
Chapitre 26
Ashton
Je remonte le couloir du bâtiment principal au pas de course, pousse la porte et surgit dans le parc. Quelle putain d'idée de vouloir un rapport entre deux cours. Jeff choisit toujours le bon moment. Quand je l'ai informé, par message à la première heure ce matin, de ce qui s'est passé avec Tyler ce week-end, il m'a seulement ordonné de l'appeler à onze heures pétante. Il est cinquante-six, je suis dans les temps.
Clope au bec, je trouve un coin tranquille, l'allume et sors mon portable. Le pouce au-dessus de son nom dans mon répertoire, j'hésite. Mon côté emmerdeur a envie d'attendre de dépasser l'heure fixée d'une minute. Juste pour faire chier mon monde. Ok, peut-être aussi pour avoir l'impression que je n'obéis pas forcément à l'ordre qu'il m'a donné. Seulement, je me rappelle à quel point je merde déjà en entretenant cette relation avec Ellyn.
J'ai répondu à sa question, elle à la mienne. Les autres n'ont pas trouvé de réponses. Elle s'est jetée sur moi avant. D'un côté, ça m'arrange. Cette sensation qu'elle a, celle qui lui fait penser que je viens d'un autre monde, j'aurais pas su comment le justifier. Si elle savait à quel point elle tape dans le mille.
Cinquante-neuf et quarante-cinq secondes. J'appuie sur le bouton d'appel. Toujours dans les temps. Le téléphone collé à l'oreille, les sonneries retentissent.
— Ça alors ! T'es à l'heure, gamin.
Je retiens un grognement. Uno, parce qu'il m'appelle gamin, deuzio, parce qu'il me cherche déjà. En me balançant ça, il tient juste à souligner que je viens d'obéir comme un bon clébard.
Je garde le silence, tandis que j'entends en bruit de fond les touches de son clavier.
— Allez, fait pas la gueule. Raconte-moi. Les SMS c'est bien, mais beaucoup trop vague.
C'était volontaire, je compte pas lui raconter tout ce qui s'est passé. Si je le faisais... non, en fait, j'ose même pas imaginer. Je préfère nier l'évidence, même si elle est sous mon nez. C'est mieux. Au pire, j'improviserai.
Je relâche un nuage de fumée pendant qu'il se racle la gorge au téléphone.
— J'ai pas toute la journée, s'impatiente-t-il. Et dis-moi que t'es pas en train de fumer dans l'enceinte de l'établissement.
Un sourire en coin se pointe sur ma tronche et je reprends une taffe.
— J'suis dehors.
— C'est du pareil au même.
Je soupire, il m'imite. Je sais pas si je suis la plus forte tête à qui il ait eu affaire jusque-là, mais j'aime à penser que oui. Au moins, je perds pas totalement la face.
— Je me suis rapproché d'un type ici. Brad.
— Ouais, ton colocataire.
J'acquiesce même s'il ne peut pas me voir et m'adosse au tronc d'un arbre.
— Il se trouve que c'est aussi le voisin des Reeves.
— C'est plutôt une bonne chose. Le monde est petit. Continue.
— J'étais chez lui ce week-end et depuis la fenêtre, j'ai vu un type louche dans la ruelle derrière chez eux.
Il émet un bruit pour m'encourager à continuer, tandis que j'entends ses doigts s'agiter sur son clavier. Il prend certainement des notes.
Tout en continuant de fumer, je lui déballe le reste sans omettre l'accrochage avec ce fils de pute. Il tique quand je le surnomme comme ça, mais je m'en branle.
Distraitement, j'observe les étudiants s'agiter. Encore une fois, je vais me pointer à la bourre au prochain cours. Je m'arrête de blablater au moment où Tyler s'est tiré. C'est mieux. La suite, ça ne le regarde pas. Enfin, de base, si. Mais hors de question qu'il soit au courant.
— Tu penses qu'il est lié à tout ça ?
