𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟐𝟗
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Conseil de l'auteure : pour être immergé dans cette atmosphère une fois de plus très particulière de ce chapitre, je vous recommande de le lire avec la chanson ajoutée juste au-dessus. On se retrouve en bas, as always ! Bonne et agréable lecture, sweethearts ! ❤️
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Son attention toute concentrée sur ses coups de crayon experts, Jeongguk faisait le vide tout en laissant libre cours à son imagination face à son calepin de dessins, assis en tailleur dans son canapé. Il venait de s'octroyer une pause après une heure et demi de révision interminable, ponctuée par de nombreuses dates, de noms de personnalités inconnues au bataillon et de traités en tout genre. Vraiment, les cours de Civilisation le révulsaient tout autant que sa propre personne le dégoûtait depuis plusieurs jours.
Le jeune homme se sentait à cran, ces derniers temps. Les moments de sérénité se faisaient plutôt rares et cette coupure dans ses révisions qu'il venait de s'autoriser en faisait partie. Renouer avec le dessin, loisir qui le passionnait durant son adolescence, lui permettait de ne plus penser à rien et de mettre temporairement en arrêt ses tracas. Son poignet fracturé bougeait lentement contre la feuille de papier maculée de gris, un visage prenant peu à peu forme dessus. Gguk veillait à ne pas brusquer ses gestes. On lui avait déconseillé d'avoir recours à sa main droite le temps que l'os se ressoude. Sauf que celui-ci trouvait l'attente trop longue et, têtu comme il était, il avait choisi d'aller à l'encontre des recommandations de son médecin tout en faisant attention à ne pas empirer sa blessure. Non, il ne pouvait pas rester là à ne rien faire, à se contenter de contempler les murs de son appartement.
L'étudiant avait besoin d'une activité qui calmerait l'ardeur de ses émois qui devenait de plus en plus indomptable. Encore très marqué par les récents événements le mêlant à Taehyung, Jeongguk ressentait un manque étrange, difficilement contenable, qui le rongeait de l'intérieur. La sensation était indescriptible. Ce même manque le rendait irritable pour tout et rien à la fois. Une pression imaginaire reposait sur lui pour une raison inconnue. Elle était différente de cette tension à laquelle il s'était accoutumé et avait associé à de la culpabilité. Un manque à combler ? Un sentiment de ras-le-bol général ? Il ne savait point ce que cela était exactement, mais il espérait que cette sensation ô combien étrange s'en irait.
Treize heures gronda depuis sa grande télévision lui faisant face, inscrite en lettres géantes dessus et une musique imposante pour fond sonore. Le jeune homme délaissa quelques instants sa nouvelle œuvre d'art, le temps d'écouter les dernières nouvelles que le journal télévisé avait à annoncer. Une présentatrice au brushing parfait et à la tenue soignée fit irruption sur son écran. Les gros titres du jour défilèrent, puis l'information qu'appréhendait le plus l'étudiant arriva. Cela faisait plusieurs journées qu'un autre garçon avait disparu et les forces de l'ordre n'avaient toujours pas retrouvé sa trace. Un dénommé Eden Sanchez, tout juste âgé de dix-huit ans et originaire de la ville de La Madeleine. Tout ce que l'on savait de lui était que le soir même de sa disparition, il comptait se rendre au Magazine Club, comme chaque weekend. C'était dans cette discothèque que l'on avait également aperçu pour la dernière fois Adam Czajka quelques semaines plus tôt, avant que son cadavre ne soit retrouvé dans un état trop déplorable pour pouvoir être dépeint. Jeongguk retint son souffle à la vue de ces rues où étaient placardées des avis de recherche et des mines peinées de ses proches réclamant son retour. C'était tout aussi terrorisant que d'ouïr cet affreux jingle et de voir défiler ce fameux panneau rouge sanguinolent où était rédigé « Alerte Enlèvement ». Il avait de la peine pour ces familles et amis qui cherchaient corps et âme des explications à la soudaine disparition de la victime présumée, quand une affaire similaire secouait les populations. Encore plus lorsque la réponse à leurs interrogations se trouvait noyée, blessée au point de plus pouvoir ouvrir les yeux, sous l'eau salie de ce canal qui n'avait fait que de trop grands bruits pour des faits divers macabres et non pour la sérénité qu'inspirait ses flancs de verdure.
Son crayon manqua de lui glisser des mains. Le monde était en train de courir à sa perte. L'incertitude guidait, la méfiance divisait et rendait paranoïaque le plus sain des esprits, la violence grimpait et l'humain se perdait au profit de ces émotions corruptrices. De l'insécurité : voilà ce qu'il restait de ce cocktail molotov émotionnel qui pourfendait l'âme des plus justes et attisait celles dévorées par le vice. Gguk se sentit extrêmement démuni sur l'instant face aux nombreux travers de cette planète qui se désagrégeait de fil en aiguille, aux multiples failles du système sociétal et ne put s'empêcher d'avoir une pensée à l'égard de ses proches, même envers Seokjin et Tae avec qui les temps se faisaient plus rudes. Toutes ces bad vibes le pesaient et à la simple pensée de son ami et « ex » petit ami – le désigner désormais ainsi le tuait de l'intérieur et pourtant il devait s'y habituer – la tension quotidienne qu'il ressentait ces derniers jours se renforça. Cette situation le pesait et il souhaitait de tout son cœur que cette soirée avec Jimin l'aiderait à souffler un peu, à faire taire durant quelques heures ses émois. Un bref regard lancé en direction de sa fenêtre et il expira bruyamment, se laissant ensuite distraire par un avion qui traversait pile au même moment l'infini azuré.
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— Voilà, bon appétit à vous !
Le serveur s'éclipsa après avoir déposé sur deux bols de ramens fumants sur la table réservée des deux meilleurs amis. Jimin avait bien fait de réserver à l'avance dans ce petit restaurant où l'on servait des mets japonais faits maison. L'espace était complet et le gérant de l'établissement, qui n'était jamais très loin pour aider ses collègues, faisait parfois quelques déçus qui désiraient manger entre leurs murs, faute de place. Il était passé dix-neuf heures et comme toujours quand les journées se prolongeaient à l'approche de l'été, les gens en profitaient pour étendre leurs balades et donc improviser une bouffe de dernière minute.
Alors que Santé de Stromae rythmait le lieu, Jeongguk et Jimin attaquèrent leurs plats, baguettes en main, deux bouteilles de bière japonaise posées non-loin d'eux. Le plus jeune était aux anges et ses papilles frétillaient d'avance. L'environnement lui plaisait énormément. Il était chaleureux, moderne, très lumineux et des lianes de lierre serpentaient de-ci de-là les murs et les lampadaires incrustés au plafond ; ce qui donnait un côté original à ce restaurant. Lorsque Gguk prit une première bouchée de son repas, ses yeux roulèrent de satisfaction et il manqua de jurer alors que sa bouche était pleine. En quelques secondes, il venait de voyager jusqu'au pays du soleil levant. C'était bon, extrêmement délicieux et dans sa tête, Aoyama venait de s'être positionnée en numéro un dans la liste des meilleurs restaurants dans lequel il avait pu se rendre.
— Alors ? demanda le danseur, un petit sourire aux lèvres.
— Je suis une âme conquise. Le lieu est très agréable et la nourriture est extra !
— Je t'avais prévenu que tu adorerais !
— On y retourne quand ?
Jimin s'esclaffa de rire à la question du noir de jais. Celui-ci avait en effet déjà hâte d'y retourner le plus tôt possible.
— Quand t'auras passé tes exams de rattrapage.
Jeongguk ne se retint pas et soupira fort. Manger dans ce chouette petit resto' après les rattrapages lui paraissait si lointain... Est-ce qu'il survivrait d'ici-là ?
— Tire pas cette tête, Gguk. Ça fait des jours que tu fais que ça, de réviser. Ça va le faire, t'as toujours réussi à t'en sortir dans tes études et je vois pas comment tu pourrais échouer cette fois-ci.
— C'est plus dur de gérer toutes les révisions seul... Il y a certaines matières où je m'en sors, mais d'autres...
Ah que ça faisait tout drôle sans l'aide précieuse de Seokjin. L'ébène l'avait bien pressenti ces derniers jours. Il ne pouvait compter que sur lui-même et au vu de ses compétences qu'il jugeait pas terribles pour ces cours-là, il se disait que c'était perdu d'avance et pouvait dire bye bye au passage en troisième année ; bonjour au redoublement. Il n'y avait pourtant rien de mal à recommencer son année scolaire mais l'étudiant n'était pas de cet avis-là. Redoubler était pour lui la pire chose qui puisse arriver dans ses études qui avaient toujours été sans encombre jusqu'à l'arrivée fracassante de Taehyung dans sa vie. Cet énième constat, qui était toujours le même d'ailleurs, ne le fit que confirmer ce qu'il se disait déjà depuis au moins trois mois : il avait salement merdé sur tous les points.
— C'est pas pareil sans l'aide précieuse de Jin... avoua Jeongguk à voix basse.
— Vous ne vous reparlez toujours pas ?
— Nan... J'aimerais beaucoup que l'on discute à propos de notre dispute mais je me sens toujours aussi contrarié par les propos qu'il a tenu envers Taehyung. Il a fait des erreurs, c'est vrai. Mais Jin n'a aucun droit de le juger de la sorte, surtout qu'il ne connaît rien de son passé.
S'attaquer à lui, c'est directement faire du mal à moi. Et je ne tolère pas ça.
— J'te comprends, répondit Jimin tout en délaissant ses baguettes et prenant en main sa bière. Je pense que ses paroles ont dû dépasser sa pensée. Comme tu le sais, je lui ai confié des choses à propos de la relation que j'entretenais avec Tae à l'époque sans trop en dévoiler non plus. Je crois qu'il a dû s'imaginer des scénarios à partir de ce que je lui ai dit et tu sais à quel point il peut vite s'inquiéter...
— Hmm...
Depuis le jour de leur engueulade, Gguk ruminait. Quand l'image de Jin apparaissait dans sa tête, des remarques acerbes y fusaient. Il était catégorique sur ce point : personne sur cette putain de Terre n'avait le droit de porter un jugement défavorable sur le châtain sans avoir appris à le connaître. Parce qu'il avait eu l'opportunité de le voir dans ses bons comme dans ses mauvais jours, de voir qui l'adulte est vraiment et il n'y avait que lui qui pouvait définir sa personne. Et selon lui, son être se définissait ainsi : un homme tentant de rayonner, sans cesse rattrapé par ses ténèbres. Un éternel adolescent traumatisé à mainte reprise ayant désespérément besoin d'aide médicale pour que sa vie commence enfin et que ces années d'errance, de mal-être et d'autodestruction soient terminées. On avait vu que le mal qu'il avait commis autour de lui, sans aller au-delà pour comprendre la raison derrière ses agissements violents et on le cataloguait de fou furieux, de danger pour tous.
