l'arrivée des étudiants dans la salle pour lui permettre la fuite.
« Vous faites quoi ? »
Pris de surprise, les regards de Jimin et Taehyung convergèrent vers leurs amis qui les observaient avec une expression interrogative. Déglutissant, Taehyung se rassit lentement, suivit son exemple avec une démarche mesurée, figeant son mouvement dès qu'il fixa Jimin qui inclina le menton et laissa transparaître sur son visage une mine tendue, signe d'une réflexion profonde.
Dans le tumulte de ses pensées, Taehyung demeurait un observateur émérite. Les bras croisés, Jimin animait son index d'une cadence que Taehyung percevait comme un langage crypté. Il fronça les sourcils. Du morse.
Malgré son incapacité à déchiffrer ce message tacite, une vague glaciale étreignit son cœur.
À qui donc était destinée cette communication silencieuse ?
Bouleversé, Taehyung promena son regard dans la pièce, cherchant le destinataire au sein d'une agitation inhabituelle. Rien ne se présenta à lui. Ses yeux se posèrent alors sur ses amis. Hoseok attendait patiemment sa réponse tandis que Namjoon fourrageait ses cheveux, sa jambe tressautant sous son pupitre.
Taehyung sentit son âme y réagir, mais il fut privé du temps nécessaire pour laisser émerger une pensée ou une réflexion.
« Vous êtes toujours bizarres quand on vous laisse tous les deux », ricana Hoseok, Namjoon acquiesçant vivement, se mordillant l'intérieur de la joue.
Taehyung plissa les yeux.
« Laisse. C'est un bail chelou entre "âmes sœur" », intervint Namjoon en mimant des guillemets.
Hoseok éclata d'un rire tonitruant, suivi par Namjoon qui pouffa.
... Et le voilà de nouveau assailli par le doute. Taehyung ne savait plus où donner de la tête.
Si Jimin leur répondit tout en revêtant un masque afin de ne pas les alerter, Taehyung ne put que lâcher un souffle léger et tremblant, que ses amis interprétèrent comme un soupir amusé. Sans un mot, il se remit à chercher avidement le blond. La simple pensée de sa présence dans l'enceinte de l'université suffisait à éveiller en lui la résonance glacée d'une panique muette.
« ...Encore ? marmonna Hoseok.
— Toi aussi t'as remarqué ? lui demanda Namjoon.
— Remarqué quoi ? intervint Jimin qui les écoutait.
— Tae est comme ça depuis ce matin, on dirait qu'il cherche quelqu'un. Tu cherches qui ? », demanda Namjoon au jeune Kim.
Taehyung retrouva conscience de son environnement, prenant place avant de laisser ses mains soutenir son front, exhalant un long soupir.
« Rien, personne, finit-il par leur répondre, ignorant les regards inquiets de Namjoon et Hoseok.
— Laissez tomber, il veut rien me dire, non plus », intervint Jimin pour apaiser la situation, remarquant le désarroi ambiant.
Aussitôt, Hoseok hoqueta, captant l'attention de ses amis ainsi que celle de quelques élèves à proximité. D'une gestuelle théâtrale, il couvrit sa bouche de sa main, arborant une expression de surprise exagérée.
« Vous préparez mon anniversaire qui arrive bientôt ? minauda-t-il, la mine faussement émue.
— Mec, pouffa Namjoon en poussant vivement son épaule provoquant le ricanement mesquin de Hoseok, c'est même plus une surprise, nos anniversaires.
— Hâte d'ouvrir mes cadeaux, hihihi, mignarda-t-il en provoquant le haussement de sourcil moqueur de Namjoon.
— J'ai hâte d'y être », réussit à souffler Taehyung en lui offrant un petit sourire sincère.
Cette brève interruption lui permit de garder le contact avec le monde, apaisant ainsi l'agitation fiévreuse de son cœur. Il ne lui a fallu cependant que quelques secondes avant de replonger dans ses pensées, sous le regard impuissant de Jimin. Taehyung croisa les bras sur sa poitrine et se mordilla les lèvres, sa jambe tressautant nerveusement.
Jimin soupira, puis se leva en emportant avec lui son portable. Taehyung tiqua aussitôt. D'un geste vif, il agrippa la manche de son haut.
« Tu vas où ? demanda-t-il, inquiet.
— Je vais juste passer un appel important.
— Ça peut pas attendre ? Il est peut-être juste derrière la porte ou...
— T'inquiète. Je suis ceinture noire, tu te souviens ? le rassura-t-il en posant doucement sa main sur la sienne.
— Jimin, crois-moi, il est dangereux. C'est peut-être un tueur pro ou un psychopathe ! chuchota-t-il en couvrant sa bouche des curieux qui les fixaient.
— Il fera rien dans une fac, murmura Jimin d'une voix douce, avec assurance.
— Mais tu peux très bien passer ton appel ici, suggéra-t-il avec une pointe d'anxiété persistante.
— Non, c'est confidentiel. Et t'inquiète, je doute qu'il m'attende sagement juste derrière la porte, », souffla-t-il en caressant de son pouce le dos de la main hâlée.
À regret, Taehyung relâcha lentement sa prise, ses yeux l'implorant en silence de ne pas quitter la pièce. Je ne veux pas te perdre, toi aussi.
« Il y a un souci, Minnie ? s'enquit Namjoon.
— Non, juste une petite urgence. Je reviens vite », répondit-il, sous leurs regards interrogateurs et de ceux curieux des étudiants autour de leur tablée.
Namjoon acquiesça d'un air grave qui perturba le jeune Kim.
Après un dernier regard échangé avec Taehyung, il s'éclipsa. Son cœur s'emballa tandis qu'il observait le dos sculpté de Jimin dévalant les marches avec précipitation. Une angoisse pesante l'envahit, ne pouvant s'empêcher d'imaginer son ami confronté à cet assassin redoutable. Même si Jimin possédait des compétences de combat et de riposte, ce blond était d'une tout autre envergure.
Son regard sanguinaire seul était capable de faire plier même le lion le plus intrépide.
Jimin sortit de l'amphithéâtre, le téléphone collé à son oreille. Il ne ferma pas la porte et se positionna contre le mur, sa silhouette offrant un repère rassurant à Taehyung pour qu'il puisse le voir, attentif à ne pas alimenter ses inquiétudes.
Alors que Jimin se rongeait les ongles en discutant, Taehyung demeurait perplexe quant à la récente tournure des événements, même si seulement trois pensées limpides persistaient dans son esprit.
Et si Jimin connaissait intimement ce blond ?
Et si ce dernier était bien un Park, et que Jimin lui dissimulait cette vérité ?
Agité par des tourments intérieurs, Taehyung se mit à arracher la peau délicate de sa lèvre.
Et si Jimin protégeait ce criminel ?
☾
« Arrêtez-vous là. »
Devant l'entrée majestueuse du manoir des Kim, une BMW noire rutilante s'immobilisa devant la splendeur artistique du portail luxueux.
« Tu le fais pas rentrer dans la cour ? s'enquit Taehyung, assis aux côtés de Jimin sur la banquette arrière, alors que le moteur de la voiture ronronnait.
— Regarde ce qu'il y a devant chez toi », répondit Jimin en montrant du menton l'intérieur, les jambes élégamment croisées.
Curieux Taehyung suivit son regard.
Deux véhicules de police étaient garés près de la fontaine, leur présence se dévoilant à travers le portail orné d'une lisière scintillante d'or et d'argent. Des silhouettes revêtues d'uniformes déambulaient çà et là, telles des sentinelles scrutant les alentours avec minutie.
« Oh, je reconnais l'unité de Yoongi... »
Son cœur accéléra alors qu'il repensait à son voisin. Yoongi était sûrement venu pour constater le meurtre et mener son enquête.
« Tu trouves pas ça bizarre, cette présence policière massive ? Je veux dire, si Yoongi avait juste voulu te rendre visite, il aurait pas amené toute la brigade avec lui, si ? demanda-t-il, perplexe.
— Non, t'as raison... souffla-t-il avant de déglutir.
— Tu sais pourquoi ils sont là ?
— Du tout, mentit-il, incertain. Si c'est pas Yoon, ils n'ont pas le droit d'entrer sans mon autorisation, encore moins sans mandat.
— C'est peut-être monsieur Choi qui leur a ouvert. »
Il est mort, Jimin.
Taehyung tressaillit et Jimin le remarqua.
« Tu veux que je vienne avec toi ? », suggéra-t-il, inquiet.
Taehyung détacha ses yeux de sa propriété et lui sourit, posant une main reconnaissante sur la cuisse de son ami.
« Non, tu me connais. Si Yoon était pas là, j'aurais qu'à pousser une gueulante, les menacer d'en parler à leur commandant, et voilà, j'aurais la paix, railla-t-il avec un sourire en coin, provoquant le rire de Jimin.
— C'est vrai que par moments, j'oublie que même un dino peut avoir peur de toi, plaisanta-t-il, l'œil pétillant de malice.
— Dis pas de la merde, répliqua Taehyung en donnant une petite tape sur son épaule, déclenchant un nouvel éclat de rire chez le jeune Park. Merci de m'avoir raccompagné.
— T'inquiète, sourit-il. Et écoute-moi bien, tête de mule, ajouta-t-il, provoquant un haussement de sourcil amusé chez Taehyung. Appelle-moi au moindre souci, OK ? Je sais que tu détestes qu'on se mêle de tes affaires ou qu'on fouille dans ta vie, mais parle-nous. On est là. Je suis là. »
Taehyung le regarda fixement, arrachant discrètement la peau à l'intérieur de sa bouche.
« Pourquoi tu dis ça ?
— Tae, nous prends pas pour des cons, soupira-t-il.
— T'en mêle pas, dit-il d'un ton péremptoire.
— Trop tard.
— Jimin... geignit-il, sa jambe tressautant sous l'anxiété chaque fois que le blond était évoqué.
— Ce gars est inquiétant, Tae, argua-t-il, les sourcils froncés.
— Donc tu le connais. »
Jimin se tut, et Taehyung le regarda avec suspicion.
« Non. »
Taehyung demeura perplexe devant cette soudaine déception qui l'envahit. Il connaissait Jimin mieux que quiconque. Quand il mentait, son souffle devenait plus profond, comme pour s'ancrer davantage dans ses paroles. Cependant, Taehyung choisit de ne pas s'appesantir sur cette pensée. Un mince sourire ourla ses lèvres avant qu'il secoue doucement la tête de gauche à droite, comme pour chasser les pensées indésirables.
Un léger soupir lui échappa, puis il se pencha délicatement pour déposer un baiser sur la joue de Jimin. Mais même ce geste ne parvint pas à raviver le sourire sur le visage de ce dernier ; il avait déçu Taehyung, il le voyait bien dans le reflet de ses yeux.
Taehyung abhorrait le manque de considération qu'apportait le mensonge.
« Encore merci, Jim, souffla-t-il avec gratitude.
— Je vais venir te chercher demain matin, édicta-t-il d'une voix presque péremptoire.
— Non, tu ne vas quand même pas devenir mon chauffeur attitré, objecta-t-il avec un petit sourire.
— Et pourquoi pas ? Laisse-moi revenir demain matin, insista-t-il. On ne sait jamais ce que ce fou peut faire. Il lui suffit de quelques secondes pour t'assommer ou te kidnapper sans le moindre bruit dans une foule de personnes !
— Bizarre, ça. Tu sembles même connaître la manière dont il pourrait agir, souffla-t-il, à la fois suspicieux et navré de ressentir une méfiance envers son meilleur ami.
— Tae, je...
— C'est bon, Jim », dit-il d'une voix tranchante, le coupant.
Surtout, il ne voulait pas entendre ses excuses. Les mots trompeurs lui transperçaient l'âme, Taehyung avait perçu la duplicité dans le regard de Jimin. Il haïssait les mensonges, les secrets. Ils étaient pour lui une abomination. Il avait connu leur pouvoir destructeur de trop près. Depuis trois longues années, leur venin empoisonnait ses jours, le grignotant lentement.