— Aucune idée, mais ce qui est sûr, c'est qu'il est louche. J'veux dire... pourquoi cacher la moitié de son visage avec un bandana ? Ellyn est son ex, il aurait pu simplement sonner chez elle s'il voulait lui parler, non ?
Même si cette perspective me fait bien chier. J'ai clairement plus envie qu'il l'approche. Je me demande d'ailleurs si elle a encore des sentiments pour lui. Cette idée est à chier, elle aussi.
— Ça se tient. Je vais creuser un peu plus sur lui, même si on avait déjà tout passé au crible, peut-être qu'entre-temps il y a eu du nouveau. Je te tiendrai au courant. Vois si de ton côté t'as moyen de trouver des infos.
Il m'a pris pour Ethan Hunt ou quoi ? Rien que le titre du film reflète la situation. Mission impossible.
— Et surtout, ne lâche pas Ellyn.
S'il savait à quel point on est collé l'un à l'autre parfois.
— Si besoin n'oublie pas que Kent est dans le coin et peut te remplacer ou te prêter main forte.
— Ouais, c'est clair qu'il a prouvé son efficacité, il a même pas grillé ce couillon dans la ruelle.
— T'es de mauvaise foi. Il était en planque de l'autre côté, il ne pouvait pas le voir.
Je me retiens de lui dire que j'en ai rien à foutre, qu'il avait qu'à bouger son cul et faire des rondes au lieu de bouffer dans sa caisse. Seulement, je me persuade que fermer ma gueule, c'est mieux. En plus de faire profil bas ici auprès de tout le monde, il va falloir que je le fasse aussi avec mon référent. À un moment, va falloir que tout ça sorte. Je vais pas pouvoir garder toute cette merde pour moi.
— Autre chose dont tu aimerais me faire faire part ? me questionne-t-il.
Je lâche un rire nerveux. Ouais, je me tape la nana que je dois protéger alors que c'est interdit par le règlement. Mais tout baigne.
— Pourquoi tu te marres ?
Je reprends vite mon sérieux.
— Parce que je trouve que tout ce que je viens de dire est déjà pas mal, non ?
— C'est pas faux. Ce qui m'inquiète, c'est que cette affaire n'avance pas. Les Reeves reçoivent toujours des lettres de menaces et les flics ne trouvent rien. Pas une piste.
Je serre les dents en imaginant ce qui pourrait arriver à ma Diablesse. Sans rien calculer, je me retrouve à m'inquiéter pour elle. C'est nouveau et flippant.
— Pas d'empreintes ? Ni d'ADN ?
— Non, rien, on patauge.
— Je vois, soufflé-je.
Je passe une main sur mon visage, tandis que je perçois à l'autre bout du fil le bruit de sa chaise qui racle le sol.
— Je dois te laisser, j'ai une réunion. S'il y a quoi que ce soit, préviens-moi. Et si t'as besoin de n'importe quoi, pareil.
J'hésite un instant à lui demander de creuser sur Pitt. Non pas que je le soupçonne, mais il cache quelque chose. J'en suis certain. Surtout par rapport à cette équipe. J'abandonne l'idée. Je préfère me dire que le moment venu, s'il faut, il m'en parlera lui-même.
— T'es toujours là ?
— Ouais, ouais, je réfléchissais. Je voudrais rien oublier.
Je vais devenir le roi du mytho à force.
— D'accord, de toute façon, au cas où, tu sais quoi faire. Allez, gamin, j'te laisse.
Il raccroche sans un mot de plus et je fourre mon téléphone dans ma poche. J'inspire profondément et retourne vers le bâtiment. Il va vraiment falloir que cette affaire commence à bouger.
Alors que je marche rapidement vers l'entrée, perdu dans mes pensées, quelqu'un me saisit brusquement par le bras et me tire à l'écart.
Merde, c'est quoi ce bordel ?
La seconde qui suit, je me retrouve dos contre un mur. Seulement, je me laisse faire. J'ai reconnu son parfum à la cerise, à peine elle m'avait attrapé le bras. La fine note d'épice qui le rehausse ne me trompe jamais.