L'ébène ne mastiquait plus sa nourriture. Quelque chose coinçait dans sa bouche et l'empêchait d'avaler en même temps que ses songes destinées envers son ancien petit ami affluaient. La sensation était tout bonnement étrange, pénible à souhait et Jeongguk ne savait pas quoi faire, sa prise se refermant sur ses baguettes.
— Hé, mon lapin, prononça à voix basse le plus âgé des deux amis. Ce soir, on passe une soirée tranquille. Tu oublies tes révisions, ces histoires avec Seokjin et Tae. Profite de ce moment pour décompresser. Tu as le droit de mettre sur « pause » tes pensées anxiogènes, il y a rien de mal à ça. Ça ne fait pas de toi quelqu'un d'horrible. Ce soir, r.e.p.o.s. D'accord ?
L'étudiant avait du mal à croire qu'il pouvait s'accorder cela, mais pour Jimin, il acquiesça et se promit de faire cet effort pour ce soir. Celui-ci lui échangea un sourire compatissant accompagné d'une douce caresse sur son bras avant de confesser qu'il espérait que tout rentrerait dans l'ordre entre lui et son camarade de classe, préférant ne pas s'immiscer dans ce conflit qui opposait ses deux amis. Le danseur savait que s'il se trouvait dans la même situation que son meilleur ami, il aurait eu le cul entre deux chaises sans savoir sur laquelle s'asseoir. Ce genre de dispute est toujours difficile à gérer et Jimin ne désirait point interférer dans les choix entreprises par son protégé. Qu'ils soient bons ou mauvais, il resterait à ses côtés et les respecterait. Le repas reprit doucement son cours et Gguk se remit à manger avec appétit. Jimin but une gorgée de sa bouteille d'alcool et dit :
— Dans les prochains jours, j'ai prévu de faire une retouche au tatouage à mes côtes. Ça te dit de m'accompagner ?
— Carrément, Chim ! répondit spontanément le plus jeune.
— T'es un amour ! J'attends le moment où toi aussi, tu sauteras le cap. Tu m'en parlais beaucoup quand on était encore au lycée.
Il est vrai que c'était l'un des désirs les plus chers de Jeongguk après être tombé à de multiples reprises sur des photos de personnes tatouées sur les réseaux. Il trouvait la plupart de ces dessins magnifiques et aurait aimé pouvoir faire de même sur son propre corps. Son cerveau débordait d'idées de motifs qu'il voudrait sur lui, ce qui faisait qu'il ne savait pas lequel choisir pour un premier tatouage. Il y avait cela qui le freinait dans sa lancée, en plus de la douleur que les aiguilles provoqueraient sur sa peau fragile.
— Quand je me sentirai prêt, je foncerai, affirma Jeongguk en avalant une bouchée de ses nouilles.
— Et le piercing que tu voulais au visage ? Ton avis a changé depuis ?
— J'hésite encore entre l'arcade et le bridge. Ils me donnent tous les deux super envie.
— Faudra que tu fasses un choix, tu sais, rit Jimin face à l'indécision de son cadet.
— Mais ils sont tous les deux si stylés, j'en ai marre ! Pourquoi on doit faire des choix dans la vie ?
Jeongguk souffla puis avec humour, il lâcha :
— Traîner avec un Balance, ça m'arrange pas.
Succès garanti, le plus âgé s'esclaffa dans la minute qui suivit. Il est vrai que côtoyer un énergumène de signe astrologique Balance comme Jimin et que la caractéristique principale de ce signe repose sur l'indécision rendait les prises de décisions plus difficiles. Ses gênes déteignaient sur lui avec le temps, ça devenait tout aussi alarmant que drôle.
— Dans tous les cas, peu importe lequel tu choisiras, ça t'ira à ravir. Et ton regard sera encore plus beau qu'il ne l'est déjà.
— Bois un verre d'eau, ta bière au gingembre te fait dire des bêtises.
Gguk but sa propre bouteille alcoolisée, les joues rosies et un minuscule sourire fendant ses lèvres pendant que le nouveau hit de Coldplay passait en fond. En partageant ce moment paisible avec celui qu'il considérait comme son frère de cœur et scannant la bonne humeur coltinée sur le visage des clients présents et employés de restauration, Jeongguk se dit peut-être qu'il avait le droit à son tour d'être heureux, ne serait-ce que pour ce soir. Il espérait plus que tout que cette petite virée au cinéma le divertirait, le ferait penser à tout autre chose qu'à cette paire d'obsidiennes énigmatiques et prenantes qui faisait défaillir son cœur et son mental réunis ; à la douleur que son manque lui inspirait. Ouais, il espérait trouver le repos au retour chez lui et non pas se confronter une nouvelle fois à sa peine et ses pensées dévoratrices qui grignotaient de jour en jour sa joie de vivre.
Jeongguk voulait dépasser toutes ses émotions négatives le reliant à Taehyung et il comptait bien commencer dès maintenant, même si les tentatives de cicatrisation n'aboutiraient à rien, même si le chemin pour un avenir meilleur serait semé d'embûches. Oui, le jeune homme avait envie d'y croire en cette nuit tranquille.
À ma résurrection, solennisa-t-il intimement avant de s'abreuver d'une énième gorgée de son liquide à la main.
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Cela faisait environ une heure que les garçons étaient assis confortablement dans leurs sièges attitrés dans la salle du cinéma, le Majestic. Celle-ci était presque blindée. Quelques retardataires pouvaient avec de la chance trouver encore des places vides, soit tout devant ou alors au centre. Tout le monde semblait s'être donné le mot pour voir ce nouveau thriller voulant défier les codes de ce genre qui continuait de gagner de nouveaux fans d'années en années. Emprise se voulait novateur dans sa démarche, à commencer par ses protagonistes : un couple homosexuel où l'un révèle la noirceur de l'âme de l'autre. C'était même une grande première pour ce type de scénarios : deux étudiants qui se retrouvent dans une relation ambiguë, fascinante et pour le moins étrange, alors que des meurtres sévissent en ville. Jeongguk avait ri jaune lorsque Jimin lui avait conté la trame du film, pensant qu'il s'agissait d'une mauvaise blague. Parce qu'à quelques éléments près, cela ressemblait comme deux gouttes d'eau à ce qu'il lui arrivait et qu'en plus de ça, il était peu à l'aise face à toute forme de suspens. Néanmoins, face à l'empressement de son ami pour voir Emprise, l'étudiant avait capitulé. Ce qui avait rendu tout joyeux son aîné à l'idée d'aller le regarder en sa compagnie.
Toutefois, maintenant qu'ils étaient face au large écran, Jimin était comme qui dirait tomber dans les bras de Morphée. Jeongguk le remarqua en jetant un vif coup d'œil sur sa gauche alors qu'une interrogation trottait dans ses songes. Le danseur avait la tête reposée contre son poing, les paupières closes. Sa posture transpirait le repos, la sérénité et Gguk se résigna, voulant le laisser récupérer ses heures de sommeil manquées. Un sourire tendre se dessina sur son visage et ses yeux se plissèrent à cette action. Jimin se tuait à la tâche ces dernières semaines entre son travail, ses cours de danse et Jeongguk lui-même. Les moments de détente se faisaient rares, surtout depuis le jour où le plus jeune était revenu vers lui après leur grosse dispute et qu'ils avaient discuté de leur expérience avec Taehyung jusqu'au lendemain matin. Le noir de jais le savait. Depuis cette longue discussion, les nuitées de l'ancien blond se faisaient plus agitées et plus courtes. Il ne le disait pas de vive voix par fierté, pour se protéger, mais cela se lisait facilement aux poches violettes qui creusaient le dessous de ses mirettes. Cette conversation avait dû raviver des événements enfouis, refoulés dans les recoins obscurs de sa mémoire et des sensations contradictoires à l'image du tumulte qui secouait son histoire brève avec l'employé de cantine. C'était déchirant pour Jeongguk de voir Jimin en proie à ce passé qu'il n'avait toujours pas su mettre au placard pour de bon. Contempler celui-ci, l'air apaisé, lui fit le plus grand bien. Il paraissait même presque soulagé par cette vision. Jimin méritait bien ce petit instant de répit. Alors Gguk prit soin de le repositionner correctement en douceur, pour qu'il ne finisse pas avec la nuque coincée, souhaitant au fond de lui-même qu'il trouve d'autres moments réconfortants.
Jeongguk était désormais seul à mater ce film qui ne présageait rien de bon. Il se sentait sous tension, appréhendait chaque plot-twist qui pointerait le bout du nez pour retourner le cerveau des spectateurs. Il retint son souffle, le bruit des pop-corns qui craquaient dans les multiples bouches présentes comblant le silence de la salle, tandis qu'il se concentrait sur ce qui se tramait devant lui.
Les héros principaux étaient réunis chez l'un d'entre eux. Personnage A souhaitait prendre une douche. Personnage B l'accompagna et décida de lui montrer comment fonctionne le robinet et prépara une serviette propre pour son invité d'honneur dans cette salle de bain aux murs ton granit. Personnage A demanda avec humour s'il souhaitait le rejoindre dans la cabine. Son vis-à-vis semblait prendre la chose très au sérieux et analysa sans mot dire son partenaire avec insistance, une fixette qui aurait de quoi faire détourner les pupilles de quiconque tant c'était très déstabilisant. Il se contenta de croiser les bras, sans le quitter des yeux et attendit patiemment que son hôte se déshabille.
Jeongguk retint un couinement, la main contre sa bouche, dérouté. Quelque chose se préparait. Il parierait l'une d'elles sur le feu. Une scène qui les méduserait tous tout autant qu'elle les apeurerait. En attendant, le gamin à la bouille de lapin tentait de calmer sa confusion soudaine. Cette scène le perturbait-il par inconfort ? Ou bien éveillait-elle en lui des souvenirs encore tout frais de ses moments pimentés avec l'adulte ? Ressentait-il de la gêne ? Ou était-ce la flèche d'Éros qui caressait langoureusement son esprit embrumé ? Ses questions trouveraient réponse sous peu, il lui fallait encore un peu de patience.
