La Reception 6/8 🍋 ✔️
Lorsque Jaya et Vadim réintégrèrent le banquet, ils attirèrent tous les regards, y compris ceux de la table royale. Un instant, la princesse redouta qu'Horngrad, fort de sa langue pendue, ait révélé ce qu'il avait vu dans le couloir des archives. Si tel était le cas, elle ne s'en remettrait pas. Heureusement, face aux premières interrogations sur son état, elle esquissa un sourire préfabriqué. Si Frost fut aisément rassuré, constatant qu'elle se portait mieux, Leftheris demeura perplexe. Rien n'échappait à son regard perspicace.
Ses lèvres charnues étaient dépeintes de leur rouge sanguin faisant monter le sien à ses joues. Ses cheveux, d'ordinaire si lisses, arboraient çà et là quelques épis. Mais ce qui le frappa le plus, c'était cette infime trace grenat déposée sur la soie du masque blanc de Vadim. On aurait dit qu'un doigt malhabile avait tenté, sans succès, de l'estomper.
Avaient-ils réellement osé mentir et s'éclipser lors d'un tel événement pour ce genre de choses ? C'était si impoli... Si audacieux...
Peut-être qu'il en aurait été capable, lui aussi...
Au plus tard de la nuit, l'édifice s'évida progressivement de ses convives repus et enchantés de leur soirée. Les Blanchecombe régnaient, sans conteste, en maîtres dans l'art d'orchestrer des événements grandioses. Cette fête ferait encore résonner son écho à travers tout Cassandore pendant des semaines.
Byron avait réservé pour le roi Frost la chambre d'ami royale. Une suite située au troisième étage, dont le luxe frôlait l'indécence. Marbre d'ivoire et fauteuils de velours se mariaient harmonieusement aux moulures dorées esquissant un soleil au plafond. Il fut même étonné de découvrir une généreuse corbeille de fruits déposée près de son lit à baldaquins. Les Blanchecombe excellaient dans l'art de recevoir, cela ne faisait aucun doute.
Or, Frost était encore si loin du sommeil.
Les échanges politiques et les responsabilités s'étaient éternisés jusqu'à la fin de la réception. Désormais, dans la quiétude retrouvée, il pourrait enfin partager un moment avec sa fille. Un paquet déposé près de ses bagages, Frost esquissa un sourire. Il ne l'avait point oubliée et espérait que ce modeste et bien qu'insignifiant présent raviverait en elle le souvenir de sa terre natale.
Sortant de sa chambre, son cadeau sous le bras, Frost leva les yeux vers les hauteurs ; quelle impressionnante tour ! Contempler le plafond ouvert lui procurait une sensation vertigineuse. Quelle prouesse architecturale que d'ériger un tel édifice. Il était le jour et la nuit face à son modeste château de pierres au charme séculaire.
— Cher Frost, vous visitez ?
Derrière lui, des pas retentirent sur la passerelle. Byron arrivait avec ses fils sur les talons.
— C'est très tentant, mais malheureusement non. Je visiterais demain, mon ami, j'aurais tout mon temps. Pour l'instant, je vais rendre visite à ma chère fille et voir comment elle va. Où puis-je la trouver ?
— Elle est dans sa chambre, à l'avant-dernier étage. Passerelle de gauche, l'informa Vadim.
— Je vous remercie. Où allez-vous comme ça, à cette heure tardive, messieurs ?
— Leftheris et Vadim s'en allaient voir si nos fortifications de gardes sont bien établies aux portes de la cité. Pour ma part, je vais me coucher. Cette réception m'a épuisé.
— Elle était fort prestigieuse, en tout cas, vous avez fait des étincelles. Je vous en félicite.
— Et je vous en remercie. Rien n'est trop beau si c'est pour accueillir chaudement nos invités venus de loin et présenter ma chère belle-fille à mon peuple. Celle-ci a fait l'unanimité, d'ailleurs. Mes convives étaient subjugués par sa grâce et son élégance.
— Elle fait l'unanimité partout où elle va, sourit Frost. Il en a toujours été ainsi.
— Avec une telle beauté et une telle présence, c'est un peu normal.
Vadim posa un regard glacial sur son aîné, auteur de ces paroles. Des lames acérées qui auraient pu le transpercer s'il avait osé lui soutenir le regard. Il ne s'y risqua point. Frost, quant à lui, esquissa une moue nostalgique dans sa barbe.
— Certes... Elle est belle comme sa mère l'était. Bien, je vais vous laisser à vos responsabilités, messieurs. Je vais aller voir Jaya avant qu'elle n'aille se coucher. Passez une bonne nuit.