Bien que son cœur se serrât à l'idée que lui-même détenait un secret honteux et dégradant, Taehyung nourrissait l'espoir que Jimin agissait en toute conscience.
« Merci, Jim, mais ne viens pas demain », refusa-t-il poliment, le ton ferme.
Jimin hésita, incertain de sa décision. Taehyung l'entendait presque penser, tant il s'efforçait de trouver un argument plus persuasif.
« Jimin, le rappela-t-il doucement.
— OK, OK », céda-t-il, un petit sourire crispé aux lèvres.
Jimin répondit à son baiser, la caresse de ses lèvres effleurant tendrement son front. Dans un murmure chargé de regrets, il lui offrit ses excuses du bout des lèvres. Taehyung s'éloigna après un ultime regard mélancolique.
Une brise froide et vivifiante caressa son être tout entier, déclenchant une onde de frissons sur sa peau. Se blottissant davantage dans les plis soyeux de son écharpe, il accéda au portail en soumettant d'abord son empreinte digitale, puis en tapant un code confidentiel, et enfin en apposant sa signature oculaire devant un dispositif de scan, tel un sceau de son passage à travers cette entrée numérisée et hautement sécurisée.
Il était toujours étonné par la constance et la durabilité de ce rituel de sûreté, maintenu depuis trois années malgré son incapacité à régler l'abonnement dispendieux et coûteux de cette forteresse sécuritaire et sophistiquée. Pourtant, chaque mois, il recevait ponctuellement l'échéance d'un prélèvement automatique à quatre chiffres. Il soupçonnait peut-être Yoongi ou Jimin d'en être les payeurs, mais n'osait en souffler mot.
Et si ce n'était pas eux, après tout ?
La cour, un parterre de galets polis par le temps, guidait ses pas vers le manoir. Au cœur de cette beauté enchanteresse, une fontaine majestueuse s'éleva, son onde cristalline dansant sous la caresse du vent.
Au cœur de cette fontaine trônait la Vénus de Milo. Une folie de son père pour l'anniversaire de sa mère. À une époque où la vie leur souriait. Son père avait usé de sa puissance financière, de son influence tentaculaire dans le monde et de son appartenance à l'une des dynasties les plus anciennes pour l'acquérir malgré les réticences du Musée du Louvre.
Taehyung se souvenait comme hier de la manière dont son père avait été si fier d'observer son épouse admirer, les étoiles dans les yeux, le cadeau d'anniversaire artistique qu'elle avait toujours admiré de loin.
Le cœur béant de douleur, Taehyung sourit. Cette silhouette de marbre était une éloquente incarnation de la beauté sculptée dans la pierre. Ses contours délicats, façonnés par le génie artistique de l'Antiquité, évoquaient une féminité divine et universelle. Les courbes douces de son corps suggéraient une harmonie parfaite, un équilibre entre force et grâce, immortalisé dans le marbre avec une tendresse infinie.
Il clôt les paupières, une larme solitaire glissant avec grâce le long de sa joue, pour finalement reposer sur l'étoffe de son échappe. En lui résonnait un souvenir qui labourait son cœur.
Tu vois mon grand, Aphrodite de Milo raconte des récits anciens, des légendes de la mer et des étoiles, elle capture l'essence même de l'amour et de la beauté. Ton père m'a dit qu'elle lui fait penser à moi et qu'il s'était promis de remuer ciel et terre pour me l'offrir. Mon Jaewon est un fou.
Il se souvint qu'elle avait prononcé le mot fou avec une intonation qui le rendait presque noble, comme si elle avait prononcé le mot exceptionnel. Il revécut le doux rire flatteur qui avait envoûté ses sens tandis qu'elle lui narrait l'épopée de la sculpture antique emblématique, ainsi que l'épopée de son père pour l'acquérir.
Il était indubitable que l'amour qui avait jadis uni ses parents était une source d'inspiration pour lui, jusqu'à nourrir en lui le rêve de rencontrer la personne qui embraserait son cœur et illuminerait ses yeux de constellations. Ils lui avaient enseigné ce qu'était l'Amour, le véritable. Un océan de tendresse et de profondeur, où douleur et sacrifices ne faisaient que ressortir sa splendeur.
En son for intérieur, il nourrissait l'attente inébranlable de cette âme salvatrice.
Peut-être qu'elle le délivrera de sa tourmente. De sa solitude.
Peut-être que, tel que son père avait été pour son épouse, cette âme chercherait à déplacer des montagnes simplement pour faire éclore un sourire sur ses lèvres.
Peut-être que, comme sa mère l'avait été avec son époux, cette âme l'aimerait sans aucune faille, le portant au-delà des tourments et l'élevant au-dessus des défis.
Peut-être se berçait-il d'illusions.
Il était bien seul, n'est-ce pas ?
Il sécha sa joue, un soupir légèrement tremblant et mélancolique s'échappant de ses lèvres. Son regard se détourna vers un banc d'un blanc immaculé. Une tension sourde contracta sa mâchoire. Les souvenirs affluaient, insaisissables, comme s'ils étaient conviés sans son consentement.
À l'âge de quinze ans, Taehyung affectionnait cet endroit, ce banc situé à quelques pas de la statue, où il aimait s'installer et se laisser bercer par le doux murmure de l'eau tout en plongeant dans les pages de multiples ouvrages.
Rarement, son père s'asseyait à ses côtés lorsqu'il était présent avec eux. À cet instant, Taehyung rayonnait d'une joie ineffable. Dans ses yeux, une lueur vive brillait, une admiration sans bornes pour celui qui lui avait donné la vie. Chaque parole qui s'échappait de ses lèvres était pour lui un précieux élixir, et chaque instant passé ensemble était un trésor à savourer, même dépourvu des rires et des gestes affectueux. Dans le regard fier et aimant de son père, Taehyung trouvait une plénitude suffisante. Bien que le temps ait façonné le patriarche en un homme plus fermé, l'amour, la tendresse et la protection qu'il lui avait toujours offertes demeuraient intactes, gravées dans son cœur.
Envisager qu'il ait causé du tort à autrui au point que la haine des autres se répercute sur son cadet lui était difficile. Inconcevable.
Par moments, Seokjin se joignait à lui en se terrant dans le silence. Taehyung profitait simplement de sa présence, le sachant devenu taciturne. Mais parfois, Seokjin glissait doucement ses doigts dans ses cheveux. Tout se déroulait dans un silence éloquent. Quand son frère lui accordait cette tendresse devenue rare, son cœur virevoltait à la fois d'euphorie et de tristesse.
Chaque seconde, il avait brûlé de lui demander l'essence de ce qui l'a métamorphosé à ce degré si élevé.
Souvent, c'était sa mère qui venait l'accompagner, la tête reposant sur le giron de son cadet tandis qu'il tressait ses longs cheveux noirs ou caressait son cuir chevelu. Un maigre sourire douloureux éclôt au souvenir de leurs nombreuses discussions. Ils avaient refait le monde. Ils avaient débattu. Ils s'étaient chamaillés comme des enfants. Il s'était confié à elle. Ils avaient parlé de l'amour. Du chaos. Du pardon. De leur foi commune et de Dieu.
En plus d'avoir été une mère parfaite à ses yeux, elle avait été pour lui ce qui se rapprochait le plus d'une meilleure amie.
Ignorant les intrus grouillant dans la cour de sa demeure, il prit conscience de sa mélancolie. Il ne sut guère pour quelle raison il s'était stoppé pour contempler cet endroit gorgé de souvenirs. Lui qui évitait farouchement le passé.
Peut-être parce que c'était la première fois depuis trois années que la cour était aussi vivante ?
Il en venait presque à désirer que la présence des policiers demeure. Qu'ils animent continuellement cet endroit désolé.
Ses yeux erraient autour de lui, comme s'il redécouvrait sa propriété. Son héritage. Leur héritage.
Telle une alcôve de verdure et de couleurs vives, le jardin d'agrément se parait d'un manteau chatoyant de chrysanthèmes blancs, jaunes, rouges et oranges. Parmi eux, des asters violets, roses et blancs éclataient tels des éclairs de couleur, leur splendeur enivrante ensorcelant les sens.
Il s'approcha des cyclamens, le cœur brisé. Les préférés de sa défunte mère. Il effleura un pétale d'un doux toucher, comme s'il caressait la joue de sa mère. Elle les affectionnait pour leur forme. Modestes émissaires de l'amour, ils agrémentaient le jardin de leurs labelles en forme de cœur, semant une poésie subtile au sein de ce tableau bucolique.
Il nourrissait une gratitude profonde envers Soon-Ja, cette ancienne employée. Leur majordome. Une dame octogénaire qui, chaque matin, faisait encore le voyage jusqu'à la propriété, arrosant avec constance ce jardin d'Éden, tel qu'elle l'avait toujours fait au cours de trois décennies passées au service des Kim. Elle connaissait l'importance que madame Kim accordait à ces fleurs, qu'elle avait aidé à planter aux côtés de cette dernière et de ses fils, les voyant tous grandir et évoluer. En tant que gardienne de ces souvenirs, elle incarnait l'essence même de ce passé révolu, la doyenne de la demeure.
Et, peu importait combien il l'aimait, Taehyung faisait tout pour ne pas la croiser.
La douleur serait trop vive.
Le temps était encore trop court.
Il n'était pas prêt à affronter ses regards tristes et aimants ou à se perdre dans ses bras. Il lui arrivait parfois de fondre en larmes, le cœur lourd, lorsqu'il trouvait une petite boîte de nourriture sur son palier avec ses plats favoris. Grâce à Soon-Ja, il continuait de savourer la viande autant que Dieu le lui permettait.
Sa main s'abaissa lentement, le cœur serré par la mélancolie.
Lorsqu'il vit les rudbeckias dans ce havre de verdure, sa gorge se noua. Il clôt un instant les paupières, réfrénant la brume apparaissant dans ses yeux. Auréolées de leur éclat jaune et orange, elles incarnaient l'essence même de la lumière, éclairant les recoins ombragés de leur éclat resplendissant.
Son père avait tenu qu'elles soient plantées près des fleurs préférées de son épouse.
Derrière lui, un étang réfléchissait à la sérénité du lieu, où les carpes koïs glissaient, jadis, gracieusement sous les arches de petits ponts en bois.
Lorsqu'il était enfant, il se remémora les innombrables escapades de pêche en compagnie de Seokjin, où ils traquaient gaiement les carpes, les appâtant avec de la nourriture. Ces instants révolus étaient vibrants de rires cristallins d'enfants, comme autant de joyaux dans le fil du temps.
Dieu, on était si heureux. Pourquoi tout a si soudainement basculé ?
« Mon grand ! »
Il sourit. Son cœur bondit de joie à l'entente de sa voix.
Yoongi.
Abandonnant ce vestige paradisiaque d'un passé douloureux, Taehyung remonta le chemin de galets jusqu'à l'entrée de sa demeure, située quelques mètres plus loin.
Les mains nichées au creux de ses poches, il distingua au loin, à plusieurs mètres, deux autres voitures de police dressées en sentinelle devant le manoir attenant de son regretté voisin, séparé par un muret mitoyen. S'approchant de son propre seuil, une silhouette massive et masculine aux cheveux argentés se dressait fièrement sur son perron, sous la vaste étendue du préau de l'entrée, entouré par deux épaisses colonnes immaculées.
Derrière Yoongi, le manoir majestueux s'érigeait. Personne dans la dynastie des Kim n'avait d'explication sur l'architecture atypique de cette demeure très ancienne, mais très bien entretenue. Le manoir blanc émergeait tel un joyau immaculé de l'antiquité grecque au cœur d'un paysage coréen, évoquant la grandeur des temples dédiés aux dieux.
Ses colonnes élancées soutenaient un fronton ciselé où le savoir-faire des artisans se mêlait à l'harmonie des proportions. Chaque détail, du péristyle à la frise, respirait la noblesse et l'élégance intemporelle, comme un hymne silencieux à la splendeur du passé. Tout contrastait avec grâce et éclat avec les toits en pente douce et les délicates tuiles courbées du manoir voisin, imprégné de l'élégance sobre de l'architecture coréenne traditionnelle.