A et B partagèrent la douche ensemble et se savonnèrent dans des gestes affectueux. B ne recula devant rien et chercha à faire plus ample connaissance avec A qui hantait sans arrêt son esprit ravagé. A n'était point dérangé par B. Au contraire : il le voulait tout autant que celui-ci ne le désirait. La première fois que A avait vu B, il aurait juré sentir la Mort l'éteindre. Par ses yeux sombres, il l'avait tué, arraché sa respiration, mais cette sensation était si bonne qu'il avait cru planer. C'était si grisant que A s'était promis de faire sien B, un jour ou l'autre. Et c'était réciproque du côté de B. Celui-ci, par ailleurs, s'attelait à rincer sa source de convoitise comme le bon futur petit ami qu'il ferait. Sauf que ces quelques minutes duveteuses prirent une tout autre tournure. B augmenta la température du jet. Encore et encore, Celsius après Celsius. De la buée imbiba les parois de la cabine et de la fumée s'en échappa. A paniqua et supplia B de couper l'eau tout de suite. B ne broncha pas, insensible aux suppliques de son partenaire. A voyait avec horreur sa peau rougir de seconde en seconde et avait la sensation de brûler vif, telle Jeanne d'Arc sur le bûcher. B était totalement conscient de ce qu'il faisait, le regard durci scrutant avec minutie la détresse qui ruisselait sur le faciès de A. Ça lui faisait même plaisir de le torturer de cette façon. Car il avait entraperçu quelque chose d'obscène chez celui qu'il convoitait et que cette obscénité méritait une purification. Un lavement pour les péchés qui se jouaient dans son crâne. A ne comprenait pas ce qu'il se passait. A se sentait tanguer peu à peu dans un état second, ses orbes rivés sur les lippes tentatrices de B. Ses supplications perdirent de leur puissance, se métamorphosèrent en murmures rauques vides de sens et ce n'était plus seulement sa peau qui s'échauffait. C'était d'un tout autre feu qu'il se consumait et au vu de la lueur crépitant dans les iris de son bourreau, A était bien partant pour lâcher ses vices les plus licencieux éclater entre ces parois.
Jeongguk n'était ni plus ni moins réduit qu'à une respiration fébrile, à des pensées en fermentation et un bas-ventre accablé d'une excitation naissante venue de nulle part. Sa main plâtrée se refermait sur son accoudoir, devenant peu à peu moite tant sa prise était forte, tandis que l'autre faisait l'éventail tout près de son visage pour tempérer ses ardeurs. Il lança des regards inquiets autour de lui, comme s'il voulait fuir cette scène aussi palpitante que turpide. Il y avait un on-ne-sait quoi proche de la perversion qui découlait de cette scène choc, mettant devant le fait accompli les lubies les plus névrosées de l'étudiant. Ce manque inexplicable qui s'accaparait de lui depuis des jours était revenu à la charge, cognait son organe vital, affluait dans ses veines et pulsait dans ses entrailles par vague. Les microsecondes qui succédaient ne l'aidèrent pas. Cette scène qui se déroulait sous son regard jade mi-affolé mi-passionné se renforça davantage en érotisme et le fit se tortiller tout contre son siège rouge sang, serrer et desserrer les jambes. Il ôta même un bouton de sa chemise tant il avait chaud, une caresse presque lascive contre son cou traduisant son malaise. Ce n'était pas bon ce qu'il se passait, pas bon du tout même. Ce film ravivait des souvenirs passés, des fantasmes enviés, tous de nature lubrique, qui le rendaient dingue. Son cerveau défloré lui tendait sur un plateau doré des images de faits vécus et imaginés suintant le sexe et ses différentes nuances, allant de ses ébats fiévreux aux mots scabreux chuchotés en un souffle au creux de l'oreille avec le châtain. Son corps et son esprit réagissaient en harmonie, comme si Taehyung était dans les parages, à ses côtés. Il pouvait ouïr parfaitement sa voix rocailleuse saturée en luxure et des phrases du même acabit sortir de sa bouche charmeuse, voir son désir avide d'épouser ses formes par un corps-à-corps fougueux dans ses obsidiennes et sentir ses grandes mains voyager sur son épiderme sensible, cherchant à lui soutirer le plus beau chant dont il était capable d'entonner : son plaisir à tue-tête, cette même euphorie folle qui l'assaillait à chaque manœuvre exquise de son aîné de sept ans sur sa carcasse exaltée. Ces sensations étaient putain d'incontrôlables, semblables à une véritable pulsion qu'il fallait se désencombrer et–
Chevauche-moi, mon ange.
C'en était trop pour celui à la chevelure corbeau qui se leva à tire-d'aile du fauteuil et se rua d'un pas pressé vers la sortie, manquant au passage de rater une marche. Une fois hors de la salle de ciné, il expira un grand coup comme s'il sortait d'une longue apnée sous l'eau. Avait-il trop abusé sur la bibine plus tôt au restaurant ? Était-ce cette fatigue constante qui le mettait dans cet état ? Il passa sa main tout contre son front, perdu face à la situation et constata par la même occasion qu'il était fiévreux, recouvert d'une fine pellicule de sueur. Il soupira et partit à vers la direction opposée afin de se réfugier aux toilettes pour se rafraîchir. Les talons de ses bottines en cuir claquèrent contre le sol, faisant écho à travers l'immense corridor vide de toute activité humaine. Durant sa marche, Jeongguk sentit son cellulaire vibrer contre sa cuisse. Il le sortit donc de la poche avant de son jean et consulta son écran. Celui-ci était dans un état terrible. Le contour des fissures commençait à jaunir, rendant la lecture difficile, et ce n'était qu'une question de semaines avant que l'objet ne clamse. Il devait impérativement l'emmener en réparation ou alors acheter un nouveau téléphone, ça devenait de plus en plus urgent.
Alors qu'il consultait ses notifications, l'une d'entre elles se démarquait. Il s'agissait d'un sms d'un numéro qu'il ne connaissait pas. Intrigué, il l'ouvrit pour le lire tout en poursuivant sa route. À la mention de l'identité de son destinateur, l'expression sur le visage de Gguk se refroidit et ses méninges se remirent à turbiner, comme c'était le cas depuis un long moment déjà. Sa démarche, elle, devint moins cadencée puis lente, très lente, jusqu'à ce qu'il ne se s'arrête juste devant la porte des toilettes.
✉ +337XXXXXXXX
20h28 >> Salut Gguk, c'est Namjoon.
Je sais que ça fait depuis plusieurs jours que vous êtes en froid, toi et Jin. Et je sais aussi que ce n'est pas censé me regarder. Vous défendez chacun votre camp, c'est compréhensible. Je t'envoie ce petit message simplement pour te dire que Jin est prêt à entretenir une discussion sérieuse avec toi et attend ton signal. Il ne pensait pas à mal au moment venu, lors de votre dispute. Je peux te l'assurer. Il cherchait à te protéger parce que te voir aussi affecté l'affectait lui-même. Et voir la raison de ta souffrance se poster sous ses yeux l'a rendu furieux. Je pense qu'il sera le plus à même de t'en parler, si vous venez à vous retrouver.
En attendant, je te souhaite bonne merde pour tes exams ! Keep going p'tit gars, ça va le faire ! ;)
Jeongguk était tiraillé après la lecture de ce message témoignant une sincérité réelle. Une part de lui voulait de tout son cœur que cette situation s'arrange entre eux. L'autre campait sur sa position, portant encore les traces indélébiles des propos malveillants tenus par son ami à l'encontre de celui qu'il considérait encore il y a peu comme son oxygène. Mais en continuant de lui faire la tête, Gguk passait peut-être à côté d'une amitié merveilleuse qui perpétuerait dans le temps. Parce que jusqu'à ce jour-là, tout allait comme sur des roulettes entre eux et Seokjin était surtout capable de faire des concessions face aux nombreuses frasques du plus jeune. Depuis le début, Seokjin faisait tout pour le mieux et l'épaulait quant aux actes malveillants de Mister Populaire sur sa personne. Même encore maintenant, il cherchait des solutions pour réparer la fracture entre eux. Qu'avait fait Jeongguk de son côté ? Lui mentir, enchaîner excès sur excès, lui faire subir ses baisses de moral, se comporter de façon tout bonnement exécrable à l'apogée de son idylle avec Taehyung et dernièrement, le rejeter et lui faire subir un traitement silencieux.
L'étudiant ne méritait pas un tiers des bonnes actions de son camarade à son égard. Il n'était pas digne de l'honnêteté, ni de la générosité de celui-ci. Pas même de Jimin auprès duquel il bouffait toute son énergie avec le foutoir mental qu'a laissé derrière lui l'employé de cantine. Ou encore de l'amour inconditionnel que lui vouait le susnommé. Il n'était digne de personne, en fin de compte. Ni de sa propre personne, cette ancienne version de lui-même qu'il avait commencé à chérir. Jeongguk déglutit.
Encore indécis, il se contenta de ranger son portable à sa place initiale, sans prendre la peine de répondre. Il avait encore besoin de réfléchir et ne voulait pas se précipiter dans sa décision. Sa main actionna alors la clenche de la porte et s'engouffra à l'intérieur de la pièce. Un halo de lumière étincelant l'accueillit et donnait une allure presque luxueuse au lieu. C'était un espace très éclairé, coloré de nuances chaudes du sol au plafond et doté d'une propreté indéniable.
Lille 3 devrait en prendre de la graine sur ses notions d'hygiène.
Le noir de jais s'avança vers l'évier et s'activa à passer de l'eau bien glacée sur le visage. Ce toucher léger lui fit le plus grand bien, en plus de ces quelques massages aux tempes qu'il s'octroyait. Pendant ce court instant de calme, il essaya d'enfouir ses pensées déplacées tout au fond de lui. Celles-ci étaient particulièrement increvables. Plus Jeongguk cherchait à se concentrer, plus elles s'élargissaient, prenaient de la place dans son crâne. Elles étaient bruyantes, indécentes, riches en musiques et tableaux impudiques et paraissaient presque réelles. Il attrapa un sopalin dans le réservoir accroché au mur tout proche de lui et s'essuya le visage, l'esprit en surcharge, au bord de la saturation. Ses billes vertes confrontèrent son propre reflet un brin déformé dans le grand miroir, qu'il jugea sévèrement en silence, puis il réarrangea son chignon quelque peu défait à force de s'être frotté contre le dos de son fauteuil dans la salle de ciné plus tôt.