Frost les salua finalement et tourna les talons sous les yeux lourds de Vadim. Il aurait tant voulu lui demander de souhaiter également bonne nuit à Jaya, sachant qu'il ne savait pas à quelle heure il allait rentrer. La laisser encore seule cette nuit lui bousillait le cœur, lui qui aurait tué pour finir ce qu'il avait commencé dans le couloir.
Il avait laissé s'éloigner son beau-père sans prononcer un mot. Il était préférable de rester silencieux face aux hautes sphères. Il avait déjà bien assez joué avec le feu au cours de la soirée. L'odeur du roussi commençait tout juste à s'estomper...
❅
Lorsqu'elle était entrée dans sa chambre, Jaya avait poussé un long soupir. Elle était soulagée de goûter enfin au calme et de se débarrasser de cette robe trop lourde qui s'affaissa sur les dalles froides. La majeure partie de cette réception avait été d'un ennui mortel ! Rien de comparable aux festivités villageoises où l'atmosphère vibrait de joie, même au cœur de la nuit, et où l'envie de se joindre à la liesse générale était stimulée par d'entraînantes mélodies, à l'image des célébrations organisées par les villageois d'Alhora lors des transitions saisonnières et religieuses. Au sein de la noblesse, tout était si formel, si crispé... Aucune chaleur ne se dégageait de ces regards hautains et de ces rires condescendants...
Heureusement, c'était terminé...
Elle aurait vendu son âme pour un bon bain chaud, une détente méritée après avoir courageusement survécu à ce trop plein écœurant de royauté.
La fatigue tirait les traits de son visage qui se reflétait dans le miroir de la coiffeuse. Dénudée, son regard s'y agrippa, évaluant avec insistance cette si belle et harmonieuse femme... Cette enfant d'autrefois n'était plus et la manière dont elle percevait son monde avait changé de façon drastique. Sa nudité ne la dérangeait plus autant qu'avant, elle avait pris goût à l'admirer.
Autrefois, dans son adolescence, son corps demeurait une enveloppe infranchissable où même ses propres yeux étaient défendus de se poser. Une gêne apposée de force face à l'évolution de ses formes. Les servantes ayant eu l'honneur de lui enseigner le concept de sa féminité lui avaient souvent répété que le corps d'une femme était un bien précieux qu'il fallait soigner et protéger, mais surtout ne pas abandonner aux mains de n'importe qui. L'objet de pudeur des nobles jeunes filles, des courbes défendues qui devaient être cachées et conservées uniquement pour le plaisir de l'époux, selon le vœu d'Ymos.
Longtemps, elle avait eu du mal à les regarder en face, tétanisée de toucher un point lui étant interdit avant sa majorité. Elle ignorait tout. Or, avec Vadim, elle avait appris à les trouver jolies, attrayantes... sensuelles. Plus féminines, matures et envieuses. Demandeuses... Jaya avait adopté une vision neuve de son propre corps, elle qui, par le passé, n'aurait même jamais eu l'idée que l'on puisse la voir comme quelque chose de... sexuel.
Seigneur... Ce mot la faisait tressaillir, même récité dans sa tête. Comment était-elle devenue à frémir devant un simple mot ?
Sa main droite appuyée sur le rebord de la coiffeuse, la gauche s'achemina presque d'elle-même sur son sein rebondi. Une tendre caresse qu'elle ne quittait pas des yeux à travers la plaque réfléchissante. Le bout de chair enfla, stimulé par ce contact, criant dans un chant muet son désir d'être touché. Sa lingerie avait été déchirée, elle avait été obligée de passer le reste de la soirée sans rien sous sa robe.
Ce moment dans le couloir avec Vadim...
C'était comme si elle sentait encore ses mains fantomatiques sur sa peau, ses lèvres immatérielles sur les siennes... Cette langue fougueuse dans son paradis, la chaleur qu'elle lui avait laissé. Par le ciel... Elle déglutit rien que d'y penser, pantelante face à ces sensations remontant en elle comme un geyser au point de lui compresser la gorge. Elle était nerveuse devant son propre reflet, devant ce qu'elle avait éprouvé, devant cette vague caniculaire qui se répandait dans son bassin en se remémorant moult fois la scène.
Lentement, elle écarta les cuisses, nue face à elle-même, à son image pervertie. Elle retint son souffle, se défia du regard. Jaya savait que c'était mal, vulgaire et honteux de le faire seule, mais...