Son corps pressé contre le mien, je ne résiste pas. Elle est sauvage, exigeante et je m'offre complètement à sa merci. Elle jette un coup d'œil rapide autour de nous, tandis que je baisse les yeux sur elle et esquisse un sourire.
— Déjà en manque ?
Ma Diablesse braque ses pupilles dans les miennes et lève un sourcil. Ça lui donne un air insolent. J'adore ça. Je me surprends à aimer certains petits détails chez elle. Jusque-là ça n'était jamais arrivé. Avec aucune fille. J'ai la sensation qu'avec elle, tout est différent. Parfois, je me persuade qu'il n'y a rien et à d'autres moments, comme celui-là, je ne peux me rendre qu'à l'évidence. Elle me rend dingue. Dans tous les sens du terme. En une fraction de seconde, elle arrive à faire s'envoler mes convictions. Comment je suis censé lutter contre ça ?
Comme toujours, elle fait comme si j'étais loin de la réalité. Pourtant, son regard ne ment pas. Il dévore ma bouche.
— Embrasse-moi, au lieu de dire des conneries.
Un rire m'échappe et je la laisse languir. Voilà ce qui rythme notre quotidien depuis qu'on s'est à moitié avoué qu'on se plaît. Quand c'est pas elle qui me cherche, c'est moi. Je peux pas faire autrement. Si j'ai pas ma dose dans la journée, je suis en manque. Ce petit jeu entre nous devient ma came personnelle.
Agacée que je ne réagisse pas, elle recule d'un pas. Comme ces derniers jours, je cède. J'enroule ma main autour de son poignet pour la retenir, glisse l'autre au creux de ses reins et la plaque contre moi pour fondre sur ses lèvres. Elle sourit contre les miennes, satisfaite et je grogne. Elle a gagné. Cette fois, c'est moi qui ai succombé. En même temps, à me surprendre comme elle vient de le faire, c'était joué d'avance.
J'aime qu'elle soit entreprenante. Elle le fait d'une façon qui m'excite à chaque fois. Elle me laisse entrevoir qu'elle me désire tout en gardant le contrôle et en attisant ce petit jeu. Ça fait toute la différence. Si elle s'était contentée de juste me faire savoir qu'elle me mettrait bien dans son pieu, sans même résister, comme la plupart des nanas que j'ai refoulées, jamais je ne me serais intéressé à elle.
Sa langue se fait audacieuse et je la laisse mener la danse. Je me contente de la maintenir fermement contre moi, tout en répondant à son baiser. Mon épiderme s'embrase au moment où ses doigts passent sous mon t-shirt et frôlent ma peau. Sa paume glisse sur mon ventre jusque sur mon torse et elle me mordille la lèvre. Un grondement sourd m'échappe. Une façon pour elle de me montrer qu'elle maîtrise ce qui se passe, mais aussi un geste qu'elle ne peut s'empêcher de faire à chaque fois.
Soudain, elle s'écarte de quelques centimètres et plante ses billes dans les miennes. Hey, j'en veux plus.
— C'était qui ?
Je lève un sourcil. De quoi elle parle ?
— Au téléphone, précise-t-elle.
Un rictus en coin se pointe sur mes lèvres. Elle sait qu'en posant cette question, elle me tend une perche monumentale. Pourtant, elle le fait quand même.
— Jalouse ?
Elle lâche un rire moqueur et secoue la tête amusée.
— Curieuse, affirme-t-elle comme si c'était une évidence.
J'esquisse une moue sceptique. Je suis pas certain de ce qu'elle avance. Cette mimique avec sa bouche trahit son impatience. Je me demande si l'idée que ça puisse être une autre fille ne la ferait pas un peu chier.
Je me penche à son oreille, frôle volontairement sa joue et la sens frissonner.
— Ça fait une question, ça, soufflé-je.