Son apparence... Les joues rougies, les pupilles dilatées, sa coiffure parsemée de quelques cheveux blancs en bataille, les boutons ôtés de sa chemise... Comme s'il sortait d'un tête-à-tête musclé où sensualité et bestialité ne font qu'un. Jeongguk pesta à cette constatation, sa mâchoire roulant d'un agacement croissant. Il souffla, les mains agrippées au rebord de lavabo, les yeux fermés, l'une de ses jambes tressautante. Gguk s'énervait à mesure que son attention diminuait, s'écartait pour laisser d'autres rêveries obscures entrer en lui.
Allez, putain.
Ses chimères refusaient de partir. Elles étaient si à l'aise, posées dans sa matière grise comme si c'était chez elles. Elles le harcelaient, tournaient en rond dans une danse digne d'un sabbat, tambourinant de leurs sabots. Peut-être qu'il s'agissait de cela : un rituel démoniaque en l'honneur de ce côté sombre qui prenait peu à peu éveille en son sein, à ces coïts multiples imaginés comme réellement passés, à ces paroles fantasmées comme prononcées et à cette douleur térébrante accouplée au délicat plaisir de la chair. Loin de son premier amour, Jeongguk se morfondait, croulait sous ce manque qui l'écorchait et qui, à la nuit tombée, se décuplait. Sa peau, ses lèvres, son corps : tout de lui réclamait le retour de Tae pour que celui-ci fasse taire ces sensations invivables du bout de ses lippes carminées, de la pulpe de ses doigts graciles, de sa voix abyssale, de son regard perçant et de ses va-et-vient terrassants au point de le laisser sans voix.
Subitement, Gguk explosa.
— Suffit, ça suffit ! cria-t-il avant rouvrir les yeux, de la colère se répandant dans ses veines.
Agacé, il était tout bonnement agacé par son état qui l'encombrait plus qu'autre chose. Il se pinça l'arrête du nez et tourna en rond dans l'espace tel un fauve en cage, exténué. Parfois dans sa ronde, Gguk chancelait d'un côté, la gravité ne semblant plus vouloir de lui. Un soupir las franchit la barrière de sa bouche rongée par le stress et...
La luminosité des différents lampadaires incrustés au-dessus de lui bascula du doré à un rouge vif, identique à la teinte de ces néons dans les WC de son université qui avaient baigné à maintes reprises les anciens tourtereaux. Quand le jeune homme observa à nouveau son environnement, il passa de l'irritation à l'incompréhension. Il recula doucement, encore et encore sous ces éclairages alternant entre nuit et jour par intermittences. L'atmosphère était très bizarre, d'un coup. Elle était asphyxiante, lourde et Jeongguk aurait juré sentir une force ténébreuse postée derrière lui. C'était inexplicable, quasi surnaturel et la seule action que pouvait faire Gguk était de pivoter sur lui-même, craignant ce qui l'attendait. Son organe vital battait vite, respirer devenait de plus en plus difficile et son ventre émettait des pulsations déconcertantes. Comme-ci celui-ci répondait à un appel.
Une fois totalement tourné, ses pupilles se dirigèrent vers le miroir et...
Paralysé.
Le noir de jais se retrouva incapable du moindre mouvement, apeuré et magnétisé par ce tableau qui se peignait sous ses yeux. Là, tout contre le bord de l'évier, il pouvait admirer une projection de lui-même pleine de vitalité, une aura respirant la folie érotique, s'époumonner tout contre un Taehyung rayonnant de stupre. Ils se dévoraient mutuellement, se cherchaient à coups de baisers langoureux et de caresses avides. Tous deux étaient beaux à leur façon et cette beauté pécheresse atteignit Jeongguk qui put sentir ses intestins se tordre sur eux-mêmes à cette vue. Un cauchemar, c'était un véritable cauchemar.
Son alter lui échangea un regard tel que le gamin à la bouille de lapin frissonna tandis que la copie de Tae s'affairait à couvrir sa nuque de louanges mouillées. Ses iris jades scintillaient de mille éclats, comme des joyaux au carat inestimable. Pourtant, quelque chose de poisseux, infâme et sinistre y résidait. Un air mauvais, détourné des bonnes conduites, se complaisant dans l'impudicité et à en croire son rictus déformant ses demi-lunes, cela le réjouissait de voir l'effet qu'il provoquait sur Jeongguk. Il ressemblait à une entité diabolique avec cette expression qu'il endossait et cet embrasement rougeoyant qui inondait la pièce. De son sourire malsain à ses pupilles recelant de manies et d'impureté, on pouvait déchiffrer ces mots : « je possède ce que tu n'as plus ». Les humains n'ont pas ce genre de regard, se dit Gguk.
Ai-je déjà eu une oeillade pareille auparavant ? Est-ce qu'avec Taehyung, j'étais comme ça ? Le suis-je encore maintenant, loin de lui ?
— Qui es-tu ? interrogea l'étudiant, le souffle court tout en papillonnant des yeux.
Une, deux, trois secondes défilèrent et le sourire fou à lier de son double s'agrandit, pendant qu'il fit exprès de mimer l'acte en rapprochant le corps du faux employé de cantine contre lui d'une poigne ferme. Droit dans les yeux et le timbre grave, il lui déclare :
— Celui que tu refrènes depuis toujours, petit lapin.
Un coup de langue aussi déstabilisant que dégoûtant sur ses lèvres, tel un prédateur affamé et il poursuivit :
— J'existe. Un jour, je sortirai de l'ombre. Ce n'est qu'une question de temps, mon cher Ggukie, avant que le vrai « toi » ne l'emporte. Tu les sens, n'est-ce pas ? Ces contractions qui te tortillent le bide ? Cette sensation atroce de ne pas être complet ? Et ces rêves éhontés qui te tourmentent lorsque Morphée te berce ? Toute cette merde qui pullule en toi t'emmènera à ta perte si tu ne succombes pas. Résiste et ton âme se rendra malade à force de se languir de ce qu'elle s'interdit !
Pris d'une peur viscérale, Jeongguk s'enfuit en trombe des toilettes puis s'adossa à la porte de celle-ci, pantelant et le cœur à deux doigts de l'implosion. Qu'est-ce qu'il venait de se passer ? La tournure des événements était si insensée, si improbable que l'ébène eut du mal à se faire à l'idée que tout cela s'était bel et bien passé. Calme-toi, t'as sans doute trop bu, tempérait-il intimement.
Ce n'est rien ! Tout marche comme sur des roulettes, ah, ah ! Tu vas oublier tout ce que tu viens d'assister, retrouver Jimin et–
— Monsieur, tout va bien ?
Retour à la réalité. À quelques mètres de lui se tenait un employé du Majestic, à en croire son gilet ainsi que son badge, dont les traits du visage creusés par l'âge montraient une grande préoccupation à son égard.
— Monsieur ? insista le vieil homme.
Jeongguk cligna plusieurs fois les paupières et se reconnecta au monde réel du mieux qu'il pouvait. Il simula un sourire, ravala ses états d'âme ainsi que cet entretien avec sa conscience – enfin, il ne savait pas trop s'il s'agissait de ça – et répondit :
— Oui, oui, tout va bien ! Merci de vous en inquiéter.
Lentement, Gguk se décala du bois de la porte et entama le chemin inverse jusqu'à la salle où était projeté Emprise. Une fois l'employé dépassé, son sourire s'affaissa et il tenta de recoller les morceaux dans son esprit bouleversé. Ce qui semblait être l'avatar d'une part de sa psyché n'avait pas tort : il y avait bien une tentation à laquelle il songeait depuis plusieurs jours... Mais il était désormais impossible de l'étreindre à nouveau. Ces semaines de bonheur, de vie de couple tant adulée avec Taehyung étaient révolues et Jeongguk devait tourner la page pour écrire un nouveau chapitre, vierge de toute tache d'encre sanguinolente. Se saigner dans cette relation sans issue ne mènerait à rien, excepté à leur déchéance. Jeongguk devait avant tout chasser Tae et ses souvenirs, se libérer de leurs emprises, se retrouver pour ensuite panser ses plaies. Il était temps qu'il guérisse, que ses cicatrices se referment et qu'il revive enfin. Car après tout, il était trop tôt pour se ruiner l'existence quand tant de choses l'attendaient encore.
❖
Le sommeil ne venait pas. Jeongguk ne trouvait point le repos. Le regard braqué dans le vide et le corps lâche tout contre son matelas froid, il ressassait ce qu'il s'était passé plus tôt dans la soirée. Le tracas était palpable dans sa chambre. Une lumière diffuse bleu nuit, douce et mélancolique le dorlotait tout en englobant la pièce. Elle l'empêchait presque de vriller, de se laisser de nouveau aller aux pensées nocives qui empestaient son crâne. Face à lui, à travers sa fenêtre, Gguk pouvait contempler les nuages avancer, poussés par la brise qui se levait. C'était envoûtant, presque thérapeutique. Jeongguk aurait aimé être comme ce ciel, passion si chère à son cœur depuis son adolescence figée sur des clichés, intacte. Inatteignable, loin des problèmes de la vie. Doucement, il se releva avant de plaquer sa chevelure en arrière.
Il se pencha vers le sol, attrapa son pull blanc, l'enfila et délaissa son lit. Ses pieds nus le guidèrent en dehors de son espace privé, un petit couloir éclairé de zinzolin de son parquet jusqu'au-dessus de lui, et il arriva dans sa cuisine. Il se servit un verre d'eau d'un geste mécanique et partit dans son salon. Ses jambes paraissaient cotonneuses à mesure qu'il se rapprochait de la pièce à vivre. Une fois à destination, c'est un embrasement amarante électrique qui le salua. Jeongguk pouvait sentir chaque millimètre de cet appartement pulser et lorsqu'il s'avança jusqu'au centre pour observer les cieux qui s'étendaient, une curieuse impression l'envahit. Son salon semblait plus grand et continuait de s'étirer indéfiniment. Cependant, cela ne le préoccupa guère : il y avait plus important à méditer.
Gguk but une gorgée du liquide frais, les pupilles fixant les autres immeubles environnant le sien à travers la large baie vitrée de là où il se tenait.
Crac.
Il stoppa net son geste, l'eau au bord de ses lèvres.
Crac.
Des bruits de pas. Derrière lui.
Crac.