Elle voulait sentir cela encore une fois... Même une seule seconde. Finir ce qui avait été commencé...
Sa main tremblante glissa sensuellement le long de son abdomen, se dirigeant doucement vers son entrejambe. Quelques secondes d'hésitation, un souffle saccadé, ses doigts se posèrent sur sa fleur sensible. La jeune femme fut surprise par l'humidité et la douceur de cet endroit de son être encore si peu exploré. Elle tâta sans vraiment savoir où chercher, jusqu'à ce qu'elle trouve ce point de son anatomie lui procurant des sensations bien plus exacerbées que tout le reste. Celui que Vadim connaissait par cœur.
Un frémissement roula jusqu'à son échine.
Elle aussi était donc capable de faire naître le plaisir, comme son mari le faisait ? Comment avait-elle pu ignorer cela ?
Fermant les yeux, un faible gémissement mourut entre ses lèvres. Ses doigts bougeant de façon désordonnée, Jaya sentait une balle de plaisir envahissante coloniser son bas ventre, gonflant comme le soleil au lever du jour. Sa main se raccrocha fermement au rebord de la coiffeuse, ses jambes flageolèrent, son murmure accéléra d'une décibel.
Elle avait l'impression que sa tête s'alourdissait et que le haut de son corps n'existait plus tant sa féminité lui pesait vers le bas, toujours plus avide. Elle s'arqua, paniquée en réalisant qu'elle perdait le contrôle sur ses mouvements devenant de plus en plus actifs.
Son imagination enflammée convoitait les doigts dansants et magiques de Vadim à la place des siens. Vadim... Elle ne voyait plus que lui dans ses rêves noirs et érotiques. Maudit soit ce mage de l'avoir rendue si dépendante et dévoyée ! Elle aurait tant aimé qu'il soit là, à cet instant, pour qu'il la punisse de s'acoquiner de ces plaisirs sans lui, d'être tachée par tant d'impureté...
Quelqu'un frappa à la porte de sa chambre.
Déverrouillant ses paupières, Jaya sursauta et interrompit brusquement ses caresses. Qui était-ce ? Pétrifiée, son souffle se bloqua soudainement lorsque de nouveaux coups retentirent. Ce n'était pas Vadim... Il ne prenait jamais la peine de frapper et entrait sans demander son reste. Embarrassée par sa situation qui écrasait les conventions morales, la princesse se redressa, reprenant rapidement ses esprits pour ramasser sa robe au sol et revêtir son long peignoir de satin.
— Oui... Oui, j'arrive !
Enfin habillée, Jaya expulsa un souffle fébrile afin de calmer sa montée en tension et la chaleur pulsant encore dans son intimité. Elle serra les cuisses, espérant que l'incendie s'apaise rapidement. Ouvrant doucement la porte, que ne fut pas sa surprise de voir le roi Frost sur le seuil, tout sourire.
— Père... ?
— Bonsoir, ma fille. Je voulais savoir si tu te sentais mieux ?
— Euh... Oui, pour... pour le mieux. L'alcool s'est très vite dissipé.
— Heureux de l'apprendre. Tu... Tu es seule ?
Jaya intercepta cette question avec une stupéfaction muette. Avec qui voulait-il qu'elle soit ? Son mari n'était pas là...
— Eh bien... Oui.
— Tu es sûre ? Je ne te dérange pas ?
Un petit peu... Jamais elle n'oserait lui dire cela ! Ressaisis-toi, Jaya, voyons ! Se frappant d'une violente gifle mentale, elle se mordit la lippe et se força à arborer l'un de ses nombreux sourires factices.
— Non, j'allais prendre un bain, mais ça ne presse pas.
— Un bain ? Mais je ne vois pas de servantes pour t'aider.
— Non, pas aujourd'hui, ces pauvres femmes ont besoin de repos après la réception. Je peux me débrouiller seule, ici. Ils ont des inventions incroyables qui facilitent énormément le quotidien, si vous saviez. Venez, entrez.
Elle se décala pour le laisser passer. Le souverain examina la chambre avec attention. C'était un bien bel endroit, très luxueux et fleuri pour l'occasion. Des grappes de lilas et de glycines, blanches et mauves, se balançaient au-dessus des rideaux. Sachant combien Jaya aimait les fleurs, il se réjouissait qu'elle puisse savourer ces merveilles parfumées. Cassandore en comptait de magnifiques en cette période.
— C'est donc ici que tu dors, maintenant...
— Oui.
— Avec Vadim...