Ses iris retrouvent les miens et elle fronce les sourcils.
— Une question rien de plus banale, réplique-t-elle.
Ouais, j'en suis pas sûr.
— C'est ce que tu dis. Mais si je te disais que c'était Britany, par exemple ? Ou une autre ?
Elle serre les dents et je fronce les sourcils. Revoilà cet éclair qui a zébré son regard pendant la soirée où elle m'a vu en sa compagnie. Un truc cloche avec cette go que j'ai choisie pour la mettre en rogne. La chercher avec ça n'est décidément pas une bonne idée.
Elle presse sa main sur mon torse et je devine qu'elle est sur le point de me repousser pour mettre les voiles.
— Mon vieux. C'était mon vieux.
Un bobard. Encore un. De toute façon, je suis plus à ça prêt. Merde, pourquoi je ressens le besoin de me justifier ? C'est vrai quoi, jusque-là jamais je le faisais.
Elle se détend doucement contre moi et du coup, j'ai encore plus envie de savoir ce qui s'est passé avec cette nana. Ma Diablesse détourne les yeux, tente de se ressaisir et lève le nez sur moi la seconde qui suit.
— Qu'est-ce qu'il voulait ?
Quoi ? Comment ça qu'est-ce qu'il voulait ? Depuis quand on s'intéresse à ma vie ? Puis merde, ça m'oblige à trouver un autre blabla à lui servir.
— Savoir si je faisais pas trop le couillon.
Elle pouffe de rire et je redescends en pression.
— Je suppose que tu lui as rien dit de ce qui s'est passé dernièrement ?
— J'en vois pas l'utilité. À moins de vouloir que je change de campus encore une fois.
Une grimace déforme ses lèvres et son regard s'adoucit.
— Tes parents sont du genre à vouloir tout contrôler aussi ?
Je lâche un rire nerveux. Non, ils sont du genre à avoir mis les voiles alors que je savais à peine marcher. Seulement, je peux pas lui balancer ça.
— On devrait aller en cours.
Première fois de ma vie que je balance ça. On aura tout vu, sérieux. Ça devient du grand n'importe quoi.
Aussitôt, elle comprend que je ne répondrai pas et n'insiste pas. Une sorte de règle qui s'est instaurée sans qu'on en parle. Quelque chose de naturel. Si l'autre décide qu'il ne veut pas en discuter, alors on respecte son choix. Perso, parfois j'ai pris sur moi. Je voudrais vraiment comprendre certaines choses.
Elle esquisse un sourire, acquiesce, me vole un baiser et recule de quelques pas.
— Je pars en avant.
J'opine et l'observe filer avant de jeter un coup d'œil alentour. Un jour, on se fera forcément cramer. Pour le moment, on a pris l'habitude de fonctionner comme ça. On se capte et on se démerde pour arriver séparément en cours où n'importe où d'autre.
Si Jeff me voyait, il m'en collerait une.
Une fois qu'elle est loin devant, je trace vers le bâtiment principal pour rejoindre l'amphi'. Les couloirs sont vides. On est bien à la bourre. Me concernant, les profs ont l'habitude. Pour Ellyn, c'est différent.
Une fois devant la porte de la salle, je la pousse. Elle grince, comme toujours, mais maintenant, je m'en branle. Je repère ma Diablesse quelques rangs plus bas et les regards de trois types de l'équipe qui me fusillent. J'esquisse un sourire, les ignore eux et le prof, puis descends jusqu'à l'allée où elle se trouve.
Lorsque je me faufile jusqu'à elle et pose mon cul à sa gauche, elle bugue. Mia, elle, ressemble à un poisson rouge tombé hors du bocal.
— Qu'est-ce que tu fous ?
Je hausse les épaules et m'installe confortablement. Je crois bien que je cherche la merde. À les rendre dingues aussi.
— Rien, la place est libre, non ?
Elle fait un tour d'horizon et soupire.
— T'es dingue.
Ça, c'est pas nouveau.
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