C'était proche. Tout près. Jeongguk était pétrifié sur place, n'osant point se retourner pour faire face à ce qui se mijotait dans son dos. Un invité surprise ? Pas possible. Il était certain d'avoir fermé sa porte d'entrée à clé, de même que pour la fenêtre de sa chambre après avoir ressenti la désagréable impression que l'on avait pénétré à son insu celle-ci, au beau milieu de la nuitée.
Le bruit approchait, réduisait la distance. La poigne autour du verre de Jeongguk s'intensifia, la pulsation cardiaque cognant dans son poignet et la jointure de ses phalanges pâlissant à vue d'œil. Il tenta de se raisonner, de se convaincre que rien de dramatique ne lui arriverait, qu'en fermant très fort les yeux le son disparaîtrait aussi vite qu'il avait retenti. Un dernier « crac » et le silence revint.
Un souffle ébouillanté s'échoua au creux de sa nuque et l'étudiant se tendit, la peau frissonnante. Un toucher chaud, langoureux et concret, démarra de sa cuisse laiteuse pour remonter dans une caresse délicieuse sa hanche pour s'y nicher au creux sous son haut puis le tirer vers l'arrière d'une poigne possessive. Jeongguk écarquilla les yeux, couvert de frisottis, alarmé et conscient de ce qu'il était en train de vivre. Un sentiment de déjà-vu le clouant à même le parquet et incapable d'agir, il pressentait un mauvais augure. Un énième combat contre lui-même qui serait interminable...
— Bonsoir, mon ange.
Contre celui qu'il considérait encore comme « âme-sœur » il y a peu, devenu sa Némésis.
Presto, Jeongguk se retourna, ayant reconnu cette voix qu'il ne connaissait que trop bien quand soudain le porteur de ce son addictif à l'oreille s'empara de son visage en coupe – son verre se déroba et se fracassa au sol en dizaines de morceaux – et le poussa à reculer vite, très vite jusqu'à ce que son dos entre en collision avec la surface gelée de sa fenêtre. Taehyung se tenait juste là, quelques centimètres le séparant de ses lippes, tout vêtu de noir, ses bouclettes ne rendant son regard plus attrayant encore. L'air venait de s'alourdir, tout d'un coup. Il ne rentrait plus dans les poumons du noir de jais. Celui-ci était comme en apnée, le souffle coupé tandis qu'il pouvait sentir celui de son aîné s'écraser contre ses lèvres entrouvertes. Misère, Tae était encore plus beau que dans ses lointains souvenirs, plus tentant que dans ses précédents rêves libidineux... Plus les jours s'écoulaient, plus son aura gagnait en puissance et plus il était difficile de s'en détacher. La manie devenait plus forte que jamais, cette fixation sur Tae prenait de l'ampleur et l'affaiblissait en contrepartie. Jeongguk devait résister. Il devait affronter ses démons et les dompter, repousser chaque chose ayant un quelconque lien de loin comme de près avec Tae. Mais qu'il est difficile de se détacher de tout ce qui vous fait rappeler cette adoration passée que vous avez chéri, cet être que vous avez aimé plus que vous n'aimez la vie. Et c'est d'autant plus compliqué et crève-cœur quand il est question d'un tout premier amour auquel on s'est très vite attaché et qui est partie tout aussi rapidement en fumée. Une relation de passage dans laquelle on a tout donné en pensant gagner l'éternité avec l'être adoré.
Relation qui devait dès à présent être enterrée dans les profondeurs de l'oubli, maintenant et à jamais. Alors Jeongguk lutta, se débattit comme un beau diable pour s'échapper d'entre les paumes de Taehyung, allégorie de toute la violence et de toute la tendresse témoignées à son égard. Même si son absence avait créé un énorme vide dans son quotidien, Gguk n'oubliait pas la rudesse de ses mots à son encontre, la toxicité qui en émanait et surtout, le plus important : les coups reçus et ces deux viols qui l'avaient marqué, traumatisé, en plus d'avoir massacré sa stabilité mentale. Non, il n'était plus le même depuis que Tae avait fait son entrée fracassante dans sa vie.
Il en avait encore la preuve irréfutable face à cet homme qui lui avait fait autant de mal que de bien, qui continuait de lui faire traverser l'enfer même éloigné de lui. Peut-être c'était ça finalement, l'amour. Parce que sans connaître la douleur, on ne peut accéder au plaisir. L'un ne peut exister sans l'autre, tout comme il est impossible d'apprécier correctement la lumière sans connaître les ténèbres. Et Jeongguk ne pouvait respirer sans Taehyung.
C'était peut-être pour cette raison que l'étudiant se résigna, ses poignets plaqués de part et d'autre de son visage, enroulés par les grandes mains du basané. Fiévreux, Jeongguk tenta de récupérer son souffle, leur proximité le faisant perdre tous ses moyens. Il croisa l'œillade désireuse du châtain qui sillonnait ses courbes puis s'attardait longuement sur ses demi-lunes pulpeuses avant de darder celle-ci dans ses iris jades, ce qui le fit oublier l'élancement dans son poignet fracturé. Le regard de Tae posé sur lui balaya cette douleur en un battement de cils.
— Cesse de me regarder comme ça, c'est indécent, réprimanda le plus jeune.
Il coinça ses lèvres sous ses incisives, une expression réprobatrice ornant ses traits délicats. L'acte était bel et bien impudent mais Gguk intimement adorait ça, même s'il refusait de se l'avouer. Il aimait ce regard que lui portait Taehyung : adulte, empreint d'envies trop déplacées pour pouvoir être décrites oralement. Son existence prenait vie à chacun d'entre eux. Le plus âgé lui faisait ainsi comprendre qu'il était désirable, le plus enviable des hommes ayant peuplé ce monde indésirable, et ce ressenti était jubilatoire pour lui.
— Si tu ne veux pas que je le fasse, arrête de te mordre la bouche de la sorte. C'est provocant.
— Lâche-moi, répondit du tac-au-tac le cadet.
Retiens-moi aussi longtemps que tu le peux.
— Et pourquoi je le ferai ?
— Rien ne peut marcher entre nous, notre relation est vouée à l'échec.
J'aurais aimé que l'histoire que nous avions commencé à écrire perdure.
— Il n'est jamais trop tard pour se donner une autre chance. C'est toi-même qui me l'as dit.
— T– tu es mauvais, Taehyung...
Le meilleur des amoureux, celui que je rêve d'avoir depuis toujours.
— Je peux te montrer à quel point je peux l'être avec toi...
— Arrête ça... ordonna faiblement Gguk, sentant les lippes de son vis-à-vis contre les siennes et ondulant contre la surface transparente derrière lui.
Continue, je t'en supplie...
— Tes yeux me hurlent de continuer, bébé... Ton regard ne me trompe jamais.
Ne supportant plus cette tension sexuelle, l'ébène céda et embrassa de tout son saoul Taehyung qui répondit de suite à son baiser. L'autre « lui » avec qui il s'était entretenu dans les toilettes du Majestic quelques heures plus tôt avait raison : succomber à la tentation était la meilleure solution pour satisfaire le manque. Un ballet endiablé de caresses langoureuses débuta contre cette vitre où tous deux étaient en quête de la chaleur de l'autre. Tae abandonna ses poignets fragiles pour encadrer le visage de Jeongguk, ses mains prenant appui sur le carreau, pendant que le benjamin, une fois libre de tout mouvement, se perdit dans la chevelure de son ancien bien-aimé. Leurs lèvres se happaient, se mouvaient comme pas permis, entamant une symphonie sensuelle qui comblait le silence de l'appartement. Jeongguk avait la sensation de renaître aux touchers du salarié. Sa peau s'enfiévrait, son ventre se tordait indéfiniment tant il était emporté par ce tourbillon d'émotions incontrôlables qui le bousculaient dès que Tae se trouvait en sa compagnie. L'exaltation tapait dans ses veines, lui montait à la tête et ses gestes devinrent précipités, envieux de plus, bien plus. Dans le feu de l'action, Taehyung le retourna et répandit une série de baisers chauds allant de sa jugulaire à son cou pour ensuite s'aventurer sur l'une de ses épaules quelque peu dévoilée, la manche de son pull légèrement abaissée.
Quand ses yeux mi-clos vaguèrent sur l'horizon, le gamin à la bouille de lapin entrevit un élan de lucidité. Qu'était-il en train de faire ? Que faisaient-ils ? N'était-il pas censé tenir tête à Taehyung ? Se soustraire de lui, des réminiscences de leur union pour une reconstruction totale et saine ? Qu'est-ce qui n'allait pas chez lui ? Pourquoi s'accrochait-il autant à tout cela, comme l'on se cramponnerait à une bouée de sauvetage en pleine mer ?
Faites que ça s'arrête...
Gguk implora dans son esprit que tout ce traquenard prenne fin. Il en avait assez de se bercer d'illusions, de se noyer tête la première dans ses espoirs qui ne se réaliseraient sans doute jamais. Tous ces rêves que son cerveau fomentait : il fallait absolument qu'il s'en détache. Tous ces vestiges écrits et photographiés conservés dans son téléphone devaient être supprimés également, au même titre que ce numéro qui composait sa vie d'un simple coup de fil. Ce collier décorant tous les jours son tour de cou, dont le pendentif était en accord avec ses jolies prunelles, devait être arraché puis jeté aux orties. Jamais plus il ne retrouverait les bras consolateurs du basané, ni les magnifiques poèmes qu'il lui dédiait et lisait. Non, leurs prénoms concordaient plus avec « insuccès » que « réussite ». La réalité blessait et décevait. Par ses délires nocturnes, Jeongguk compensait le néant instauré par cette séparation non voulue entre lui et sa flamme jumelle. Il entretenait sa souffrance à travers une réalité artificielle, factice et cet univers alternatif concocté par ses soins était bien plus enchanteur que de se confronter à l'évidence. Ce mécanisme ne pouvait que confirmer la nature masochiste de Gguk : il s'enfermait de lui-même dans un cercle vicieux, prisonnier de ces chaînes le reliant à sa source d'obsession. Où irait-il après tout, s'il brisait cette cage ?
Sa nature le rattrapa lorsqu'il ressentit un flot soudain de plaisir se propager en lui, le faisant rouler des yeux et entrouvrir les lèvres sans qu'aucun son n'en sorte. Il ne pourrait jamais se défaire de l'emprise de Taehyung et de cette prison qu'il s'était construite, brique après brique, pour se punir de l'abandon de son aîné et nourrir ses espérances vaines. Il y avait une sensation presque divine à chacune de ses songeries nuiteuses : celle de danser avec le Diable, de n'être qu'un pécheur de plus malmené par le charme de celui-ci. À la seule différence, Jeongguk lui avait promis son âme et son cœur réunis en entrevoyant l'ange derrière son regard malin, ses cornes et sa queue fourchue. Ce diable qu'il connaissait était bien différent de celui décrit dans la Bible : abordable, sentimental, torturé, addictif, destructeur ; ambivalent, humain. Le péché avec lui avait l'allure d'un bel accomplissement et il ne pouvait résister à celui de la chair, bien trop tentant pour s'en priver.