Sous ses colonnades, les murmures du vent s'entrelaçaient avec les doux chants des oiseaux, créant une atmosphère sereine. Lorsqu'il vit deux sacs d'emplettes bien garnis juste devant sa porte, Taehyung sentit sa gorge se nouer à nouveau. Il accéléra le pas, s'apprêtant à étreindre l'argenté. Un large sourire se dessina sur les lèvres de ce dernier alors qu'il ouvrit ses bras, l'accueillant chaleureusement contre lui.
« C'est bon de te revoir », souffla Yoongi contre ses cheveux sombres.
Taehyung sourit.
« Tu m'as manqué », chuchota-t-il contre l'épaule du plus âgé, le serrant davantage.
C'était terrifiant, un mois sans toi.
« Les gars, je reste un peu avec le petit, dit Yoongi à ses collègues qui acquiescèrent aussitôt. Dès que vous avez fini, vous pouvez partir. Dites à la commissaire que je vous rejoins après.
— On l'interroge pas ? s'enquit une policière en regardant Taehyung cramponné à son commandant, avant de sourire tendrement en voyant la manière avec laquelle son supérieur l'étreignait étroitement.
— Je m'en occupe, Emy, répondit-il en lui rendant son sourire de manière plus sobre.
— Vous nous avez dit qu'on l'attendait pour entrer chez lui. Maintenant qu'il est là, il est d'accord ?
— Mais, Liam, tu es con ou quoi ? ricana Emy en poussant doucement son collègue. Il vient de répondre !
— Elle veut quoi l'intello de service ? gronda-t-il, rougissant d'embarras.
— Oh, fermez-la ou baisez une bonne fois pour toutes, râla Yoongi, provoquant un gloussement discret et gêné chez Taehyung.
— Mais ! s'offusqua la jeune femme.
— Command...
— On reviendra demain s'il l'accepte, coupa l'argenté en montrant la sangsue contre lui. Filez, maintenant, ordonna-t-il, non sans sourire, amusé. Le portail s'ouvrira automatiquement.
— Bien, commandant ! »
Ignorant les agents de police qui s'apprêtaient à s'en aller, Taehyung demeura enveloppé dans les bras du meilleur ami de sa défunte mère. Celui qui, dans l'ombre, veillait sur lui depuis cette nuit où tout avait basculé pour les Kim.
Et pour les Jeon.
En se redressant légèrement, Taehyung releva la tête, ses yeux se posant sur les mèches nouvellement grisonnantes de son aîné. Toujours enclin à la plaisanterie, un sourire en coin naquit sur ses lèvres, provoquant un regard interrogateur de la part de Yoongi, son sourcil se levant avec curiosité.
« J'aime bien ta nouvelle couleur. Le gris te va mieux, vu ton âge. »
À la fois grognon et amusé, Yoongi riposta en étirant subitement les joues de Taehyung, ce qui suscita chez ce dernier un joyeux concert de gémissements de douleur et de rires complices.
« Déjà, c'est argenté. Et il sous-entend quoi, le microbe, là ? », grogna-t-il, la mine faussement réprobatrice, tandis qu'il regardait son unité monter dans les véhicules.
— Que t'es "wieux", répondit-il avec malice, les lèvres étendues par les doigts impitoyables de Yoongi.
— Petit con, j'ai encore la trentaine » riposta-t-il sur un ton faussement indigné.
— En vrai, ça te va bien... papi », ajouta-t-il avant d'éclater de rire.
Feignant l'offense, Yoongi resserra son bras autour du cou du plus jeune, exerçant une légère pression. Les exclamations de désaccord s'entremêlaient avec des éclats de rire alors que Yoongi réclamait des excuses.
« Dis pardon, ordonna-t-il.
— Pardon, céda Taehyung en levant les yeux au ciel.
— Pardon, mon maître », continua-t-il, avec un sourire sadique en coin.
Riant nerveusement, Taehyung lui lança un regard faussement indigné.
« Va chier, même pas en rê... s'interrompit-il lorsque Yoongi resserra son bras. Putain, Yoongi, t'abuse ! », s'exclama-t-il entre deux rires.
Yoongi relâcha promptement sa prise, tout en ponctuant son geste d'un coup de pied taquin à son postérieur.
« Sale gosse, répliqua ce dernier en grognant.
— C'est à se demander qui est le go... commença-t-il , avant de se raviser en voyant le regard noir de Yoongi. J'ai rien dit, ajouta-t-il en levant les mains en signe de paix.
— J'aime mieux ça, ouais », dit-il d'un ton joueur, son expression faussement suspicieuse.
Le plus jeune réprima un rire espiègle derrière ses lèvres pincées tandis qu'il consentait d'un simple mouvement de tête.
« T'es au courant pour ton voisin ? », demanda Yoongi d'une voix légèrement plus rauque due à la cigarette, tandis qu'il laissa Taehyung se blottir dans ses bras.
Sans se détacher de l'étreinte aimante du plus âgé, Taehyung jeta un bref regard vers la magnifique demeure à sa gauche et se renfrogna légèrement, se dissimulant presque derrière son écharpe en sentant le vent s'engouffrer brusquement en lui. Il ne pouvait discerner si cette sensation de froid soudaine était due aux températures négatives ou aux souvenirs du meurtre commis par ce blond assassin.
Je suis au courant puisque j'ai vu le responsable de la mort de monsieur Choi, Yoon. Je l'ai vu de si près que je suis capable de te dépeindre chaque nuance de son visage avec une précision infime.
« J... je suis... »
Il ne sut guère la raison pour laquelle il n'eut pas le courage d'exprimer sa pensée précédente. La voix du blond s'immisça dans son esprit, comme une réminiscence cruelle chargée d'un avertissement :
Garde le secret de ce que tu as vu, sinon, tes jours pourraient bien se draper dans la tragédie, comme ton voisin.
Il frémit, provoquant un froncement de sourcils chez Yoongi, qui, attentif, quitta des yeux les deux Dodge Charger blanches qui sortaient du manoir.
« J... j'en ai entendu des échos, mais j'y ai pas cru, souffla Taehyung en se redressant doucement.
— T'es allé sonner chez lui pour t'en assurer ? Ses enfants et sa femme sont venus te voir pour te poser des questions ?
— Non, personne s'est présenté, murmura-t-il, intérieurement surpris de constater qu'en effet, personne n'était venu l'interroger au sujet de la brusque disparition de monsieur Choi.
— T'as pas l'air bouleversé, lâcha calmement Yoongi, le scrutant sous toutes les coutures. Tu prends bien la nouvelle.
— Mais... Yoon, j'ai pas cru aux rumeurs, se défendit-il, tentant de dissimuler son anxiété grandissante. Mais si tu dis ça, c'est qu'il est vraiment mort ? », balbutia-t-il en blêmissant.
Son cœur pulsait avec une intensité dévorante, tandis que le souvenir saisissant du mouvement tragique et effroyable de monsieur Choi, propulsé par la force de la balle, persistait dans son esprit tel un fantôme insaisissable.
Sa soudaine pâleur était due à ce souvenir, mais pour Yoongi, elle révélait la prise de conscience de Taehyung face à la perte qui avait frappé le voisin.
« On le déclare disparu, on n'a pas encore trouvé le corps. »
Yoongi grinça des dents en détournant le regard, provoquant un froncement de sourcils chez Taehyung qui décelait une pointe d'anxiété dans sa voix.
Il saurait quelque chose ?
« Si t'as ramené ton équipe ici, c'est que vous avez rien trouvé chez lui ? s'enquit-il, intrigué, s'empêchant de déglutir alors que Yoongi le scrutait.
— Exactement.
— Bah vous allez rien trouver chez moi, non plus, murmura-t-il en levant les yeux au ciel.
— Peut-être que si, mon grand. Il aurait très bien pu se faufiler ou cacher quelque chose chez toi, qui sait. »
Non, il a juste eu la malchance de rencontrer un tueur sans scrupule.
Taehyung frémit lorsque les perles d'une lueur macabre du blond apparurent derrière ses rétines.
« T'en fais pas, je le ferai pas aujourd'hui. Mais je pourrais rentrer chez toi demain avec mon équipe et quelques scientifiques quand tu seras en cours ?
— Bien sûr. Et tu sais bien que c'est aussi un peu chez toi », souffla-t-il d'une voix mélancolique.
Ils se sourirent tristement.
Il laissa Yoongi se diriger vers la porte blanche en bois massif ornée d'élégants motifs ciselés inspirés de la mythologie antique avec des ferrures ouvragées teintes d'or. Dissimulé discrètement sur son flanc, un boîtier de scan attendait que Yoongi déverrouille l'entrée.
Ils pénétrèrent la demeure familiale, Yoongi portant les sacs de courses emplis à ras bord. Se libérant de son manteau et de ses chaussures, Taehyung tourna son regard vers l'argenté qui attendait avec patience que leurs yeux se lient.
« Tu vas m'interroger ? demanda le plus jeune.
— Je viens d'abord rendre visite à mon presque fils », répondit-il, en ôtant à son tour sa veste, gardant ses chaussures.
Un doux sourire chargé de gratitude et de langueur naquit sur les lèvres de Taehyung. Bien que dépourvu de tout lien de sang, Yoongi avait endossé pour lui le rôle paternel qu'il nécessitait depuis la perte subite du sien.
« Je leur aurais ouvert, tu sais. Vous aurez au moins écarté une piste.
— Non, t'as pas à subir ça quand pendant que t'es là, refusa Yoongi. Je vais me contenter de t'interroger, aujourd'hui. C'est une simple formalité, en plus. »
Taehyung hocha la tête, s'efforçant de voiler la tourmente muette qui l'assaillait.
« Et je t'ai fait les grosses commissions, tu en as pour le mois, reprit Yoongi. Je suis désolé de t'en apporter que maintenant, la mission a duré plus longtemps que prévu », dit-il évasivement.
Il reprit les sacs et se dirigea vers l'immense cuisine, ses chaussures résonnant contre le sol en marbre blanc.
Taehyung le rejoignit dans cette pièce luxueuse aux accents grecs, le rouge éclatant dansant avec l'élégance des colonnes antiques, créant une fusion visuelle de passion et de grandeur.
« Tu reviens tout juste du Koweït ?
— Ouais, sourit-il en lui ébouriffant les cheveux.
— Raconte-moi, demanda-t-il intéressé. Ça fait quoi d'entrer momentanément dans les rangs de la KNPA* ?
— Pas la KNPA, mon grand. Interpol* », le corrigea-t-il.
La stupeur fit s'entrouvrir les lèvres de Taehyung dont les mains s'aplanirent sur le turquin de l'îlot, jadis le sanctuaire où les plaisirs de la gastronomie avaient été célébrés avec grâce et sophistication par sa mère.
Amusé, Yoongi sourit tandis qu'il déambulait çà et là en rangeant la nourriture dans différents placards aux surfaces de marbre poli reflétant la lumière, et aux détails dorés qui ajoutaient une touche d'opulence à l'espace.
Une cuisine grandiose, dont la magnificence ne suscitait plus chez Yoongi l'émoi autrefois inspiré par son incomparable beauté, tant ses visites au manoir s'étaient faites nombreuses.
« Je te la fais courte. La situation à Jabriya était instable à cause de terroristes coréens. Ma commissaire m'a dépêché avec mon unité pour former une équipe koweïtienne, on s'est alliés parce que la menace était trop grande. On a pris le temps de les entraîner, on leur a appris à reconnaître qu'une merde est sur le point d'arriver et comment réagir. On leur a fait des simulations en situation réelle. »
Il plia le premier sac à présent vide avant de le déposer sur l'îlot. Il braqua ses prunelles attendries dans celles grandes et curieuses de Taehyung, tout en s'attaquant au second sac de courses.
