Comme prévu, Alex se rendit chez Elhion après une longue et dure journée. Il espérait qu'elle soit comme Callum et non comme Xénia, avait besoin d'être soutenu. Dès qu'il se levait, il croisait Xénia et ses regards noirs, il mangeait à ses côtés alors qu'elle le méprisait. Et il devait se taire. Il allait en cours avec elle aussi, et elle le foudroyait toujours autant. Ses yeux devenaient pires qu'une lame aiguisée, ils perçaient son âme jusqu'à le déstabiliser. Quand les cours l'intéressaient, il n'y pensait pas vraiment, mais cette matinée passée à parler des symboles l'avait ennuyé au plus haut point. Il ne voyait pas l'intérêt de savoir que le blanc symbolisait l'espoir et le renouveau. Pourtant, Az tenta de le persuader du contraire.

Et pour finir en beauté, il passa deux heures en compagnie de Cassius Tale. S'il en bavait lors de ses cours, Cassius se montrait encore plus horrible en retenue. Par chance, il s'était retrouvé avec Callum, mais cette journée fut horrible. Il rajouta à cela la présence de Nila, une peste tout aussi méprisante que Cassius qui n'hésitait pas à les rabaisser lui et Callum, sans doute était-ce pour ce comportement qu'elle s'était retrouvée ici.

Et une fois dehors, quand enfin il put souffler, il attendit Elhion. Il espérait sincèrement qu'elle soit différente de Xénia, et aussi qu'Alvor ne le reconnaisse pas. Une fois qu'elle sortit, elle lui sourit.

— Tout va bien ? lui demanda Elhion.

Il comprit alors que son inquiétude se lisait sur son visage. Il scrutait chaque recoin de la capitale à la recherche d'un aeflein. Son agresseur l'avait rendu parano et il ne voulait pas l'inquiéter, alors il mentit. Le cœur lourd, il la suivit jusqu'à la boutique qui lui rappela son arrivée, il y a trois semaines. Trois semaines. Le temps passait vite et sa mère lui manquait, il voulait rentrer chez lui. À l'intérieur, les multiples odeurs de potions vinrent lui chatouiller les narines, les mêmes qu'à son arrivée. Par chance, Alvor ne le reconnut pas.

— Tu nous ramènes quelqu'un ? dit-il en plaisantant.

— Oui, il a besoin d'aide en alchimie. On peut utiliser le laboratoire ?

Alvor les observa longuement tous les deux avant de pousser un long soupir qui les prévint de faire très attention. Il n'appréciait que peu qu'on utilise son matériel.

— Tant que vous rangez et nettoyez, vous pouvez.

Elhion acquiesça et fit passer son ami dans l'arrière-boutique. Ils descendirent les marches de bois grinçant et entrèrent dans une cave. Le froid, maître des lieux, s'agrippa à eux et Alex grelota, frémit. L'étrange parfum qui habitait ces murs de pierres vint chatouiller les narines du garçon le faisant éternuer.

Alex observa l'endroit éclairé par plusieurs grandes bougies. Des armoires recouvraient les murs, divers récipients de toutes formes y étaient entreposés. De grandes jarres brunes collaient ces meubles de bois. Au centre de la pièce se dressait une vaste table d'alchimie s'étalant sur toute la longueur de la cave. Le garçon y compta une dizaine de récipients et de tubes. Bien plus que celles de l'académie.

Seulement, avant de commencer, Alex préféra lui remettre un souvenir, le médaillon de son père. Sa mère le lui avait remis peu de temps avant sa mort ce qui le blessa. C'était son dernier souvenir.

— Tiens, ma mère m'avait donné ce médaillon...

Elhion le réceptionna, le regard empli d'émotions. Un mélange explosif de tristesse, et de nostalgie engloutit son cœur. Elle passa ses doigts sur sa surface et regarda Alex.

— Il aurait appartenu à ton père alors...