D'exquises allées et venues chouchoutaient l'antre du noir de jais, son boxer désormais glissé jusqu'à ses chevilles. Taehyung martelait sa boule de nerfs à l'aide de ses doigts et Jeongguk ne pouvait rien faire à part vocaliser son plaisir à foison, de la buée germant sur la vitre. Ses mains reposant contre celle-ci, Gguk se maintenait, pensant qu'à tout moment il s'écroulerait par terre. Un mouvement un peu plus fort que les précédents, ses doigts se contractèrent. Un autre s'ensuivit et l'une de ses mains frappa le carreau, son plaisir de plus en plus difficile à maîtriser.
— Je veux mes lèvres partout sur ton putain de corps, grogna Tae tout contre l'épaule du plus jeune, couverte d'une morsure fraîchement apposée.
À ces mots, l'étudiant se cambra, son postérieur allant à la rencontre de la façon la plus aguicheuse qui soit de l'entrejambe encore recouverte de plusieurs couches de tissus du plus vieux et soupira, impatient :
— Alors qu'est-ce que tu attends ? Dévore-moi tout entier !
En guise de réponse, l'employé de cantine lui attrapa la mâchoire et fit pencher sa tête vers l'arrière pour l'embrasser durant de longues secondes, caresse buccale témoignant tout son désir pour son cadet. Celui-ci se retourna de lui-même et sans qu'il ne s'y attende, Taehyung le porta par dessous ses cuisses et l'amena jusqu'à la table du salon. À aucun instant, ils ne rompirent leurs baisers. La folie amoureuse qui émanait d'eux imprégnait graduellement cette pièce aux couleurs de l'interdit. Tae perpétua ses caresses dans les vallées du plus jeune qu'il aimait cajoler, ce dernier assis sur le meuble et le ceinturant de ses jambes. Ils mirent un terme à leur fol échange torride, la respiration anarchique. Le châtain profita de cette pause pour reculer un peu et avoir une meilleure vue d'ensemble de son vis-à-vis. Un sourire taquin se dessina sur son visage tandis qu'il approcha l'une de ses mains près de celui de Jeongguk.
— Un pull blanc, vraiment ? Mon ange, tu n'inspires pas du tout la candeur en ce moment même. Tu t'en doutes, n'est-ce pas ?
Pendant que Tae lui octroyait un toucher délicat sur l'une de ses joues — comme s'il pouvait se briser tel du verre — Gguk le dévora des yeux, yeux qui étaient inondés de luxure.
— Qu'est-ce que je t'inspire, alors ? minauda-t-il, ses paumes vagabondant sur le dos bien bâti de son aîné.
Le pouce de cette même main qui flattait son visage partit à la rencontre de ses lèvres rougies, gonflées par leur écart de conduite. Il retraça le contour de ses croissants de chair avec minutie. Aussitôt, à cet énième contact sensuel, Jeongguk sentit son bas-ventre s'embraser lentement une nouvelle fois et dut se contenir de toutes ses forces pour ne pas aller capturer ce doigt dans sa bouche pour lui administrer quelques sévices guidées par l'envie de provoquer, d'être roué de coups de reins impitoyables en guise de correction.
— Un péché sublime que je veux mettre en pratique, sans jamais me lasser ni même éprouver de regret. Tu sais que je ne peux pas me passer de toi... J'en veux toujours plus quand il s'agit de toi. Mon désir pour toi est insatiable, trésor.
Alors qu'il poursuivait sa longue caresse contre les lippes envieuses du plus jeune, Tae cessa tout mouvement. Quelque chose avait l'air de le préoccuper.
— Ne bouge pas.
Taehyung tira sur la manche de sa chemise avec l'une de ses mains, l'autre occupée à tenir droit son visage avec délicatesse, et apporta le tissu tout proche des narines de Jeongguk qui resta assis sagement sans bouger, de l'interrogation vacillant dans son regard.
— Tu saignes un peu, commenta le châtain.
Pendant que celui-ci essayait de calmer le saignement, le noir de jais rougissait, redevenu subitement ce garçon tout chaste avant sa rencontre avec lui. Son petit cœur faisait un boucan affreux dans sa poitrine face à la prévenance de son aîné. Les marques d'affection qu'il lui témoignait lui faisaient toujours cet effet-là. Quant aux preuves de désir envers lui, elles l'excitaient follement au point que quelques gouttes de sang s'échappaient de temps à autre de ses narines. Comment pouvait-il rester parfaitement calme alors que cet homme de presque trente-ans le rendait toute chose ? Ça devrait être considéré comme un crime d'être aussi sexy par son élocution, son attitude et ce physique que la Nature lui avait donné comme cadeau de sa venue au monde.
— C'est moi qui te mets dans cet état ? demanda Taehyung, un doux sourire se formant sur son visage.
Instinctivement, Gguk hocha la tête avec timidité, sans pouvoir exprimer sa pensée à haute voix. Le plus âgé gloussa à sa réaction, la trouvant plus qu'adorable. Elle avait de quoi faire fondre les cœurs, même les plus insensibles.
— Dis-moi toutes ces choses impures que tu veux me faire.
L'allure innocente, les pensées pleines de dépravation : la description parfaite qui résumait qui était vraiment Jeongguk. L'une de ses poignes alla tirer le pan de la chemise de son homme, pressé d'ouïr ses envies odieusement alléchantes. Tae pouffa avant de confesser sur un air taquin :
— Si tu savais... Ça relève de la perversion, mon ange.
— S'il-te-plaît, hyung– Ah !
Douleur et plaisir se mêlèrent sans prévenir lorsque Jeongguk sentit Tae presser son membre palpitant entre ses doigts. Les ongles de l'ébène s'enfoncèrent immédiatement dans le coton composant le haut de son ancien amant, à cet attouchement inopiné. Taehyung, lui, jubilait. Il rapprocha son visage tout près de celui du plus jeune, de la malice teintant ses obsidiennes, les commissures de ses demi-lunes retroussées en une courbe joueuse et l'imita en reproduisant son gémissement. Gémissement qui alla se fondre tout contre ses lippes pulpeuses.
— T'es ho– horrible ! se plaignit Jeongguk.
— Vraiment ?
Il s'apprêtait à répliquer mais ne dit rien, se perdant peu à peu dans la lueur qui crépitait au fond des yeux de l'employé de cantine. Il frissonna, réduit au silence par l'intensité de ce regard qui le pénétrait jusqu'à l'âme. Oui, Gguk était profondément intimidé par cette contemplation à laquelle Taehyung s'adonnait sur lui. Face à ses pupilles, il avait la sensation d'être la concurrence même d'Apollon. D'être important, d'exister. Parce que tout prenait sens quand Tae le couronnait de louanges muettes où tout passait par ses yeux. C'est bien connu, les yeux sont les fenêtres de l'âme. En examinant au travers, Jeongguk voyait bien que l'adoration que lui vouait le châtain allait au-delà de cette fidélité qu'il portait envers le Seigneur. La présence de l'étudiant était concrète ; celle de Dieu était discutable. Il avait fait plus de choses pour lui en étant simple mortel, qu'un être suprême adulé depuis des siècles dont l'existence n'a jamais été prouvée, seulement par l'écriture de textes sacrés. Tae avait envoyé dans les limbes sa foi religieuse et prônait désormais une foi amoureuse, croyance qu'il dédiait envers le seul qui détenait véritablement les pleins pouvoirs sur son être, qu'il considérait comme un miracle à échelle humaine : celui qu'il surnommait par la douce et symbolique appellation « mon ange », celui qu'il avait crucifié sur cette croix de saint André tel Jésus.
— Mon amour, nous savons très bien tous les deux que tu adores quand je te malmène et que tu tiendras un tout autre discours lorsque je serai enfin en toi. Tu sais ce qui serait réellement horrible ? Que je te laisse avec cette gêne entre les cuisses.
Il n'est pas sérieux ?
— Tu n'oserais tout de même pas ? Si ?
— Sinon quoi ? Qu'est-ce que tu vas faire ?
Sans sourciller, Jeongguk caressa de bas en haut la bosse naissante du châtain avant de susurrer un « moi aussi, je peux jouer avec le feu ». Il la pelota, la pressa du plat de la main et lorsqu'il s'apprêta à défaire la ceinture de son aîné, celui-ci attrapa ses mains et le poussa à s'allonger sur la table. À sa totale merci, Taehyung saisit cette opportunité pour le reluquer de tout son long. Il ne pouvait faire autrement. Peu importe combien il essaierait de détourner le regard, il n'y arriverait pas. De toute façon, il n'avait même pas envie d'essayer. Il désirait même regarder ce corps qui le faisait tant rêver encore et encore, sous toutes ses coutures. Ce pull, qui le préservait, révélait une partie de son ventre ciselé d'abdominaux, la pureté de sa peau et sa virilité gorgée de plaisirs inassouvis. Jeongguk remarqua bien l'intérêt tout particulier que Tae vouait à son apparence. Ça l'amusait autant que cela gonflait son ego.
— Fais attention, tu as de la bave qui coule au coin de tes lèvres, le charia-t-il.
Taehyung pouffa de rire à sa remarque avant de secouer doucement de la tête.
— Tu n'en rates pas une, toi.
— C'est que tu commences à beaucoup déteindre sur moi ces derniers temps, faut dire.
— Je vais déteindre sur toi d'une tout autre façon sous peu, tu sais ?
Jeongguk comprit de suite le sous-entendu du plus vieux et se tut, le rouge lui montant aux joues et son cerveau imaginant mille manières dont Tae pourrait mettre son imprégnation à exécution. Bordel, que son ventre lui faisait mal.
— Tu sais ce que j'ai vraiment envie de te faire ?
Sa voix avait baissé d'une octave. Elle était chaude et abyssale, l'équivalent d'une caresse sensuelle le long de la colonne vertébrale. À elle seule, elle pouvait engloutir tout entier Jeongguk qui frémissait à son entente. Il secoua négativement la tête, ses mirettes accrochées à celles de son amoureux.