« T'as visité la ville ? T'as pris des photos ?
— Pas eu le temps de jouer au touriste, mais au passage, j'ai rencontré quelques charmantes demoiselles, répondit-il en haussant exagérément les sourcils, arrachant un sourire amusé à Taehyung qui leva les yeux au ciel. J'ai bien entendu participé à la mission. On a été pris par surprise par les terroristes qu'on était censés neutraliser à Jabriya.
— Oh, mon Dieu... », souffla-t-il en perdant aussitôt son sourire.
Une vague de panique s'insinua en Taehyung, tandis que le plus âgé contemplait l'abîme de détresse dans les yeux de son protégé. Yoongi connaissait la raison derrière la peur sourde chez le jeune Kim, et son cœur s'en trouva étreint d'une douleur indicible.
« Ça s'est mal passé ? Tu as frôlé la mort ? débita-t-il à une vitesse telle que Yoongi dut se faire violence afin de ne pas montrer sa peine.
— Non, non. Mais j'ai perdu deux frères d'armes, murmura-t-il, la mine sombre et attristée. Les corps ont été déportés ici et, ce soir, on va les enterrer.
— Oh, non... Et si ça avait été toi ? », s'affola Taehyung en s'approchant de Yoongi qui déposa les articles qu'il tenait en main près de l'évier derrière lui.
Taehyung était si égaré dans les sinuosités de sa panique qu'il en oublia de murmurer une prière pour les âmes des coéquipiers du commandant.
« Hé, je vais bien. Je m'en suis sorti, tenta-t-il de l'apaiser en l'enveloppant dans ses bras.
— Tu peux pas avoir cette chance tout le temps... balbutia-t-il. T'es blessé ? s'enquit-il en se redressant, prêt à relever le haut de Yoongi pour constater les blessures.
— Tae, murmura-t-il en retenant doucement ses poignets pour calmer son agitation. J'ai juste quelques pansements, de légères carences dues au manque de nourriture et je suis juste un peu déshydraté. Je n'ai pas de blessure grave. On ne m'a pas tiré dessus ni planté au point que je doive être alité, assura-t-il en le fixant droit dans les yeux pour le rassurer.
— C'est vrai ? chuchota-t-il, la voix étranglée.
— Je te le promets, dit-il en le blottissant de nouveau contre lui. Et je suis là, je ne vais plus nulle part. Cette mission était inhabituelle, je ne suis pas censé quitter le territoire en tant que commandant. Mais j'étais le plus expérimenté, avec mon unité, alors... »
Il était conscient que son protégé avait besoin de ressentir sa proximité, de s'imprégner de sa chaleur et de sa présence. Taehyung lui avait confié l'un de ses cauchemars persistants, parmi lesquels la vision obsédante de se retrouver isolé de son monde, privé de Yoongi, de ses amis, ne conservant que la compagnie de Seokjin qui suscitait en Taehyung davantage de terreur que tout autre sentiment.
« Est-ce que tu voudrais rester un peu ? Ou dormir ici ? », murmura Taehyung, sa voix basse cachant un désespoir, souhaitant prolonger leur moment ensemble.
Yoongi mit fin à leur étreinte, déposa un baiser sur le haut de sa crinière ondulée, et reprit le rangement. Taehyung l'y rejoignit en trottinant presque pour l'aider à ordonner le reste des provisions, ressentant une profonde gratitude pour la nourriture qu'il lui apportait, lui épargnant ainsi la nécessité de retourner au bar dans quinze jours.
Je suis sauvé pour un mois.
« J'aimerais bien, mais la commissaire m'attend pour un briefing.
— Dis-lui que tu passeras demain ? tenta-t-il, une moue suppliante. Elle t'aime bien et t'accorde pas mal d'écarts.
— Je suis déjà en retard, elle me tuera si en plus je l'appelle pour décaler », rit-il doucement, malgré la compression de son cœur.
Naturellement, il désirait également prolonger leur moment. Cependant, les chaînes de responsabilités lui enserraient les mains, limitant sa liberté d'action, même pour un haut gradé de la police.
Yoongi ouvrit le frigidaire pour l'approvisionner généreusement des derniers articles et de plusieurs plats cuisinés. Il sélectionna les deux mets préférés de son protégé et les déposa sur l'îlot.
« Tu vas passer la nuit au commissariat, alors ? souffla Taehyung d'une voix résignée, salivant devant le japchae* et le samgyeopsal*.
— Oui, je suis désolé, mon grand », fut tout ce qu'il put lui murmurer, en déposant une paire de baguettes en argent près des plats, lui emplissant un grand verre de jus de pomme.
Une invitation muette à se nourrir.
Taehyung sourit timidement et s'installa devant l'îlot. Il ôta le couvercle des délices disposés devant lui et, sans même prendre le temps de les réchauffer, il entama son repas avec une délectation non dissimulée.
Yoongi risqua un coup d'œil vers le plus jeune avant de clore les paupières. Taehyung avalait chaque bouchée avec une voracité qui trahissait sans équivoque son manque de nourriture. Il serra les dents lorsque les remords alourdirent sa poitrine. Pendant qu'il avait rangé les provisions, Yoongi s'était fait violence pour ne pas hurler sa rage en voyant le contenu des placards et du frigidaire partiellement vides.
Bien sûr, savoir que Taehyung avait pu manger à sa faim en son absence le rassurait à demi.
Parce qu'il savait comment son protégé s'était permis ces courses.
« J'en profite pour savoir si tu as changé d'avis », murmura Yoongi dans un souffle léger en s'asseyant de l'autre côté du comptoir, lui faisant face.
Il fixait le plus jeune, conscient qu'il voguait sur les eaux tumultueuses d'une conversation délicate.
Taehyung fronça les sourcils, mâcha plus lentement et se retint de soupirer. Yoongi attendait inlassablement une réponse à son offre.
Viens vivre chez moi, et tes seuls soucis seront tes études et la réussite de ton année.
Mais Taehyung éludait toujours habilement le sujet, différant l'échange. Il haussa simplement les épaules. Un chagrin lui compressa le cœur.
« Tu veux bien rester le temps de manger avec moi ? demanda faiblement Taehyung, évitant de lui répondre.
— Une prochaine fois », répondit-il en, les dents serrées, se retenant de réagir impulsivement face à sa tentative de fuite.
En réalité, Yoongi n'acceptera pas son invitation à partager un repas, souhaitant plutôt que chaque bouchée soit réservée à son protégé.
« Hé, mange doucement, murmura l'argenté en fronçant les sourcils face à l'entrain renouvelé du plus jeune.
— Mille ans que j'ai plus mangé de porc, répondit-il la bouche pleine. J'ai oublié à quel point c'est trop bon, vive la prot', plaisanta-t-il, heureux de savourer la viande malgré l'angoisse serrant son cœur face au sujet qu'il évitait.
— Laisse-moi t'ajouter des œufs brouillés, proposa Yoongi, soucieux, se relevant déjà de son siège.
— Surtout pas ! s'exclama-t-il après avoir avalé sa bouchée, manquant de peu de s'étouffer. Au mieux, tu vas réussir l'exploit de brûler la poêle, au pire, tu mettras le feu à ma cuisine. Merci, mais tu peux te rassoir, s'il te plaît.
— Je voulais juste aider, sale microbe », grogna-t-il en se rasseyant, lâchant un rire amusé.
Taehyung ricana, avant d'aspirer une grosse bouchée de nouilles et Yoongi le fixa longuement.
« Soon-Ja est passée t'apporter à manger en plus de s'occuper du jardin, ce mois-ci ?
— Moins qu'avant, souffla-t-il. Elle va bien ? s'enquit-il, inquiet.
— Je l'ai croisée sur le perron quand je suis venu te voir avant d'aller au Koweït. Elle est de plus en plus fatiguée, mais tu la connais, c'est un roc.
— ...Elle est seule ?
— Sa fille s'en occupe. »
Taehyung se contenta de hocher la tête, avalant difficilement sa bouchée tant sa gorge s'était nouée.
Cette femme le touchait autant qu'elle lui manquait.
« Elle a demandé de tes nouvelles. Elle me dit comprendre ton besoin de l'éviter, mais elle commence à désespérer de te revoir, murmura prudemment Yoongi.
— Je peux juste pas la regarder dans les yeux, Yoon. Puis je n'ai pas la tête à affronter le passé, là, grimaça-t-il en baisant les yeux.
— Pourquoi ? Tu as d'autres problèmes ? », interrogea-t-il, craignant d'apprendre une mauvaise nouvelle.
Oui, un meurtrier me suit, j'aimerais que tu l'arrêtes. Il est celui que tu cherches. Chasse-le loin de moi.
Taehyung sentait que s'il se laissait emporter par ce sujet, il succomberait à l'émotion. Il dévoilerait ses tourments, révélant la profondeur de sa terreur face à ce mystérieux assassin. Au fil de ses pensées, l'image de Jimin émergea. Jimin, qui s'était impliqué dans cette histoire incarnée par ce blond surgissant de nulle part. Jimin s'était mis en danger et cela le terrorisait.
Silencieux, Taehyung médita sur le fait que ce criminel semblait le pourchasser sans pour autant menacer sa vie, et son désir le plus ardent était de comprendre pourquoi il le suivait, avant d'en parler à Yoongi et protéger Jimin.
Puis, par-dessus tout, il refusait d'inquiéter davantage le plus âgé qui en avait déjà assez sur les épaules.
« Non, du tout, mentit-il, évitant soigneusement de le regarder.
— On va dire que je te crois », soupira-t-il en passant une main lasse dans ses mèches argentées.
Taehyung se retint de grimacer, souhaitant plus que tout que son cœur cesse de s'affoler.
« Ça doit te faire un choc, renchérit Yoongi.
— De quoi ?
— Choi. »
Les paupières de Taehyung se scellèrent et ses dents se serrèrent. Le choc réel était d'avoir vu sa vie s'éteindre devant lui. Contempler son cadavre porté avec désinvolture par le blond était une vision atroce, un traumatisme qui persistait.
Un violent frisson lui parcourut l'échine et un grognement ténu s'échappa de ses lèvres.
Il en avait déjà assez.
Que le vent emporte ce criminel de merde.
« Tae ? s'inquiéta Yoongi. Ça va pas ? »
Le cadet posa une main sur le turquin, les baguettes en acier nichées entre ses doigts. Les yeux clos, il inclina la tête en arrière tandis qu'une perle de sueur glissait le long de sa tempe. La chaleur l'envahissait.
« Si, ça va... J'ai juste mal dormi et la fatigue me retombe dessus.
— C'est à cause d'hier soir ? s'enquit Yoongi, la mine sombre, se retenant de serrer les poings et la mâchoire afin de ne pas accabler Taehyung.
— Quoi ? s'exclama vivement le ténébreux, ahuri, relevant la tête vers Yoongi pour le dévisager en même temps que son cœur battait la chamade.
— Ne joue pas aux surpris, s'il te plaît, soupira-t-il en se pinçant l'arête du nez, réprimant son envie de grogner de colère contre lui-même. C'est bien toi qui m'as dit que tu y vas tous les deux vendredis.
— C... c'est pas tes affaires ! s'interposa-t-il avec véhémence, sa voix frémissant d'une honte profonde.
— Tu es mon affaire, riposta-t-il, la voix courroucée.
— Je me débrouille, murmura-t-il, agacé.
— Tu te débrouilles ? répéta Yoongi. Tu sais très bien que je suis pas d'accord avec ce que tu fais. Je supporte pas te voir t'infliger ça ! », s'écria-t-il pour la première fois depuis le début de la soirée, le visage crispé par la peine.
Soudain, le frisson qui traversa l'âme de Taehyung apaisa la tempête de sa colère, mais laissa place à la honte écrasante. La quiétude de Yoongi se troublait facilement, mais lorsque surgissait sa voix puissante, Taehyung finissait toujours par être figé par la stupéfaction, comme si un éclat de lumière soudain jaillissait dans l'obscurité pour le surprendre.