Jaya détourna les yeux, le sang affluant à ses joues. Elle aurait parié qu'elle ressemblait à une vulgaire tomate écrasée dans une assiette. Elle ne faisait pas que dormir avec lui, ici... Si son père s'était attardé ne serait-ce qu'un instant sur son visage, il aurait compris que quelque chose clochait. Les yeux rivés sur la pointe de ses pieds nus, elle se composa un sourire de circonstance.
— Eh bien, oui... C'est une chambre conjugale.
Frost esquissa un mince sourire teinté d'un brin d'amertume. Quelle question absurde, pensa-t-il, prenant conscience de son audace. Comme s'il espérait qu'elle lui confirme le contraire. À trop s'en faire, il en perdait son sens aiguisé de la maîtrise personnelle. Portant finalement attention à l'expression de sa fille, son embarras flagrant le frappa. Les yeux de Jaya s'étaient écarquillés de façon infinitésimale lorsqu'ils les avaient croisés, mais bien assez pour qu'il le remarque. La gestuelle était parfois plus éloquente qu'un long discours.
Encore une fois, cette question était un mauvais choix...
Il ignorait si elle avait besoin d'épancher sa peine sur son épaule ou désirait ne pas développer sur le sujet. À vrai dire, il ne savait comment apporter le réconfort nécessaire à ce tendre morceau de lui attisant ses incertitudes. Elle était presque devenue distante, indéchiffrable. C'était cela devenir adulte... L'enfant se détachait du parent, tendait les bras vers quelqu'un d'autre... Un homme, ici...
Comment lui en vouloir ? Lui qui l'avait lui-même poussée dans cette direction.
Cependant, Frost savait comment gommer sa maladresse.
— Tiens, je t'ai ramené cela d'Alhora. J'ai pensé que ça te ferait plaisir d'avoir un morceau de ta terre natale à Cassandore.
Il lui tendit le paquet qu'il tenait sous son bras. Curieuse, Jaya s'approcha et l'en délesta. Un cadeau ? Qu'est-ce que cela pouvait être ? Il était soigneusement emballé dans un parchemin satiné et maintenu par un ruban indigo. S'asseyant sur son lit, elle le posa sur ses cuisses et l'ouvrit. Du bois noir laqué, recouvert de flocons bleuâtres, se dévoila.
Un hoquet la traversa.
— C'est... ma boîte à musique.
Avec l'entrain d'une petite fille, Jaya arracha presque les dernières couches protectrices pour révéler ce précieux sésame qu'elle effleura délicatement du bout des doigts. Elle ne s'y attendait pas ; quelle magnifique surprise ! Un sourire empreint de nostalgie illumina son doux visage.
Dans son enfance, Jaya adorait recevoir des cadeaux. Chaque anniversaire représentait pour elle une joie immense, un souvenir doux-amer. Le roi ne ménageait pas ses efforts pour choyer son unique héritière, pensant qu'ainsi, elle supporterait mieux la lourde solitude au sein du palais royal. Elle avait reçu cette boîte à musique à l'âge de quatre ans et ne l'avait jamais quittée, la gardant toujours à proximité lorsqu'elle s'endormait...
Sa tendre berceuse était sa préférée...
Elle n'avait pas une éraflure malgré les années, seul le souvenir tonique de sa mère lors des nuits de son plus tendre début de vie y restait imbriqué. L'ouvrant sous le regard affectueux de son père, une danseuse en sortit, tournant sans arrêt sur elle-même. Une toupie vêtue d'un voile vagabond et aux longs cheveux bruns s'enroulant à sa taille. La mélodie fragile qui s'en échappa imbiba les sens lointains de la princesse :
Fa, La, Fa, Fa,
Si, Mi, Do, Re,
Si, Do, Mi, Mi,
La, Re, Sol, Re,
Fa, Si, Si, Mi,
Sol, Re, Sol, Do...
Cette musique... Cette chanson, tout lui revenait en mémoire, éveillant en elle une émotion si intense qu'elle en avait presque les larmes aux yeux. C'était un si beau présent, exactement ce dont elle avait besoin pour nourrir ses nuits solitaires.
— M-merci, père... Je suis tellement heureuse.
Ses yeux humides se posèrent sur lui. Elle se leva alors pour se blottir dans l'étreinte rassurante de ses bras qui l'entourèrent aussitôt. L'âme légère, Frost ferma ses paupières et enfouit affectueusement son nez au sommet du crâne de cette précieuse poupée qu'il chérissait tant.
Une fille devenait une femme au mariage, mais une femme enfant le resterait à tout jamais aux yeux de son parent.
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