— Te faire l'amour dans chaque recoin de ton appartement. Sur cette table, le comptoir de ta cuisine, contre le mur de l'entrée, à même le sol de ta chambre... Partout. Tu aimerais ça, pas vrai ? Peau contre peau, toi me suppliant d'aller toujours plus vite et moi répondant à tes désirs. Je te dirai à quel point tu es bon, combien c'est incroyable d'être en toi. Je ferai l'éloge de ta beauté en te couvrant de baisers, en te montrant à quel point tu m'enivres, va-et-vient après va-et-vient. Tu continueras de m'implorer, telle la pauvre petite chose nécessiteuse que tu es, jusqu'à ce que l'orgasme te terrasse. Allez bébé, dis-moi à quel point tu veux que je te baise. Doucement ? Durement ? Comment me veux-tu ?
— Taehyung... soupira Gguk.
— Confesse-moi tes envies, mon bel ange. Quels obscurs péchés souhaiterais-tu mettre à l'œuvre ? Hm ?
— Tais-toi, tais-toi !
C'était un supplice. Taehyung avait ce don de le torturer avec de simples mots. Des mots qui aiguisaient son esprit dévergondé, qui accentuait le désir qu'il éprouvait envers lui, qui distordait ses entrailles. Comme toujours, il était doué pour l'amadouer ainsi. Qu'il me prenne à même cette satanée table, rugissait son esprit.
— Dis-le moi. Hurle-moi que tu as tout autant envie que moi.
— Je refuse !
— C'est drôle, ton comportement ne suit pas avec ce qui sort de ta bouche. J'ai juste à poser le regard plus bas pour voir que tu es en train de m'ouvrir les portes de ton paradis.
En effet... Les jambes de Gguk étaient complètement écartées pour pouvoir accueillir comme il se doit le plus âgé. Il ne tenait plus en place. Sa raison et son corps ne se suivaient plus. Il ne restait plus que son organe vital au bord de l'implosion et cette pulsion qui l'emportait sur tout ce qu'il s'était fixé avant cet énième confrontation avec le châtain. L'obsession finissait toujours par gagner. Indéfiniment.
— Je te veux... Je veux sentir que tu es bien là avec moi, en moi, finit-il par avouer.
Emporte-moi dans ton royaume infernal, mon beau démon. Étreins-moi de tes flammes et brûlons ensemble, de notre amour instable qui ne connaîtra jamais la paix.
— J'ai besoin de savoir que tu existes bel et bien, que tu n'es pas un mirage...
Tu étais tout ce dont j'ai rêvé, tout ce que j'avais de plus cher...
Tout ce que je n'aurai plus.
— Alors fais-moi catleya*. Guide-moi jusqu'au Septième ciel comme tu sais si bien faire...
Gguk releva lentement la tête et susurra tout près des croissants de chair de Taehyung :
— Réjouis-moi, mon beau châtain.
Plusieurs micro-secondes défilèrent où les deux hommes se jaugèrent calmement. L'une des mains de Tae, qui maintenait jusqu'alors les poignets de l'ébène, alla coincer derrière l'oreille de celui-ci quelques mèches rebelles dans un geste délicat.
— Patience, mon lapin. Un orgasme se prépare longuement et bien avant le bouquet final.
Il humecta ses lèvres, ancra un peu plus intensément ses pupilles dans celles de Jeongguk et dit :
— C'est pour cela que tu vas te préparer devant moi en appliquant tout ce que je t'ai appris.
Me toucher ? Juste devant lui ?
Jeongguk redevint silencieux, les joues rouges, tentant de s'approprier le souhait de son aîné. Il mordilla sa lèvre inférieure, embarrassé et le regard fuyant vers la large baie vitrée donnant vue sur les autres appartements environnants comme pour se réconforter. Il n'avait jamais fait ça auparavant. Derrière un écran, c'était bien plus simple car il y avait une distance imposée qui le séparait du châtain. Là, Taehyung était juste au-dessus de lui, ses yeux perçants rivés sur lui avec beaucoup d'intérêt et d'envie. Ce n'était pas du tout pareil. D'autant plus que les résidents d'en face pouvaient voir depuis chez eux ce qu'il se tramait chez lui. Le voyeurisme, très peu pour lui. En prenant conscience de ce dernier détail, Gguk ramena ses bras contre sa poitrine, la respiration loin d'être au repos, l'esprit rempli de tracas.
— Mais hyung... On va nous voir, contredit l'ébène, d'une voix incertaine.
— Ça ne te gêne pas pourtant, quand c'est toi qui prend les devants.
Silence total du côté du plus jeune. C'est toujours différent et plus compliqué quand il s'agit de soi et non des autres. Tae reprit plus doucement la parole.
— Ne veux-tu pas montrer au monde entier que tu es à moi, tout comme je suis à toi ?
Jeongguk fronça les sourcils, pesant le pour et le contre, les pupilles toujours fixées à cette grande fenêtre.
— Ils verront peut-être ce qu'il se passe mais n'entendront rien, il n'y a que moi qui puisse ouïr tes gémissements. Ils se contenteront de nous dévisager avec de la jalousie mal placée car nous possédons à nous deux ce qu'ils ne gagneront jamais. Ne te contiens pas, Jeongguk. Joue avec ton corps, taquine-le, apprécie chaque caresse que tu lui octroies comme si c'était moi qui te le faisais. Ne me quitte pas des yeux et aime-toi, mon ange. Par ce plaisir que tu vas te donner, par mon regard énamouré sur ta chair exaltée.
Comment faisait Taehyung pour trouver les bons mots à chaque fois ? Chacune de ses paroles n'étaient jamais sans conséquence. Elles l'amenaient aussi bien au Paradis qu'en Enfer et dans ce cas-ci, elles le guidaient vers la jouissance absolue. Suivant ses indications sans l'abandonner du regard, Gguk porta l'une de ses mains à son antre, aidée par la poigne du plus âgé qui veillait à ce qu'il ne se fasse pas mal.
— C'est à toi de jouer, à présent. Divertie-moi, excite-moi et surtout : amuse-toi !
Le noir de jais mit alors à exécution les demandes de son bien-aimé, son échine s'arc-boutant tout contre le bois du meuble. Il partit à la recherche de son point sensible tout en prenant connaissance des limites de son anatomie. Il n'avait jamais pensé à faire ça par lui-même car depuis qu'il avait mis le pied dans le monde du sexe en fréquentant Taehyung, il s'était dit qu'il n'y avait que celui-ci qui arrivait à lui procurer du réel plaisir et que faire cela seul était moins prenant. Ce coup-ci, les sensations étaient électrisantes, au point que sa main libre s'accrochait au rebord de la surface sur laquelle il reposait. Du regard, Taehyung l'encourageait et lui transmettait beaucoup plus de détermination, à mesure que sa timidité se dissipait. Gguk avait envie de se surpasser pour son hyung. D'aller toujours plus loin dans ses retranchements pour lui et ce, de façon déraisonnable tant que celui-ci était satisfait. Car sa satisfaction comblait la sienne et c'était tout ce qu'il lui importait. Si l'adulte voulait qu'il s'apprécie dans ses moindres détails alors Jeongguk le ferait. Qu'importe ce que Tae voulait, Jeongguk le lui accorderait. Penser aux autres avant de penser à soi, telle était sa devise.
Il essaya de réprimer ses couinements coûte que coûte. S'il les laissait déborder de sa bouche, ils empliraient l'espace au point de réveiller tout le voisinage. Remarquant la retenue de son cadet, Taehyung claqua plusieurs fois sa langue contre son palais et se pencha pour caresser son visage dénaturé par le désir.
— Gguk, Gguk, Gguk... Pas de ça avec moi. Pourquoi se retenir quand on a une voix aussi mélodieuse ? Ne te retiens jamais en ma présence. Offre-moi à chacun de ces instants le meilleur concert érotique dont tu en es capable.
— Tae, j– je veux plus !
— J'abrègerai tes souffrances dans quelques minutes, c'est promis. Pour l'heure, remue encore un peu ces doigts pour moi et crie ton euphorie.
Jeongguk se tordit davantage, perpétuant ses mouvements en lui, presque en transe, les yeux fermés. En quête du spasme ultime qui le clouerait sur la table, il continua ses va-et-vient sans relâche tout en baragouinant des suppliques déformées par l'excitation qui l'ébranlait. Plusieurs secondes s'écoulèrent et lorsqu'il rouvrit les yeux, le jeune homme manqua de s'étrangler dans l'un de ses cris. Pile au milieu de son champ de vision, il pouvait voir Tae tirer le tissu de son pantalon au niveau de son entrejambe, se sentant sans doute compressé par son vêtement.
Puis, les mirettes de l'ébène remontèrent un peu plus haut et s'arrêtèrent sur sa ceinture en cuir. Il la lorgna longuement. Fixement. Intensément. Son cerveau lui envoya de nouvelles images abondantes de choses insensées à la vue de ce simple accessoire, tout comme ce fut le cas à la découverte de la crux decussata bâtie par Tae quelques semaines plus tôt. Il prit de profondes inspirations, sans jamais détourner le regard du bassin de l'employé de cantine, des envies inhabituelles envahissant son esprit. Ce morceau de cuir serait intéressant autour de sa propre gorge ou autour de ses poignets fragiles. La douleur qui en ressortirait serait à la hauteur de son ardeur, de sa culpabilité vis-à-vis de son beau châtain. Une bonne correction qui le libérerait de son manque et qui excuserait ses abandons répétés envers le seul être qui l'avait sortie de la monotonie de la vie, à qui il devait beaucoup de faits bénéfiques et mauvais. Je t'aime, je te déteste, reviens, pars, embrasse-moi, rejette-moi, je te veux ; voilà de quoi avaient l'air les pensées de Gguk quand il était question de Tae. Mais intimement, Jeongguk le savait. Il le chérirait autant qu'il affectionne le pendentif émeraude autour de sa nuque dont il ne se séparerait jamais. Il le voudrait toujours, dans la délectation comme dans la souffrance. Et jamais, il ne se pardonnerait pour tout le mal commis à l'égard de son seul et unique amour. Parce que pardonner, ce serait oublier. Et oublier ses erreurs ferait de lui un être immonde, indigne d'être aimé.
Sa main stoppa peu à peu ses allées et venues et lento, il la leva ainsi que son autre main.
— A– attache-moi... demanda-t-il, ses poignets joints et tendus vers le plus âgé. Malmène-moi jusqu'à ce que j'en pleure, mon amour. Je t'en prie... Je me languis de te sentir tout près de moi.