« ... J'ai pas spécialement envie de ravoir cette discussion avec toi, Yoongi, murmura-t-il, baissant la tête et se triturant les doigts sur ses cuisses, délaissant ses baguettes sur le comptoir.
— Tu m'énerves. Je ne comprends toujours pas pourquoi tu persistes à vivre cette vie de merde alors que je suis là, putain, gronda-t-il, profondément attristé.
— Je sais pas non plus, écoute, ironisa-t-il, insolent.
— Trouve au moins un autre travail, merde ! craqua-t-il, les yeux injectés de sang, tant par la fatigue que par la furie.
— Tu te fous de moi ? aboya-t-il, outré. Va dire ça à ceux qui crachent sur ma famille et me rejettent comme une merde sans que je sache pourquoi, quand je postule ! Même toi, tu le sais pas ! À moins que tu ne veuilles pas me dire », siffla Taehyung, piqué au vif.
Yoongi garda le silence, tandis que les muscles de sa mâchoire tressautaient, témoignant de sa retenue.
Taehyung se prit la tête entre les mains, accoudé au comptoir. Des larmes perlèrent doucement au coin de ses yeux et l'envie de s'effondrer sur le sol pour laisser couler ses pleurs l'assaillit. Il voulait céder à cette libération qu'il s'était refusée la nuit précédente et qui, à cet instant, lui pesait.
L'âme en peine et le cœur émietté, Yoongi se leva silencieusement. Le son feutré de ses chaussures effleurant le sol de marbre résonna dans le silence de la pièce. Avec une tendresse infinie, il posa une main apaisante sur l'épaule tendue du ténébreux, se penchant doucement vers lui.
« Arrête de te borner. Viens vivre chez moi et détache-toi de ce manoir, murmura-t-il, la voix profonde, mais douce. Comment tu peux vivre dans un endroit aussi chargé de souvenirs sans devenir fou ?
— On en a déjà parlé... répondit Taehyung dans une intonation similaire. J'en ai besoin. Je peux pas me résoudre à quitter l'endroit où ils étaient tous. »
Il fixa ses plats quasiment terminés, son estomac dansant une valse incertaine. Une série d'événements s'étaient enchaînés, le laissant hésitant quant à sa faim. Les clients, la fatigue, la douleur, le bruit assourdissant du pistolet, le cadavre, le regard glacial et méprisant de l'assassin, la proximité avec un criminel qui semblait le traquer dans le seul but de le tourmenter.
Cela tourbillonnait sans cesse dans son esprit, même lorsqu'il n'y pensait pas. Voilà autant de choses qui faisaient disparaître son appétit, même si son estomac avait jeûné depuis deux jours.
Yoongi laissa échapper un soupir frustré lorsque son protégé rechignait à relever la tête. Pourquoi ? Pourquoi Taehyung s'entêtait-il à se complaire dans sa souffrance ? Se punissait-il ? En avait-il fait sa raison de vivre ? Avait-il peur de l'inconnu ?
Ou peur d'être de nouveau assailli par une épreuve qui, cette fois, ferait définitivement basculer sa conscience ?
Yoongi serra les poings, se sentant impuissant face à la détresse de celui dont il avait la charge. Il voulait des réponses qu'il n'aurait pas de sitôt. Après quelques battements de cœur, il commença à caresser ses cheveux sombres, une boule d'émotion étouffée dans sa gorge.
Comment pourrait-il veiller sur lui et le garder sous son aile si son aide était repoussée ? Lui forcer la main ? De quelle manière ? Oserait-il seulement ? Si encore Taehyung l'écoutait, sa vie serait bien plus simple. Son cœur saignait pour lui, connaissant chaque parcelle de son histoire.
De plus, il avait fait une promesse.
Mais d'un autre côté, il avait apposé sa signature sur un contrat officiel.
Il était accablé par la charge de trois âmes chères à son cœur, évoluant dans des chemins sinueux. Yoongi faisait de son mieux pour leur offrir son temps, sa sérénité, sa santé mentale et son énergie.
Le plus épineux dans tout cela était que le salut de l'un aurait un mauvais impact sur celui des deux autres.
Si seulement il pouvait mettre la main sur la solution miracle qui les sortirait tous les trois de leurs tourmentes.
Il fera tout pour eux. Même le pire.
« Peut-être que tu t'infliges ça pour te punir ou juste parce que tu te complais dans ta misère, alors que je suis capable de t'offrir une vie plus digne. Tu ne sais pas le mal que tu me fais. Toi et ton frère, vous... », murmura-t-il, la voix vacillant presque vers les aigus tant ce sujet le prenait à cœur.
Taehyung se figea, encaissant une vérité qu'il ne voulait pas entendre. Yoongi comprit qu'il venait de dépasser les limites, et se fustigea mentalement.
Il devait se taire. La fatigue commençait à avoir raison de lui et déliait sa langue.
« Excuse-moi », chuchota-t-il en accentuant ses caresses entre les mèches du ténébreux.
Il se glissa derrière son dos, ses bras enlaçant le cou du plus jeune qui semblait ne plus vouloir bouger. Yoongi se pinça les lèvres alors que Taehyung enserrait les bras du plus âgé autour de lui, les enlaçant fermement contre sa poitrine. Il rapprocha ainsi leurs corps, comme si Taehyung cherchait dans ce contact le moyen de maîtriser ses pensées tourbillonnantes.
« Je suis désolé, ne fais pas attention à ce que j'ai dit », soupira l'argenté, anxieux.
Yoongi se haïssait pour son manque de tact. Mais comment pouvait-il rester de marbre alors qu'il portait la culpabilité de n'avoir rien vu, ces trois dernières années ?
Taehyung lui avait menti, lorsqu'il avait seize ans, alors qu'il se remettait à peine de la tragédie des Kim.
Il lui avait dit qu'il était subventionné par l'État pour ses études, que son assiette était pleine et qu'il refusait de quitter la demeure familiale.
Et Yoongi l'avait cru. Il l'avait cru capable de surmonter cette épreuve à condition qu'il ne l'étouffe pas.
Puis, deux années s'écoulèrent ainsi, jusqu'au jour où Taehyung chancela dans ses bras, consumé par une fièvre inquiétante. Avec un sentiment d'effroi, alors qu'il s'efforçait de faire baisser sa température en le déshabillant, Yoongi avait été pétrifié par ce qu'il vit.
Des plaques vermeilles sur sa peau. Des traces violettes non équivoques.
Une maigreur jusque-là méconnue chez son protégé.
Dire qu'il avait été horrifié était bien trop faible.
Anéanti sous le poids du choc, Yoongi avait veillé sur lui avec dévotion. Quatre jours durant, il avait résidé dans ce manoir silencieux, découvrant des placards et un frigidaire dénués de tout aliment.
L'incompréhension et l'inquiétude l'avaient envahi. Yoongi avait réclamé la vérité avec une voix vibrante d'autorité et d'émotion. Craignant le plus âgé sur le fil de la nervosité et éreinté par la fièvre, Taehyung avait enfin dévoilé son secret le plus laborieux, le cœur écrasé par la honte et les remords.
Yoongi avait senti le ciel lui tomber sur la tête et ses jambes avaient défailli au milieu du salon du manoir, catastrophé, regardant Taehyung s'enfuir dans sa chambre, n'ayant guère supporté le poids de l'humiliation.
En un silence lourd, Yoongi s'était élancé dehors, se précipitant vers la demeure de son cousin qui l'accueillit avec inquiétude, laissant éclater sa haine envers lui-même et sa colère envers le monde.
Il avait frôlé la frontière de l'épuisement, terrassé et abattu pendant de longs jours. Il avait, en vain, pris le temps de digérer que son protégé troquait son corps pour subsister dans cette vaste demeure. Impossible. Il ne l'acceptait pas. Il ne l'acceptera jamais.
Puis il réapparut, enveloppant son protégé dans une étreinte où l'amour et le désespoir les avaient submergés, laissant couler des larmes silencieuses pour Yoongi, des pleurs déchirants pour Taehyung.
Et, depuis ce jour, Yoongi était devenu deux fois plus alerte. Il ne cessait de supplier son protégé de vivre avec lui, d'accepter sa subvention, son toit. Il le suppliait de cesser ces pratiques nocives pour son âme et son corps pour quelques billets alors qu'il n'était pas en âge.
Il était mineur.
Yoongi ne s'en était jamais remis. Son cœur saignait abondamment, la plaie ne se refermera jamais. Elle saignait encore à cet instant même.
Alors il agissait dans le dos de Taehyung. Il devait apaiser sa conscience. Il usait de sa position au sein de la police pour capturer ces clients en flagrant délit avec l'aide de son cousin. Il les emmenait dans le seul but de laisser éclater sa colère, sa rage, sa fureur, son impuissance. La commissaire et ses collègues étaient les témoins impuissants de son courroux qui éclatait au sein même du commissariat.
Il les frappait jusqu'au sang.
Parfois jusqu'à la satisfaction cruelle de les voir évanouis, défigurés, entourés de gouttes de liquide écarlate.
À défaut de les tuer.
C'était tout ce qu'il avait trouvé pour avoir l'impression d'agir.
Sortant de ses souvenirs, Yoongi scrutait Taehyung qui avait repris son repas, fixant un point invisible. Brisé, il ferma les yeux et se redressa, libérant le cou du plus jeune de son étreinte.
« Tu as vu ou entendu quelque chose en relation avec Choi ? », demanda-t-il, décidant de clore le sujet, l'âme abattue.
Pour seule réponse, Taehyung secoua la tête d'une manière qui se voulait désinvolte, malgré le fait que son cœur commençait à battre à outrance.
Dans le silence, Yoongi espérait un simple échange de regards ou une parole de sa part, mais Taehyung s'obstinait à garder la tête basse.
« Réfléchis à ta porte de sortie », chuchota Yoongi d'une voix chargée d'émotions, avant de déposer ses lèvres sur le sommet de la chevelure noire.
Il prit le chemin de la sortie, le pas lourd. Son âme était oppressée, prise dans une tempête de glace, tandis que son cœur s'était compressé au point de vouloir se rompre.
« Yoon. »
Le plus âgé se stoppa et se tourna, sa veste en main. Un fol espoir naquit en lui, alors que le plus jeune n'avait pas bougé d'un pouce.
« Je veux pas réfléchir au pourquoi je fais ce que je fais. Et je te demande simplement de respecter mes choix au lieu de les juger. »
La déception qui s'abattit sur Yoongi était semblable à un tsunami emportant tout sur son passage. L'âme en pleurs, il se vêtit et ouvrit la porte.
« Tu m'en demandes trop, Taehyung. »
À l'écho de ce murmure qui lui fit l'effet d'un coup de tonnerre assourdissant, Taehyung grimaça et ferma fortement les yeux, blessé et incompris.
À l'entente de la lourde porte d'entrée qui résonna comme un gong dans le silence, les lèvres de Taehyung tressaillirent. Il se laissa emporter par un flot de larmes silencieuses, libérant enfin la retenue qui les maintenait prisonnières.
T'es pas à ma place, Yoongi.
Tu peux pas comprendre.
☾
Au lever du jour, Taehyung déclina poliment la proposition de Jimin – « Jim, je t'ai dit hier que je ne veux pas que tu deviennes mon chauffeur personnel, je me débrouille » – et entreprit son chemin vers l'université avec une réticence presque palpable.
Mercredi était le jour de la semaine qu'il préférait. Seules trois petites heures de cours s'imposaient ce matin, lui offrant une liberté pour le reste de la journée. Mais il aurait préféré prolonger son sommeil, souffrant de la lancinante douleur qui irradiait depuis le bas de son dos. Il n'avait même pas de médicaments pour atténuer cette gêne, la supportant courageusement.
Dans ces moments-là, il forçait son corps à se lancer en mode automatique et Taehyung ne se permit aucune plainte.
Assumant simplement les conséquences de ses décisions.
Peut-être que tu t'infliges ça pour te punir ou juste parce que tu te complais dans ta misère.