Les larmes baignèrent ses yeux face à ce cadeau d'une valeur inestimable. Bien qu'elle ne l'ait jamais vu, sa mère lui en avait parlé. Son père le possédait de son père lui-même et l'offrit à une amie de longue date avant qu'elle ne parte pour un long voyage : la mère d'Alex.

— Tu crois qu'elle le gardait spécialement pour son retour ?

Alex n'y avait pas pensé, mais ce n'était pas impossible. Sans doute sa mère avait-elle prévu de rentrer une fois la menace des Anges Noirs écartée, mais à présent, il était trop tard.

— Tu sais, mon père m'a déjà parlé de ta mère et de toi.

Alex écarquilla les yeux, étonné. Elhion essuya ses yeux, les souvenirs remontèrent, des réminiscences douloureuses étant donné que ses parents n'étaient plus.

— Parfois je le voyais regarder les étoiles et quand je lui demandais ce qu'il faisait, il souriait avant de me répondre qu'il repensait à une amie à lui, partie à l'autre bout du monde avec son fils. Puis il ajoutait qu'il espérait la revoir un jour.

Alex resta bouche bée. Il commençait à s'imaginer des tas de possibilités d'autres vies. Si Jon avait survécu, il l'aurait sans doute accepté chez lui et il l'aurait aidé. Il vivrait d'autres choses, il ne croiserait pas Xénia un seul instant. Et si sa mère n'était pas partie de Siltaria, il vivrait ici depuis toujours, heureux et à sa place. Peut-être même que Xénia ne l'aurait pas rejeté.

— Ils devaient bien s'entendre...

Sa voix se brisa à son tour, ils pleuraient tous deux leurs parents. Le temps n'effacerait pas se manque et chaque souvenir raviverait la douleur.

— Merci pour ce cadeau en tout cas.

Elhion sourit avant de passer le collier autour de son cou. Alex l'observa un instant et rougit, il la trouvait plus que jolie.

— La vie au palais est sympa ? demanda-t-elle. Xénia et moi on est amie depuis très longtemps, on se voit encore de temps en temps.

Parler de Xénia lui donnait la boule au ventre, ses remarques acerbes ne quittaient pas son esprit. Toutefois, il se confia à Elhion qui parut sous le choc. Elle ne comprenait pas sa réaction.

— Elle aurait peur pour notre sécurité à tous, souffla-t-elle. Elle n'a jamais été comme ça, tu sais, je lui parlerai... Elle n'a pas le droit de te faire ça.

Alex la croyait même s'il n'acceptait pas ce comportement démesuré. Il ne voulait pas qu'elle lui parle, qu'elle s'attire des problèmes, mais à bout, il ne protesta pas. Il préféra lui parler de l'aeflein et de son incapacité à le sauver d'une mort psychique.

— J'ignorais que...

Elle pâlit, prise de peur, elle ne parvenait même pas à parler. Avanh était la ville la plus sécurisée alors une telle menace était d'une gravité sans précédent. Elle s'inquiétait aussi pour Alex.

— Raehô va enquêter et le roi renforcer la sécurité, dit-il.

Son amie hocha la tête, elle tenta de se rassurer à son tour.

— Oui, tu n'as pas à t'en faire... On passe à l'alchimie ?

Ce besoin de changer de sujet interpella Alex, il espérait ne pas l'avoir apeurée en lui parlant de tout ça. Lui-même vivait dans la crainte même s'il n'avait aperçu aucune menace et il ne voulait pas qu'elle devienne aussi parano que lui.

— Tu utilises souvent ce matériel ? s'étonna Alex.

— Chaque potion a besoin d'une température différente.

Elhion lui tendit un flacon contenant un liquide orange et sucré et un sachet rempli de baies bleues et luisantes. Elle sortit ensuite un livre à la couverture brune et l'ouvrit : une recette.

— Tiens, suis bien cette recette. Si tu échoues, ce n'est rien.