Sa voix tremblait. Les battements de la pièce reprenaient une cadence plus vive, en harmonie avec ceux de sa poitrine. Il n'avait encore jamais formulé une telle demande auparavant. C'était une grande première, une première parmi tant d'autres réalisées avec Taehyung. Jeongguk crut voir une émotion vaciller dans les obsidiennes de celui-ci.
— Parle-moi mal, fais répondre mon corps et mon esprit à tes mots. Ton regard... Le tien non plus ne me ment pas. J'adore quand je peux y lire combien tu me veux et à quel point tu es amoureux. Alors, fais. Emporte-moi jusqu'aux cieux tout en me mettant plus bas que terre. Je le mérite.
Tae examina en silence Jeongguk avant de le surplomber, les petites mains de ce dernier reposant dès lors contre son torse encore recouvert de sa chemise noire. Une autre caresse contre sa joue avant de s'attarder plus longtemps sur son cou, puis il dit à voix basse :
— Je répondrai à chacun de tes désirs, bel ange. Peu importe leur nature, tant que c'est ce que tu souhaites.
Délicatement, Tae défit sa ceinture et l'enroula autour des poignets de Jeongguk avec précaution, de sorte qu'elle serre suffisamment pour les maintenir sans lui couper la circulation sanguine.
— Ça ne te serre pas trop ? Tout va bien ?
— Tu as mon feu vert, Taehyung.
— Tu es sûr ? Stoppe-moi dans l'immédiat si je vais trop loin, en utilisant ton safeword.
— À mille pour cent. Ne t'inquiète pas.
— Justement. J'ai toutes les raisons du monde de m'inquiéter pour ton bien-être. Je ne veux pas t'effrayer, ni te briser une fois de plus.
Quelques centimètres les distançaient de leurs faciès respectifs. Taehyung avait redoré cet air soucieux que Gguk avait pu entrevoir en de rares occasions. Cela le touchait à chaque fois et lui donnait l'impression d'être important. Qu'est-ce que cela lui manquait.
— Ça ne se produira pas. J'ai foi en toi, tout ira bien. Si cela venait à déraper...
Il marqua une courte pause puis reprit, avec sang-froid :
— Alors je ferai tout mon possible pour te ramener à la raison, encore une fois.
— Tu serais donc prêt à laisser ta peau pour nous ? Pour moi ?
— Mon mental également, s'il le faut. Je n'ai plus rien à perdre.
Alors reste avec moi. Ne t'évapore pas, je t'en conjure.
— Ce n'est pas rien ce que tu dis là. En as-tu bien conscience ? interrogea Tae, les mains de part et d'autre de la tête de l'ébène.
— Et alors ?
— C'est insensé, Jeongguk.
— Notre relation n'a jamais eu aucun sens. Une divagation de plus ou de moins, qu'est-ce que ça change ?
— Beaucoup. Un écart de conduite est un pas de plus dans notre folie à deux.
— Sombrons ensemble, dans ce cas.
Jeongguk n'en démordait pas. Tout ce qu'il désirait, c'était resté auprès du plus vieux. Celui-ci considéra sérieusement les propos du benjamin et opina du chef avant de braquer ses iris ténébreux sur son visage et de positionner ses bras ceinturés au-dessus de son crâne contre la table, semblant avoir pris sa décision.
— Je te malmènerai donc comme bon me semble. À partir de maintenant, tu n'es pas autorisé à jouir jusqu'à ce que je t'en donne la permission. Par contre... Tu es libre de crier mon prénom autant que tu le veuilles, de m'implorer comme la malheureuse petite chose que tu es, que je vais abîmer pour mieux reconstruire ensuite. Paré au décollage, amour ?
Gguk ferma les yeux, comme soulagé de la réponse de Tae, imaginant les prochaines minutes qui suivraient. Oui, il était plus que prêt que l'entièreté de son être subisse, chavire, s'enfonce dans cette névrose qui n'était propre qu'à lui-même : à mi-chemin entre la lutte contre ses traumas et la complaisance dans ceux-ci.
Détruis-moi pour me garder. Noircis-moi un peu plus pour que je puisse pleinement étinceler.
Le jeune homme lâcha prise, formant un arc parfait à l'entrée du châtain en lui. Le décor les entourant tanguait, pulsait puissamment et le halo rouge vif s'intensifia, vibra d'un cran tout comme les for intérieurs des deux amoureux transis unis sur cette table, point de fuite de cet espace caniculaire. Jeongguk perdit à nouveau le sens de la réalité dans sa rêverie, enchaîné à ces scènes qui se répétaient lorsque le sommeil venait. L'autre « lui » n'avait pas tort. Son mental et son cœur étaient atteints, ravagé par ses sentiments paradoxaux qu'il vouait pour son aîné de sept ans. En se privant de vivre l'histoire d'amour qu'il avait toujours envisagé avec lui, Gguk ne savait plus quelle direction prendre et perdait les pédales. Mais que faire quand la relation que vous avez construite avait plus l'allure d'une magnifique tragédie que d'un conte de fée sonnant creux ?
Cette question rhétorique, confession intime du plus jeune, le tua pour la on-ne-sait-combientième fois, dans la tiédeur de ses draps.
Comme Jeongguk aurait aimé que tout soit différent... Oh oui, toute cette histoire aurait été plus belle s'il en détenait le plein pouvoir.
__________
Note de l'auteure :
* Faire catleya : métaphore utilisée par Swann et Odette du roman "Un Amour de Swann" de Proust signifiant "faire l'amour". (Le catleya est également une fleur du même type que les orchidées)
Je suis si contente de vous retrouver en ce deuxième jour de vacances de Pâques, mes amours ! 🥺 J'espère que vous allez toutes et tous bien depuis le temps et que tout se passe pour le mieux pour vous ! ❤ De mon côté, je peux enfin souffler un peu avant mes examens finaux à la fac. Je vous avoue que je suis très mitigée quant à mes résultats. Je me sens très fatiguée mentalement vis-à-vis des études, j'ai juste hâte que ça prenne fin. J'ai vécu le temps de quelques jours le syndrome de l'imposteur : je ressentais l'envie de me barrer de classe à plusieurs reprises parce que je ne me sentais pas légitime d'être parmi mes camarades suite à une série de mauvaises notes. Beaucoup sont dans l'optique de continuer leur master de suite dès septembre, puis il y a moi qui veux faire une coupure d'un an pour me ressourcer et avoir assez d'argent pour payer l'inscription et le logement quand j'aurais mon master. J'ai l'impression d'être une arnaque à côté de mes potes de classe, c'est horrible 😭 Mais j'essaie de tenir bon, d'avoir cette licence. J'envoie beaucoup de courage à toutes celles et ceux qui passent sous peu des examens scolaires, vous pouvez y arriver ! 💪
Pour revenir sur ce long chapitre : la rédaction a été très fun ! Je me suis éclatée, même si certains passages m'ont donnés du fil à retordre. Vous l'aurez compris ici, il est question du manque qu'éprouve Jk vis-à-vis de Tae, de l'emprise que celui-ci exerce même s'ils ne se voient plus (enfin, ils se croisent à la fac mais vous m'avez compris). Jk cherche à s'échapper de celle-ci sauf que le mal est fait : il s'est crée de lui-même une prison "psychique" en rêvant constamment d'eux-mêmes s'abandonnant à la luxure, le soir. Etant donné que leur relation reposait sur un nombre de rapport sexuels assez conséquent, né de cette peur presque paranoïaque que leur union se stoppe du jour au lendemain, cela a des conséquences dans les deux camps. Le moindre fait qui touche le domaine du sexe ravive le manque de Jk par rapport à ces moments charnels passés en compagnie de Tae. C'est un peu comme un drogué en manque de sa dose, si l'on devait faire une comparaison. Cette prison mentale que Jk s'est forgée avec le temps, c'est à la fois pour échapper à la réalité (se créer une réalité propre où lui et Tae continuent de se voir) mais également pour se punir d'être parti, qu'ils se soient séparés parce qu'il est persuadé que tout ce qui leur est arrivé est de sa propre faute, jusqu'à chercher à potentiellement se traumatiser à nouveau. Parce que Tae est son monde, celui qui peut le faire briller tout comme le condamner. Parce qu'il s'en veut toujours autant au point de se haïr. On est pour le coup dans une forme extrême de détestation de soi, dans une forme poussive de l'obsession et je crois qu'on trouvera pas pire comme preuve de masochisme. Pas dans le sens sexuel de la chose, mais dans le désir volontaire de se faire souffrir parce qu'on pense avoir commis une faute envers quelqu'un et l'on se porte comme entier responsable de cette faute. Et bien évidemment, Jeongguk adorerait qu'ils soient à nouveau ensemble pour de vrai mais il a bien conscience maintenant que pas mal d'éléments font que leur relation est plus vouée à l'échec qu'à la réussite et il doit vivre avec cette idée en tête.
De l'angst avec du cul, qui l'eut cru ? (ça rime, putain 😭)
Vos impressions ?
Heureux.ses de retrouver cette histoire ?
Que pensez-vous de Jk ?
Comment pensez-vous que les choses vont évoluer pour la suite entre lui et Tae ?
Avez-vous des attentes particulières pour la suite ?
So Close to You est actuellement en cours de réécriture : tout est revu de fond en comble pour vous offrir une version bien meilleure que la version actuelle en ligne sur mon compte et une fois celle-ci postée, So Far But Closer to You suivra le même chemin. Tous deux auront de nouveaux titres qui seront définitifs (que j'ai déjà trouvé) pour que ce soit plus simple à retenir, à agencer pour un cover et encore pour tout un tas d'autres raisons ! Je vous rassure, ça n'entachera pas le fond de la trame ou quoi. Je tiens par ailleurs à vous remercier pour les 300k de lectures sur le premier tome, vous êtes les meilleurs ! J'espère que sa réécriture vous plaira bien plus que la version actuelle et que la suite du second tome vous plaira. Je prévois énormément de choses pour la suite de cette histoire qui prendront du temps à être planifiée mais je préfère prendre tout le temps nécessaire pour vous offrir le meilleur avec cette intrigue ! Je considère vraiment le projet de So Close / So Far (+ le futur troisième tome) comme un projet de tout une vie et j'ai envie de me dépasser, de faire en sorte que ce soit mon projet le plus abouti !
Merci encore mille fois pour tout et je vous dis à très vite ! Prenez bien soin de vous, surtout, et passez de bonnes vacances mes amours ! ❤
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