Il secoua la tête, s'efforçant en vain de dissiper les mots de Yoongi qui résonnaient en lui depuis la veille. Ces mots qui ne cessaient de labourer son cœur. Pourtant, ils avaient déclenché en lui une marée de pensées, une introspection naissante sans être nécessairement explicite.
Il grinça des dents. Une angoisse sourde le poussait presque à fléchir. Il ne voulait pas y penser. Comment chasser l'ardeur de cette vague terrifiante ? Maudite soit cette fissure dans sa conscience qui perturbait le fragile équilibre qu'il avait édifié avec peine !
Tu sais pas non plus le mal que tu me fais, Yoongi, alors que tu me blesses sans la moindre considération juste pour soulager ta conscience.
Il secoua de nouveau la tête, étouffant un grognement irrité. Il ne pouvait pas se permettre de se laisser envahir par les cris de son âme. Jusque-là, il les avait ignorés pour ne pas succomber à la perdition terrifiante qui menaçait de l'engloutir. Il le savait. S'il cédait, il s'effondrerait définitivement.
Mais il aimait convoiter la douleur, c'était instinctif. Il ressentait cette proximité avec sa peine. Cette tentation de sombrer dans le désespoir. De se soumettre à la séduction de la douleur écrasante. De s'abandonner dans une valse intime avec la souffrance.
Pourtant, son âme lui hurlait de cesser. Elle lui criait désespérément l'urgence de s'en libérer. Hélas, il demeurait enchaîné à ses peurs. Il s'y accrochait avec ses canines, ses griffes. Il ne pouvait pas s'en détacher. Il angoissait tant à l'idée de faire face à la réalité de sa vie.
Au tournant qu'elle avait brusquement pris.
Son âme était telle une aube trouble qui demeurait éternellement sur le point de se lever. Perpétuellement suspendue entre l'ombre et la lumière. Son essence vibrante sur le seuil de l'éveil, hésitant à illuminer son monde de ses rayons éclatants, chassant ses ténèbres personnelles.
Parce que Taehyung le refusait.
Et parce que personne ne le comprenait. Yoongi ne le pouvait pas.
Alors en attendant cette âme qui avait connu la même profondeur de la douleur, du deuil, de la colère, de l'affliction, de l'abandon, de la trahison. De la haine envers soi. De la pire humiliation.
Il persistera dans son obstination à ignorer les ravages destructeurs qu'il s'infligeait.
Il lâcha une plainte étouffée, envahi par des pensées qui ne cessaient de s'enchevêtrer autour de Yoongi. Son âme criait de plus en plus fort à l'unisson de son cœur. Cœur qui le trahissait pour la première fois depuis trois années. Ils l'incitaient à saisir la main tendue et à rompre avec la vente de son corps. À briser la chaîne de la solitude qui le hantait.
Mais l'idée de quitter sa demeure lui était insupportable.
Elle représentait le précieux héritage de sa jeunesse épanouie, l'ultime vestige de son passé. En son sein, il se trouvait en sécurité, il se sentait chez lui. Abandonner ces murs chargés de souvenirs familiaux malgré la douleur et l'isolement croissants que cela engendrait lui semblait inconcevable.
Il ne voulait pas faire son deuil. Il craignait de les oublier.
Les murs séculaires du manoir l'oppressaient. Néanmoins, l'idée de s'en éloigner le laissait entrevoir les abîmes de la dépression.
Alors, à ses yeux, ce sacrifice en valait la peine. Au-delà de toute mesure.
En cette journée, la cité se drapait d'une opacité enveloppée par les larmes du ciel et les voiles nuageux. En sa fureur, le vent orchestrait cette scène en prenant les feuilles pour des danseurs fugaces, les faisant valser au gré de sa mélodie impétueuse. Les âmes errantes devaient lutter contre la morsure glaciale de cette journée d'apparence hivernale.
Taehyung franchit les portes du campus et fronça aussitôt les sourcils. Le couloir principal habituellement animé par l'effervescence des élèves et des enseignants s'étendait devant lui dans une solitude silencieuse.
Il sortit son portable. Huit heures quinze. Il était en retard.
Pris dans les filets de ses pensées, il n'avait pas perçu l'insidieuse course du temps.
Un tressaillement d'horreur le prit soudainement. Il avait totalement omis la menace d'un assassin qui le guettait. Il n'avait même pas pensé à scruter les alentours ni surveiller les recoins. Il avait totalement été happé par ses démons tenaces.
Dans un soupir tremblant, il fit glisser son manteau de ses épaules, puis il se dirigea vers son casier. Il sourit, son cœur s'allégea. Namjoon et Hoseok étaient adossés contre les rangées en train de bavarder bruyamment. Un petit rire désabusé s'échappa de ses lèvres. Ils étaient insouciants du vacarme qu'ils généraient à eux seuls, entre rires et éclats de voix.
Lorsqu'ils le virent, leurs visages s'illuminèrent comme des constellations dans la nuit. Un sourire immense se dessina sur leurs lèvres qu'il aurait pu rivaliser avec l'aurore naissante. Le jeune Kim se défit de ses gants, puis, avec une grâce infinie, il les rangea aux côtés de son manteau.
« Comment se porte le plus beau ? lança Hoseok en s'appuyant sur l'épaule de Taehyung avec son bras.
— Ça va, maintenant que je vous vois, plaisanta-t-il, les yeux pétillants de malice.
— Mais c'est qu'il drague ! railla Namjoon en lui ébouriffant les cheveux, arrachant un petit râle mécontent à Taehyung, malgré son sourire sincère, tandis que Hoseok ricanait.
— Pourquoi vous êtes pas en cours ? questionna Taehyung, les mains toujours dans son casier.
— Et toi, pourquoi t'es en retard ? rétorqua Hoseok.
— J'ai marché trop lentement, répondit-il honnêtement.
— Nous, on va rentrer à trente », ricana sombrement Namjoon en regardant sa montre.
Taehyung cessa ses mouvements, haussa un sourcil et regarda Namjoon.
« Trente-cinq ? proposa Hoseok.
— Trente-cinq », accepta-t-il, alors qu'ils se tapaient dans la main.
Venaient-ils de convenir d'une heure pour irriter leur professeure en se donnant un tope-là ? Taehyung secoua la tête de gauche à droite, amusé.
« Vous êtes adorablement puérils, les gars, dit Taehyung en reprenant son rangement.
— Je ne garde que le "adorablement", taquina Namjoon en lui faisant un clin d'œil, auquel Taehyung répondit avec un brin de séduction, les faisant glousser.
— Elle avait pas à nous humilier devant toute la classe. Et comme c'est une maniaque qui déteste pas continuer son cours sans que les retardataires aient écouté le début de son charabia, elle nous fera le plaisir de répéter, sourit diaboliquement Hoseok.
— Juste parce qu'elle vous dit que vos rires lui font penser à deux otaries ? rit Taehyung. Bon, j'avoue qu'elle y est allée un peu fort.
— Oui, elle a pas le droit ! Tu l'aimes pas non plus, elle essaye toujours de trouver un moyen de te contredire, alors que tu réponds juste, argua Hoseok.
— J'avoue, elle est chiante quand elle fait ça, concéda Taehyung. J'ai bien fait d'être en retard, susurra-t-il en esquissant un sourire mesquin.
— Tu sais que je t'adore, petit con ? lâcha Hoseok.
— Moi aussi, sale loustic », répondit Taehyung, avec un sourire espiègle, reconnaissant l'insolite tendresse cachée derrière l'insulte affectueuse.
Envolée sa mélancolie. La présence de ses amis lui apportait toujours réconfort et lumière. Ils étaient pour lui ses étoiles éclatantes dans la nuit sombre de son âme.
Dans un geste coordonné, ils haussèrent les sourcils de manière suggestive, le regard complice, puis échangèrent à leur tour un tope-là, ponctuant cet instant d'un gloussement diabolique, sous le regard amusé de Namjoon qui souriait à pleines dents, les mains sur les hanches, tel un père fier.
« D'ailleurs, Tae, y a un gars qui te lorgne depuis tout à l'heure, fit remarquer Namjoon en mettant soudainement fin à leur échange. Celui avec la casquette, là-bas », indiqua-t-il du menton.
D'emblée, Taehyung perdit son sourire, surpris et troublé. Son esprit lia les mots gars et casquette d'une manière mystique et intrigante. Il se retourna promptement vers la direction qu'avait montrée Namjoon.
Et ses prédictions furent exactes.
Cette parenthèse de frivolité avec ses amis était désormais terminée.
Il était là, l'observant dans la lumière du couloir. Entièrement drapé de noir, sa capuche dissimulant une partie de sa casquette, le blond évoquait à la fois une proximité lointaine et une étrangeté familière. Assombri par l'ombre de la casquette, son regard perpétuellement froid happait celui de Taehyung, l'entraînant dans l'abîme de son expression imperturbable.
C'était comme si, en silence, il orchestrait son anéantissement.
Il frémit. L'angoisse ressentie cette nuit en la présence du blond resurgit. Il eut l'impression qu'une bourrasque glaciale le traversait.
Observateurs silencieux, ses amis échangèrent un regard préoccupé. Ils sursautèrent lorsque, d'un mouvement brusque, le ténébreux se tourna face à son casier et empoigna vivement ses livres pour la prochaine leçon qui les attendait.
« Putain... grinça-t-il, avant de brusquement refermer son casier dans un écho assourdissant, laissant ses amis stupéfaits.
— Attends, il me dit quelque chose », fit remarquer Hoseok alors qu'ils marchaient tous les trois vers l'amphithéâtre.
Taehyung maintint son regard rivé sur le blond. Il refusait de le quitter des yeux, comme s'il était une étoile dans le ciel nocturne qui exigeait toute son attention. Il préférait rester vigilant, craignant qu'à tout moment, il puisse se risquer à une action inattendue ou blesser ses amis.
À cette réflexion, il se figea net, attirant l'attention de Namjoon et Hoseok qui suspendirent également leurs mouvements.
« Qu'est-ce qu'il y a ? s'enquit Namjoon, étonné de le voir aussi agacé.
— Allez en cours, je vous rejoins, dit Taehyung d'une voix plus basse et grave.
— Tu vas où ? demanda Namjoon.
— Aux toilettes, je fais vite, lâcha-t-il d'une traite, s'y dirigeant déjà.
— Oh, putain, je crois que c'est le gars de l'autre fois, Tae, objecta Hoseok, alerte.
— T'inquiète.
— T'inquiète ? répéta Hoseok en bondissant vers lui. Tu as oublié sa violence ? Il a battu monsieur Kang à sang !
— J'ai pas oublié, dit-il en stoppant sa marche. Il veut me parler, je crois. Et je compte bien lui cracher à la gueule, répliqua-t-il, le ton acerbe, alors que son cœur s'emballait, cognant à tout va contre sa poitrine.
— Mais, Tae...
— T'inquiète, Nam », le coupa-t-il.
Son ton ne laissait place à aucune protestation, pourtant, Hoseok saisit son bras, l'obligeant à se tourner alors que Taehyung avait de nouveau entamé sa marche décidée.
« Tu m'expliques pourquoi tu y vas ? questionna sérieusement Hoseok, les sourcils froncés et la mine grave.
— Parce qu'il me casse les couilles, répondit-il sans lâcher l'intrus de ses yeux impétueux.
— Ça répond pas à ma question ! s'impatienta-t-il. Imagine qu'il t'attire pour s'en prendre à toi, et tu y vas de ton propre chef ? débita-t-il, habité par la crainte.
— Il a raison, on vient avec toi au cas où, ajouta Namjoon, jetant de temps à autre des regards inquiets vers le blond.
— Non, allez en cours. Et dites à Jimin que si je ne suis pas revenu dans vingt minutes, qu'il vienne aux toilettes de cet étage. Et seul, ajouta-t-il avec un regard grave, fixant intensément leurs yeux pour souligner le sérieux de sa demande.
— Pourquoi Jimin ? s'enquit Namjoon, confus.