La présence d'Elhion ne le rendait pas anxieux, loin de là. À vrai dire, il gagnait confiance en lui et pour cause, ses échecs ne seraient pas jugés ici. De plus, avec ses explications, il ne pouvait que réussir.

— Pour commencer, ajoute le liquide.

Alex s'exécuta et versa cinq cuillères qui dégagèrent une odeur sucrée. Ensuite, il lui fallait rajouter une dizaine de baies.

— Très bien. À présent, il faut faire chauffer la préparation, mais pas trop fort sinon tu rateras.

— J'ai cru comprendre, ajouta Alex ce qui l'amusa.

Alex sursauta quand la flammèche s'élança vers le verre : aussitôt il baissa la température. Elhion hocha la tête et lui indiqua qu'il était temps d'ajouter un peu d'eau. Alex obéit et déversa un mince filet d'eau. Quelques bulles éclatèrent à la surface et l'odeur lui donna l'eau à la bouche.

— Cette potion a besoin de plus de chaleur alors on augmente l'intensité du feu.

La flammèche vint alors caresser le récipient et la pièce se réchauffa, de même pour Alex.

— Stop ! lança Elhion.

Alex arrêta tout et laissa son amie déverser le philtre dans une fiole qu'elle referma soigneusement. De ses mains se dégagea alors un peu de gel, juste assez pour refroidir la préparation.

— Et voilà ! Tu viens de faire un jus de fruits !

— Vraiment ? s'étonna Alex, bouche bée.

— Oui ! L'alchimie sert dans pratiquement tous les domaines.

Les yeux du garçon s'écarquillèrent. Il ne put cacher son étonnement. Savoir que l'alchimie était utile dans tant de domaines lui fit un choc. Il s'imaginait qu'il s'agissait seulement d'une médecine capable de faire des miracles et au lieu de ça, elle servait à tout faire, c'était un cadeau divin dont le monde ne pouvait se passer.

Elhion prépara deux verres et en tendit un à Alex. Alex en but une gorgée et grimaça : la boisson était acide, bien que légèrement sucrée et bonne.

— C'est quand même pas si terrible.

— On aurait pu rajouter un peu de sucre, c'est vrai. Mais c'est déjà très bien !

Elle lui sourit, Alex était satisfait de lui, il venait enfin de concocter une potion sans rien exploser. Il retint tout ce que lui apprit Elhion pour ses prochains cours, mais, même s'il avait de nouveau confiance en lui, il redoutait de voir son professeur.

*

Cet instant passé aux côtés d'Elhion parut bien trop court à Alex. Il aurait aimé que cela dure plus longtemps, non pas pour rester avec elle, mais pour esquiver Xénia. Malheureusement, il ne pouvait se permettre de manger à l'écart. Et donc, il la retrouva à la grande table aux côtés du roi toujours aussi souriant et d'Az toujours aussi silencieux.

— Alors, tu arrives à t'intégrer à Avanh ? lança Edgar entre deux bouchées.

Alex avala un morceau de viande succulente et hocha la tête. Il devait avouer que croiser Elhion et Callum l'aidait, de même pour les cours d'Az et de Raehô. Dire qu'il était rejeté par le monde entier serait un odieux mensonge, seule Xénia lui pourrissait la vie.

— Très bien.

— Surprenant que tu sois toujours là, le tacla Xénia. Tu vas nous attirer des ennuis et tu le sais très bien.

— Xénia... soupira son père. Alex n'y peut rien, il vient de Siltaria, il est normal qu'il vive ici.

— S'il n'était pas là, aucun ennemi n'aurait envoyé d'assassin dans la capitale ! s'énerva-t-elle.

Alex baissa le regard, il se retint de pleurer même si c'était compliqué.

— Pourquoi tu ne veux pas comprendre !? cria-t-elle avant de se lever d'un bond. Il va tous nous tuer !

— Xénia ! gronda Edgar. Ne dis pas de telles choses !

Furieuse, Xénia quitta la table et partit de la pièce la plongeant dans un silence de plomb.

— Je suis sincèrement désolé, Alex...

Alex le croyait, mais ses paroles le blessaient trop, ses yeux brillaient même s'il ne pleurait pas.

— Je crois que je devrais partir... Je n'ai pas ma place ici et je n'ai pas envie que vous soyez en froid avec votre fille.

Il soupira. D'un signe de tête, Az se leva et s'en alla, les laissant seuls.

— Je suis en froid avec elle depuis quelque temps déjà, tu sais. Depuis la mort d'Alyssia, mon épouse, beaucoup de choses ont changé. J'ai peut-être commis des erreurs avec elle, notre relation n'est plus la même qu'autrefois.

— Je comprends, mais elle se dégrade à cause de moi, souffla Alex.

Un lourd sentiment de culpabilité pesait sur son cœur, il aurait aimé arranger les choses.

— Tu n'y es pour rien, le rassura Edgar. Tu as ta place ici, je t'assure. Ta mère était siltarienne, tu es donc siltarien, ne t'en fais pas.

— Mais vous n'êtes pas obligé de faire tout ça pour moi...

— Détrompe-toi. Je vois Siltaria comme une grande famille dont je suis le chef. Je dois veiller sur chaque membre de cette famille comme le ferait un père, je dois donc m'occuper de toi également.

Alex en resta bouche bée, cette fois il pleura bien qu'il ne soit pas triste. Il admirait cette vision, il avait à présent pleinement conscience qu'il serait toujours là pour lui. Il se sentait mieux malgré les paroles tranchantes de Xénia.

— Merci... Pensez-vous qu'il faudrait que je parle à Xénia ?

— J'ignore ce que tu dois faire, mon garçon. Sans doute est-ce à moi de m'en charger. Fais ce qui te semble être le mieux.

Alex souffla pour se donner du courage et quitta à son tour la grande table. Il devait retrouver Xénia. Alors il gravit les marches avec hâte et crainte puis frappa à sa porte. Il patienta un instant, la boule au ventre. Enfin elle ouvrit et là, il se figea, son regard le déstabilisa une fois de plus.

— Il faut qu'on parle, lui dit-il d'une voix presque apeurée.

— Non. Il faut que tu partes ! Il faut que tu quittes Siltaria !

L'air autour d'eux commença à s'intensifier, de puissants vents se mirent à fouetter ses vêtements. Il la fixa, les yeux grands ouverts. Elle ne comptait pas se battre ? Si ?

— Va-t-en ! cria-t-elle. Pars de ma vie, d'Avanh !

En un instant, l'air frappa Alex tel un bélier, il vola contre le mur avec une telle force que celui-ci trembla. La violence pulvérisa son ventre et manqua de lui faire recracher son repas. Sonné, il ne bougea plus.

— Je t'empêcherai de tout détruire, pesta Xénia avec rage. Ta présence met tout le monde en danger...

Dans le creux de sa main droite, l'air siffla avec violence et forma une sphère compacte. Alex fixait son poing, si l'intensité de ce vent ne le tuait pas, il briserait au moins ses os. Il pâlit, déglutit. Il devait bouger, et vite.

— Ce type te recherche ! Il te tuera et nous tous avec...

Alex ne parvenait pas à bouger. Ses membres ne répondaient plus, la tempête le paralysait, l'empêchait même de respirer. Il se voyait mourir, Xénia allait le tuer, il en était convaincu.

Elle s'élança sur lui. Il ferma les yeux.

Rien.

La mort était-il indolore en fin de compte ? Il rouvrit les yeux et découvrit avec stupeur Edgar. Le roi s'était interposé entre eux au dernier moment, ce qui signifiait qu'il venait de subir toute l'intensité de l'attaque. Une fois de plus Alex l'admirait, car contrairement à lui, il resta debout sans broncher, il n'avait même pas crié. Devant lui, Xénia s'était arrêtée. Il lui sembla l'entendre pleurer dans ce calme lourd.