— Tu sais tout comme moi qu'il saura quoi faire. »
Ces mots suffirent à les persuader, même si Hoseok demeurait indécis et que Namjoon était incertain, leur préoccupation étant que le pire advienne à Taehyung.
« On les suit ? chuchota Hoseok sans quitter Taehyung et le blond des yeux.
— Surtout pas », lâcha-t-il d'un ton péremptoire.
Hoseok fronça les sourcils, son attention à présent rivée sur Namjoon.
Son cœur manqua un battement en voyant l'expression la plus sombre qu'il ait rarement vue sur lui au cours des trois dernières années.
☾
Fidèle à lui-même, le blond le fixait des yeux tout en restant immobile. Le regard courroucé de Taehyung se posa sur lui avant de franchir la porte des vestiaires.
Tandis qu'il mâchait son chewing-gum avec nonchalance, Jungkook esquissa un sourire fugace, à peine plus grand qu'un souffle, et emboîta le pas du ténébreux en pénétrant à son tour dans cet espace.
« Putain, mais vous me voulez quoi, au juste ? », s'écria Taehyung dès l'instant où Jungkook franchit l'entrée des vestiaires.
En avisant ses yeux étincelants d'un feu intense, le blond haussa un sourcil dédaigneux tout en mâchonnant la bouche fermée, faisant tressauter les muscles de ses joues creuses à chaque mastication. De sa main tatouée, il abaissa nonchalamment sa capuche, laissant apparaître le reste de sa casquette. Les néons projetaient leur éclat sur le bas de son visage, tandis qu'ils tissaient paradoxalement un voile d'ombre devant ses yeux.
Puis, dans un mouvement lent, il releva légèrement le bas de son sweat. Un scintillement attira aussitôt les yeux de Taehyung sur ce qui fut dévoilé sous ses yeux.
Un pistolet.
« Ne crie pas. »
Son ton était calme et ferme, mais ses yeux véhiculaient subtilement un avertissement latent.
Écrasé par son aura meurtrière, Taehyung retint son souffle avec une angoisse palpable tout en restant dans l'attente de ses futures paroles.
« Hausse encore une fois la voix, et je te réduis à néant », articula-t-il calmement, insistant sur les derniers mots avant de faire éclater une bulle avec désinvolture.
Plus que la peur, Taehyung sentit une colère bouillir dans ses veines. Les sourcils froncés et la mine courroucée, il entama un pas en arrière, cherchant à se libérer de l'emprise de sa lourde présence. Comment pouvait-il évoquer le meurtre avec une aisance déconcertante comme s'il parlait du quotidien le plus anodin ?
Soudain, une ribambelle d'étudiants pénétra les latrines en même temps que Jungkook fit un pas en avant. Il se retira pour leur ouvrir le chemin, s'approchant ainsi de Taehyung qui recula instinctivement, pressant le dos contre le carrelage froid. Bien que son visage tentât de mimer une assurance, son corps désobéissait à son contrôle.
Les étudiants accomplirent leur tâche avec insouciance, échangeant des mots et des rires, ignorant les deux jeunes hommes qui se regardaient en chiens de faïence, leurs yeux s'entremêlant tels deux serpents dans une danse hypnotique, prêts à se dévorer à la moindre provocation.
Chacun attendait que l'autre brise le silence pesant qui les enveloppait.
Après un laps de temps suspendu, le ténébreux laissa enfin naître les mots depuis ses lèvres, bravant le regard acéré du blond qui le scrutait avec une attention insondable.
« Répondez, murmura-t-il afin de ne pas se faire entendre. Qu'est-ce que vous me voulez ? »
Jungkook leva un sourcil, semblant le narguer. L'agacement s'ajouta aux émois de Taehyung. Pourquoi éprouvait-il fréquemment cette sensation d'être rabaissé par ce simple geste ?
Jungkook entama un pas en avant et Taehyung se retint de hoqueter, ressentant une tumultueuse tempête intérieure. Il se savait piégé contre un mur et que l'évasion était un rêve lointain si l'intrus optait pour une conclusion funeste. Cependant, un calme précaire se glissa en lui lorsqu'il constata que le blond s'était arrêté à une distance prudente, bien que suffisamment proche pour qu'un geste puisse lui être fatal. Comme si d'un simple mouvement de bras, il pouvait le transpercer d'une arme blanche.
Taehyung eut soudain une révélation, se disant qu'il était bien insensé d'ôter la vie d'autrui dans un lieu public. En cet instant, la panique céda la place à une inquiétude à peine maîtrisée.
« Pourquoi vous avez tué monsieur Choi ?
— Ta ténacité m'étonne, ricana-t-il de sa voix basse et caverneuse, le visage fermé.
— Parce que vous me répondez pas ! grinça-t-il entre ses dents.
— Si j'étais à ta place, je serais peut-être moins avide de questions, conclut-il, laissant planer le sous-entendu de dangers potentiels.
— Mais vous l'avez tué sous mes yeux ! », s'exclama Taehyung, saisi d'effroi devant la maîtrise démontrée par l'assassin.
Une tranquillité impressionnante qui lui glaçait le sang.
L'expression de Jungkook se durcit davantage, ses sourcils partiellement dissimulés sous sa casquette se froncèrent. Il se précipita vers Taehyung pour le saisir par les épaules, l'acculant fermement contre le mur. Ignorant son cri de protestation et ses ongles griffant sa peau, Jungkook le bâillonna d'une main puissante, éraflant presque sa peau de ses bagues, entravant ainsi son souffle.
Il se pencha, son souffle mentholé échouant sur le visage de Taehyung qui, figé par la stupeur, ne pouvait guère le repousser. Le plus jeune discerna dans ses yeux une lueur d'irritation. Il ferma brièvement les paupières, se blâmant pour son impulsivité, avant de les rouvrir et se perdre immédiatement dans les profondeurs noires chatoyant d'agacement.
« Je t'ai dit de garder ça pour toi. Si quelqu'un dans cette foutue université découvrait ma véritable identité, ça pourrait avoir des conséquences regrettables pour toi. Ai-je été suffisamment clair ou tu prends le risque de m'énerver si je me répète ? »
Sa voix évoquait un écho lointain, comme si elle venait d'outre-tombe. Il n'avait pas élevé la voix, mais Taehyung aurait presque souhaité qu'il le fasse tant il était pétrifié par la peur. Son ton vibrant de promesses funestes instillait en lui une vive angoisse.
Ressentant sa respiration faiblir, il inspira et se démena pour saisir la main du blond, souhaitant se libérer de sa poigne implacable. À l'entente du cliquetis du loquet, le blond relâcha aussitôt sa prise, lui permettant de reprendre son souffle, ses poumons avides d'air et les yeux écarquillés. Les étudiants émergèrent des cabines, passèrent près d'eux et se lavèrent les mains sans se douter de l'altercation silencieuse entre eux.
Dès l'instant où ils sortirent sans le moindre regard, Taehyung pesta.
« Enfoiré... siffla-t-il en frémissant tout en le défiant du regard. Je suis en droit de poser des questions ! Mettez-vous à ma place deux minutes ! Vous savez pas ce que je traverse !
— Est-ce parce que tu te sens à l'abri ici que tu dévoiles tes griffes ? lança Jungkook d'un ton à la fois moqueur et froid.
— Est-ce que vous vous rendez seulement compte de ce que vous m'infligez ? », murmura Taehyung, toute colère s'évanouissant pour laisser place à une souffrance indescriptible.
Jungkook arqua un sourcil tout en éclatant une seconde bulle, son attention toujours captivée par le plus jeune. Il l'intriguait par sa hargne et son désir d'obtenir des réponses, peu importait en présence de qui il se tenait.
« Vous avez l'air d'avoir la gâchette facile, vous rôdez autour de moi et je sais même pas pourquoi vous semblez me porter un quelconque intérêt. Et vous vous amusez à me menacer de m... »
Il s'interrompit lorsqu'un sourire en coin naquit chez le blond.
« Ça vous fait rire ? grinça-t-il, irrité.
— Ta bravoure dépasse mes attentes, murmura-t-il pour lui-même sans le quitter de ses yeux calculateurs et sournois.
— Vous m'écoutez pas... dit Taehyung avec un soupir teinté d'amertume. Vous savez quoi, si vous avez une mission ou que sais-je, qu'on en finisse. Je ne peux pas supporter cette pression constante, dit-il la voix basse et les yeux colériques se perdant dans la contemplation de ses chaussures.
— Ah, mais voilà que tu rends déjà les armes ? », persifla-t-il, tout de même perplexe face à ce brusque changement de ton.
Était-ce là une tromperie ?
« Je suis fatigué, j'en ai marre de me battre sans arrêt. »
La voix du plus jeune n'était qu'un chuchotement résigné, détonnant avec sa combativité d'il y a quelques secondes.
« Au moins je connaîtrais enfin la paix », ajouta-t-il sans relever le visage.
Jungkook fronça les sourcils. Son intérêt pour ce Kim ne cessait de croître. Il se blâma d'être aussi concerné par lui dont la détresse le surprenait. Il serra les dents, se trouvant momentanément dépourvu de mots.
« La paix ? s'enquit Jungkook d'une voix lasse.
— Celle où on ne ressent plus rien. »
La mort.
Jungkook lâcha un souffle amusé.
« Cesse ta comédie », dit Jungkook d'un ton désinvolte, ignorant le trouble en lui.
Taehyung esquissa un faible sourire amer.
« Vous ne savez pas ce que je vis au quotidien. Il m'arrive de vouloir en finir », dit Taehyung tout en rencontrant le regard du blond, exprimant une tristesse infinie et une profonde solitude dans ses yeux légèrement embués.
Il le laissa plonger dans la fenêtre de son âme exposée.
Vois la vérité.
Heurté, Jungkook eut un discret mouvement de recul de la tête. Il contracta sa mâchoire avec une fermeté telle que ses dents grincèrent. Ce qu'il découvrit dans les yeux du jeune Kim...
Il se voyait en lui.
Ils partageaient quelques similitudes.
Une curiosité s'éveilla en Jungkook, l'incitant à chercher une réponse. Il avança d'un pas, son corps agissant à sa guise. Le blond l'étudia, un vif intérêt incendiant son cœur lorsque Taehyung ne cilla ni ne recula.
Comme s'il avait baissé les bras.
Pourtant, ses yeux irradiaient toujours avec ce désir de comprendre, malgré la peur toujours présente, mais atténuée.
Ses perles d'onyx glissaient librement sur le visage du jeune Kim. Sa peau satinée brillait légèrement, une fine couche de sueur la recouvrant. Son souffle était à peine plus rapide, comme si son appréhension restait constante.
Il plongea dans ses gouffres profonds, dans ces pupilles dilatées par ses émois, contemplant des iris légèrement plus clairs, chocolatés.
Il est complètement accablé.
Puis, il recula d'un pas pour une vue d'ensemble. Mâchant distraitement, son regard se fit plus acéré.
Kim Taehyung.
Dénué de toute trace de vilenie. Dépourvu de malfaisance. Exempt de toute folie.
Cette folie caractéristique de sa lignée délétère. Nuisible.
Jungkook passa lentement sa langue contre l'intérieur de sa lèvre.
Et si ce gamin se révèle un bon comédien ? Après tout... il reste un Kim.
« Pourquoi vous me regardez comme ça ? », cracha Taehyung, abhorrant la manière scrutatrice et intense avec laquelle il était examiné.
Jungkook réprima un froncement de sourcils.
Le voilà qu'il retrouve sa vigueur ?
« Je les cherche en toi. »
Sa voix était sortie comme le sifflement d'un serpent, faisant bondir le cœur de Taehyung face à autant de dédain.
« Mais de qui vous parlez ? », implora-t-il, irrité, joignant les gestes de sa main à sa parole.
Les lèvres de Jungkook se relevèrent en une forme de méprise, bien que ses yeux demeuraient légèrement plus fébriles, comme s'il aspirait toujours à une réponse sur le visage du ténébreux.
« À ton avis ? », grinça-t-il.
Il voulait le tester. Savoir si cette détresse était réelle. Il était attentif au moindre signe lui révélant que ce jeune homme était en réalité aussi fourbe et manipulateur qu'eux.
S'il était susceptible de l'embobiner avec ces grandes prunelles envoûtantes, aussi pures que celles de cette femme.
S'il était capable de lui planter un couteau dans le dos en gagnant sa confiance, comme l'ami, le frère qu'il avait cru avoir.
S'il était doué de cruauté comme cette figure qu'il avait profondément respectée.
« Vous vous foutez de moi ? »
Jungkook le vit s'approcher d'un pas, indigné et courroucé, comme s'il voulait mieux se faire entendre.
J'ai beau avoir passé des semaines à étudier sa vie jusqu'à l'apprendre sur le bout des doigts, je ne connais pas ce gamin.
« Vous détournez la question ! »
Je n'ai pas pu le connaître davantage.
« Je ne crois pas que notre rencontre la nuit du meurtre soit un hasard ! »
Je n'ai pas pu le voir attendre ses quatre ans.
« Vous venez ici à deux reprises, mais vous faites rien ! »
Jungkook fixa ses yeux agités par le mécontentement. Il l'implorait.
Les derniers souvenirs que j'ai de lui sont son visage radieux et innocent, ses yeux étincelant d'admiration et sa voix d'enfant.
« À part me menacer ou parler d'un passé où je connais que des bribes ! Et encore ! »
Juste avant que je sois...
« Répondez-moi, putain ! », cria Taehyung, si frustré qu'il fut à deux doigts de pousser le blond de toutes ses maigres forces pour qu'il réagisse enfin.
Silencieux, Jungkook releva le même pan de son sweat, et Taehyung se figea. L'accroc qu'eut sa respiration se répercuta contre les murs des vestiaires, alors qu'il scrutait le pistolet rutilant sous les néons.
Je dois cesser de réfléchir. Le passé n'a pas sa place dans mon plan.
Taehyung mordit l'intérieur de sa joue afin de réfréner son cri de rage.
« ...Vous êtes un malade », cracha-t-il en le toisant, la voix frémissante de colère.
Jungkook répondit par un rictus méprisant, tandis qu'il baissait à nouveau le pan.
« Tu parles beaucoup », lâcha-t-il d'un ton las.
Je vais devoir le redresser.
Ahuri, Taehyung cacha son visage dans sa main et lâcha un bref rire incrédule, nerveux et éreinté.
« Je vais devenir fou...
— C'est bien ce qui t'attend, c'est inscrit dans tes gênes, dit-il, la tessiture vibrante de dédain.
— ...Pardon ? s'offusqua-t-il en relevant la tête.
— Tu es sourd ? », s'amusa Jungkook, son visage arborant une expression ferme tandis que ses yeux étincelaient de provocation.
Taehyung serra les poings tandis qu'il lâchait un souffle courroucé.
« Écoutez, que vous ayez un putain de pistolet sur vous ne me dissuade pas d'exiger des réponses. Je suis en droit de savoir pourquoi dès notre rencontre, vous me parlez de ressemblance avec je sais pas qui ! Donc ne me dites pas que je parle trop, c'est vous qui ne dites rien ! »
Les lèvres de Jungkook tressaillirent.
Intéressant.
« Vous me poussez à l'évoquer alors que je suis encore en deuil, cracha-t-il, les yeux larmoyants de colère. Mais la seule personne à laquelle je ressemble énormément est ma mère, et je suis le mieux placé pour vous dire qu'elle ne vous aurait jamais fait du m...
— Tais-toi. »
Taehyung se tut aussitôt, frappé par la voix qui claqua dans l'air comme un fouet vivement abattu sur sa chair.
Jungkook demeura immobile, la mâchoire crispée, les poings serrés de part et d'autre de son corps.
Le cœur battant, le plus jeune étudiait ses traits, cherchant un semblant de réponse dans cette expression presque scandalisée. Il baissa les yeux. Les poings du blond frémissaient. Taehyung leva la tête dès l'instant où Jungkook les dissimula sur-le-champ dans les poches de son sweat.
Taehyung était perplexe, sa curiosité piquée au vif.
Pourquoi cette réaction dès que j'ai évoqué maman ?
« Vous avez connu ma m...
—C'est ce que tu veux réellement ? », s'informa Jungkook en le coupant aussitôt, sa voix basse et son timbre aussi froid que le plus aride des hivers, manifestant ainsi son désir d'éluder le sujet.
Taehyung fronça les sourcils, décontenancé par la soudaineté d'une pareille question, oubliant la sienne.
« De quoi vous parlez ? s'enquit-il, confus.
— Mourir. »
Taehyung écarquilla les yeux et ouvrit la bouche sur un silence, oscillant entre l'ombre d'une menace réelle et la lumière d'un retour au sujet précédent.
Bien sûr que non.
Jungkook plongea dans les profondeurs de ces yeux presque mordorés et embués par l'émotion, capturant avec aisance le doute, la souffrance, l'incompréhension.
Il est complètement perdu.
Surtout une lueur de colère, une pointe de trahison, une solitude désespérée.
Si seul.
Et une inextinguible détermination à vivre.
Il reste pourtant fort.
Jungkook les perçut prestement parce qu'elles faisaient écho aux siennes, comme autant de notes en résonance avec son âme. Il fronça les sourcils et prit une profonde inspiration avant de reculer d'un pas. Son visage ne pouvait plus cacher l'émotion qui l'envahissait, frappé par les tourments qui semblaient habiter ce Kim à peine sorti de l'adolescence.
Il se reconnaissait en lui.
Il observa avec une clarté manifeste que le plus jeune parvint à décrypter ses pensées dans le reflet de ses yeux. Malgré une colère évidente, une légère lueur de tristesse se dessinait sur son portrait hâlé, mêlant à la fois peine et curiosité.
Taehyung était animé par un désir de déchiffrer ce blond. Il ignorait totalement qu'il faisait face à l'assassin professionnel le plus réputé et recherché du pays, capable de lui ôter la vie dans un silence absolu sans laisser la moindre trace de son identité.
Face à ce regard vibrant d'intérêt, Jungkook éprouva une intense frustration envers lui-même. Il n'aimait pas ce que sa propre âme exprimait.
Je ne dois plus tomber dans le piège perfide des Kim.
Plus jamais.
Il fit un troisième pas en arrière, prêt à se retirer, à fuir son œillade scrutatrice.
Les choses n'auraient jamais dû se dérouler de cette manière.
« Donnez-moi votre nom », exigea Taehyung.
En réponse, le blond lui offrit un regard condescendant. Un avertissement silencieux. Face à ses yeux intenses, Taehyung eut presque envie de se recroqueviller sur lui-même.
« Taehyung ! »
Il sursauta, puis regarda la porte derrière le blond.
Jimin !
Il n'eut guère le temps de réagir que Jungkook le défia silencieusement de s'exprimer sur ce qu'ils venaient d'échanger dans la profonde accalmie qui les enveloppait.
Après un dernier regard vibrant de colère, le plus âgé tourna rapidement les talons et se dirigea vers une porte verrouillée. D'un coup de pied violent et habile, il détruisit la poignée et ouvrit promptement le débarras.
« Tu n'as rien à exiger de moi. Reste à ta place. »
Ces mots étaient porteurs d'un mépris si profond qu'il semblait sculpté dans l'ombre de la douleur. Taehyung éprouva une sensation d'accablement, comme si son existence n'était qu'une insignifiante poussière dans l'univers.
Après un dernier regard, Jungkook disparut dans un souffle.
S'enfuyant, la rage au ventre.
La pièce paraissait soudainement plus étroite, chaque mot résonnant comme un écho tranchant dans l'esprit de Taehyung en même temps que le fracas que faisait le blond dans le débarras, avant que le silence regagne les vestiaires.
Reste à ta place.
Les yeux perdus dans le vague, ses pensées s'étaient figées comme des papillons pris au piège d'une toile invisible d'ordres et d'humiliation.
Comme lorsqu'il se trouvait au bar.
On l'enjoignait souvent de rester à sa place, de se taire, d'incarner la poupée conforme à leurs désirs.
La porte des vestiaires s'ouvrit à la volée.
« Il est où ? », s'insurgea Jimin, paniqué, les prunelles écarquillées et le souffle court.
Taehyung ne sursauta guère. Il demeura immobile, muet, l'attention concentrée sur cette porte du débarras dont il n'avait jamais prêté intérêt jusqu'à présent. Son cœur n'avait cessé de défier les lois de la vitesse.
« Tae ! Ça va ? Il t'a rien fait ? Qu'est-ce qu'il t'a dit ? », articula Jimin en posant doucement ses mains sur ses joues humides, étudiant ses traits.
Jimin suivit son regard et fronça les sourcils. Il comprit lorsqu'il vit la poignée brisée gire au sol et la porte grande ouverte sur des outils, des équipements de nettoyage et des fournitures de réparation.
« Quel lâche », cracha Jimin, les dents serrées et la mine sombre.
Taehyung se laissa lentement glisser contre le mur. Son mutisme hurlait la détresse qu'il tentait en vain de dissimuler. Silencieux, Jimin s'accroupit et le blottit dans ses bras. Malgré l'étreinte chaleureuse, Taehyung se sentit comme un naufragé abandonné dans les rives inhospitalières d'un océan de solitude, ses repères ébranlés, sa confiance ébréchée, face à des paroles qui le blessaient plus cruellement que des lames de fer.
Que je reste à ma place ? Vous voulez dire un garçon humilié plus bas que terre ?
Il rit discrètement, un ricanement amer dénué de toute douceur, préoccupant Jimin qui ne cessait de se demander ce qui avait bien pu se passer pour que Taehyung finisse dans un tel état.
Anéanti.
« Tae, raconte-moi, murmura-t-il contre ses cheveux. Tu m'inquiètes. »
Outre la blessure faite à son cœur, la panique s'insinuait lentement dans l'esprit de Taehyung lorsqu'il le revit dans son esprit.
Ce regard.
Ce regard indécis qu'il lui avait lancé avant de l'humilier...
𝑆𝑜𝑛 𝑓𝑟𝑒̀𝑟𝑒 𝑎𝑣𝑎𝑖𝑡 𝑒𝑢 𝑙𝑒 𝑚𝑒̂𝑚𝑒.
𝐸𝑥𝑎𝑐𝑡𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑙𝑒 𝑚𝑒̂𝑚𝑒.
𝐴̀ 𝑠𝑢𝑖𝑣𝑟𝑒...
Alors, ce chap ? 🌝
J'ai revu l'ennemies to lovers, il va durer plus longtemps, héhé
*KNPA : Korean National Police Agency. Équivalent du FBI aux États-Unis qui est responsable de l'application de la loi fédérale (aux États-Unis, hein) et de la conduite d'enquêtes sur les crimes graves à l'échelle nationale et parfois internationale. Donc la KNPA fait pareil.
* Interpol : YG a fait partie de cette organisation internationale qui lui a permis de s'impliquer dans la collaboration entre la Corée du Sud et le Koweït pour une mission engageant un groupe dangereux coréen à Jabriya.
* Japchae : nouilles de patate douce, viande de bœuf, légumes sautés, œufs, sauce soja.
* Samgyeopsal : poitrine de porc tranchée, ail, oignon, sel, huile.
𝑾𝒊𝒕𝒉 𝑳𝒐𝒗𝒆, 𝑫𝒂𝒓𝒌 𝑬𝒚𝒆𝒍𝒆𝒕 🖤
Ancien NDA (on s'en fout, ils ne valent plus rien, mais je les garderai tous pour vos commentaires)
Eh ben, ce JK... Effrayant ? 🌚
Qu'est-ce qu'il va faire de Tae ? Tu as déjà des suppositions ? 🤭
La réponse sera au prochain chap ; tout va basculer... 🌚
Jusque-là, je n'ai fait que poser le décor, les prochains chapitres vont être centrés sur le vif du sujet.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro